Les "vies" trépidantes d'Alain Delon à Toulon: entre le Petit Chicago, l'ami Marcantoni et Mireille Darc

"L'armée m'avait forgé pour toujours. C'est là que j'ai appris à aimer l'ordre et la discipline, à respecter les chefs". Servir sous le drapeau tricolore, même de manière chaotique, Alain Delon en a tiré une fierté.

C'est à 17 ans, que l'adolescent turbulent, placé en famille d'accueil après le divorce de ses parents, renvoyé à maintes reprises des établissements scolaires qu'il fréquente, devance l'appel pour s'engager dans l'Armée. Ce jeune garçon au visage angélique qui vient d'obtenir un CAP de charcuterie s'imagine un autre destin. Il rêve d'ailleurs. A 14 ans, il tente de se rendre en Amérique, à Chicago. Sa fugue s'arrête finalement à Bordeaux. 

À 18 ans, il est marin à l'école des transmissions à La Londe

Alain Delon, fils d'un directeur de cinéma et d'une employée de pharmacie, originaire du Tarn-et-Garonne, rejoint les rangs de la Marine nationale en 1952. Toujours mineur, le matelot Delon prend l'uniforme et fait ses classes au Centre de formation maritime de Pont-Réan (Ile-et-Vilaine), qui assure alors la formation de base des engagés. 

En 1953, la future "vedette" de Plein Soleil, Rocco et ses frères, Le Samouraï, La Piscine (tournée en 1969 à Ramatuelle), Borsalino ou Monsieur Klein, prend la direction du Sud. À 18 ans, il est muté à la base militaire de Toulon, ou plus précisément, à l'École des transmissions des Bormettes, à La Londe. 

Séduisant et charismatique, le jeune homme traîne, comme ses compagnons dans le monde interlope du Petit Chicago à Toulon, le lieu de dépravation des marins en goguette, entre bars à hôtesses, bagarres et prostitution. Bien loin de la rigueur de la pension catholique de Saint-Nicolas d'Igny (Essonne) où il a passé sa jeunesse. 

Dans le livre Le Fascinant Monsieur Delon d'Henri Rode (publié en 1974), l'auteur évoque des incidents de parcours du marin Alain Delon. L'on parle de vols de matériels pour de la revente. Delon se fait attraper. 

Passionné par Touchez pas au grisbi tourné à Hyères

Les autorités hiérarchiques lui proposent deux options: quitter la Marine nationale ou rempiler pour un nouvel engagement. Le matelot de Première classe, poussé par ses parents, prolonge son engagement et il est affecté à la compagnie de protection de l'arsenal de Saïgon, qui fait alors partie de l'Indochine française.

Sur place, à 9.000 kilomètres du Var, Alain Delon part le 23 janvier 1953, un an et demi avant la fin de la guerre d'indépendance, menée contre la France par les indépendantistes soutenus par le parti communiste vietnamien. Selon Luc Lariba, journaliste et historien de cinéma, Alain Delon aurait été affecté à Saïgon. 

C'est à cette occasion-là qu'Alain Delon fait la connaissance du sous-lieutenant Jean-Marie Le Pen du 1er bataillon étranger de parachutistes. Naîtra de cette rencontre une indéfectible amitié que la star de cinéma ne niera jamais. 

Delon serait revenu en France le 1er mai 1956 après avoir été mis aux arrêts. La future star de cinéma avait volé - entre autres-, une Jeep avec laquelle il a eu un accident lors d'une escapade. Delon est privé de son brevet de radio. Le 8 novembre 1955, il fête son vingtième anniversaire en cellule.

Le jeune homme est déjà passionné par le maniement des armes, les fréquentations troubles. Il a le goût du risque. Le beau gosse est aussi subjugué par un acteur de cinéma: Jean Gabin qu'il a vu dans le film Touchez pas au Grisbi, tourné en 1954 à Hyères. 

Mireille Darc, la beauté toulonnaise qui a partagé sa vie

Lorsqu'Alain Delon a affecté en 1953 à La Londe, une jeune toulonnaise, de trois ans sa benjamine, s'émancipe. Mireille Darc qui a notamment été élève à l'école de Valbourdin, arrête la même année ses études. Elle veut danser, jouer la comédie Mireille et elle a du talent. À 15 ans, elle rentre au conservatoire de Toulon d'où elle sort diplômée, en 1957, avec un prix d'excellence en art dramatique. 

Son adolescence est marquée par un terrible secret: elle apprend qu'elle est une enfant illégitime, née de la relation de sa mère avec un marin. Celui qu'elle pensait être son père la tyrannise. Mimi qui deviendra la "grande sauterelle" trouve refuge dans l'art et auprès des filles de joie de la cité militaire. Dans les rues du Petit Chicago fréquentées par un certain... Alain Delon. 

Ces deux artistes à l'enfance brisée, qui ont partagé quinze années d'amour intense, se sont-ils croisés ou rencontrés à cette époque? Ils ne l'ont jamais évoqué. Toulon fut leur port de départ commun pour un nouveau monde: Paris et le cinéma. 

Leur relation est officialisée en 1969, après le divorce d'Alain et Nathalie Delon. La grande blonde et l'acteur solaire tombent amoureux sur le tournage du film "Jeff". Ils se séparent en 1987. Le motif de la rupture est cruel: Mireille Darc ne peut plus avoir d'enfant. "C'est la femme de ma vie" dira l'acteur qui restera ami avec son ex-compagne, jusqu'au décès de la belle toulonnaise le 28 août 2017. 

François Marcantoni: du Petit Chicago à la voyoucratie

Il était l'ami, le protecteur, le résistant et un gangster. François Marcantoni, décédé le 17 août 2010 à l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris est éternellement lié à Alain Delon. Il avait été mis en cause, avant d'être blanchi, dans l'assassinat de Stevan Markovic, ancien garde du corps d'Alain Delon, découvert mort en octobre 1968 dans les Yvelines. 

Lors du non-lieu prononcé sept ans plus tard, Marcantoni a déclaré à propos de cette affaire: "Nous ne sommes que trois à savoir la vérité : Delon, moi et Dieu, or ce dernier ne balance jamais". 

Cet ancien artificier de l'Arsenal de Toulon, résistant membre des Forces françaises de l'intérieur (FFI), capturé et torturé par la Gestapo, rencontre Delon, en 1953, dans le bar tenu par son frère dans le Petit Chicago varois. Le Corse Marcantoni, cousin de l'ancien préfet du Var Jean-Charles Marchiani, fait découvrir au jeune premier du cinéma français un autre univers: celui des voyous, du grand banditisme. 

Ami à la vie, à la mort, Alain Delon ne cachera jamais ses accointances avec "Monsieur François". En 2021, il confie à Paris-Match: "Mais j'ai toujours préféré les policiers, ceux qui nous défendent".

François Marcantoni, décédé à l'âge de 90 ans, a été inhumé à Toulon, en présence de 2.000 personnes, ses célèbres amis se font porter pâle. Alain Delon aurait choisi, ce jour-là, la discrétion en envoyant une lettre de condoléances à la famille.