La foi toujours intacte, il est entré en journalisme comme en religion il y a plus de six décennies.
Installé au Beausset, François Missen, 92 ans, légende vivante du journalisme d’investigation, n’a jamais cessé d’écrire, de produire.
Éternel chasseur de scoops, le titulaire de la carte de presse n°19269, co-lauréat du prix Pulitzer en 1973 pour sa couverture du démantèlement de la French connection et lauréat du prix Albert-Londres en 1974 pour celle des guerres du Vietnam, d’Irlande et du Kippour, vient de publier un livre de souvenirs "En vrac".
92 ans, ce n’est pas un peu jeune pour écrire ses mémoires?
On m’a demandé vingt fois d’écrire mes mémoires, j’ai toujours refusé, parce que les mémoires, psychologiquement, c’est destructeur. Tu les écris et le lendemain, tu es mourant. J’ai titré mon livre En vrac car ce ne sont pas des mémoires. Ces dernières habituellement, sont chronologiques…
Pourquoi ce livre... compilation de souvenirs?
Il y a un an et demi, la fille de mon ex-femme, âgée de 42 ans aujourd’hui - on s’adore! - me téléphone de Marseille et, à la faveur de cet appel, me revient comme un boomerang l’histoire que j’avais inventée pour tenter d’obtenir ma libération de prison, en 1980, lorsque j’étais incarcéré par les Russes en Afghanistan. Je leur avais dit que ma femme attendait un enfant (sans leur préciser que j’étais divorcé et que cet enfant n’était pas de moi). J’ai raconté ça à mon interlocutrice en lui disant que je me sentais mal d’avoir inventé cette histoire. Elle ne m’en a pas voulu, au contraire. Ça a été un déclencheur. J’ai couché le récit sur le papier. J’y ai pris du plaisir. Ça a agi comme une sorte de thérapie. Et j’ai continué.
Vous racontez notamment vos ratages!
On parle toujours des scoops, mais jamais des ratages. Vous en avez forcément connu vous aussi? Moi, des tas: Lee Marvin, Salman Rushdie, Richard Nixon... Mais je parle aussi de rencontres marquantes comme avec Jesse Owens, en 1964 et 1968, l’athlète quatre fois médaillé d’or aux JO de Berlin en 1936 qui a refusé de serrer la main de Hitler. C’est l’homme de ma vie avec mon père. Bref, ce ne sont pas des mémoires! Dans le Var, l’histoire du démantèlement d’une villa à Saint-Cyr, en 1972, un labo de transformation de l’héroïne, que vous avez vécue en direct est connue. Moins celle de votre quête à Bormes de Bernadette Devlin, fondatrice du Parti socialiste républicain irlandais... En 1969 j’étais en Irlande où tous les journalistes la traquaient pour l’interviewer. Une amie à elle me dit qu’elle est dans le midi de la France. J’atterris à Marseille, suis au Provençal à 11h du soir d’où j’appelle toutes les gendarmeries, de Marseille à Nice. Et à Bormes on me dit, "oui, il y a un Anglais qui vient tous les ans". J’arrive sur place dans la nuit. Un boulanger finit par m’indiquer où habite cet Anglais. Je le réveille à 5h30, lui explique que je suis journaliste pour Radio Luxembourg, et ce que je recherche, il me dit qu’il ne la connaît pas. J’y retourne le lendemain, en disant que je travaille pour Le Provençal. Même réponse. L’Anglais, Patrick Campbell, était rédacteur en chef du Sunday Times où il a relaté notre rencontre dans un article intitulé Dear Miss Devlin (Chère Mme Devlin) en écrivant que dans la nuit, j’avais dû être viré de Radio Luxembourg!
Jo Minitti, le nouveau maire de La Seyne, est l’ancien chef photo du Provençal, ça ne vous donne pas envie de vous lancer en politique?
On se connaissait. Il doit se rappeler de moi. En 1974, après mon prix Albert-Londres, Gaston Defferre, le patron du Provençal, voulait que je me présente à la députation. Je lui ai répondu: "Monsieur, vous n’êtes pas assez à gauche pour moi".
Pour finir, un scoop!
Presque (rires). Depuis plusieurs années, je vais souvent à Cuba où je travaille sur la véritable histoire de la French connection et ses ex-ramifications locales. Là-bas, j’ai un copain, artiste du papier mâché, Filiberto Mora Rosales, que j’ai connu il y a 20 ans. Il a déjà été invité en France. Sa renommée (comme celle de son frère décédé) est mondiale ! Il y a un mois et demi, à La Havane, nous avons lancé l’idée de fabriquer une crèche de Noël dans un pointu, le tout grandeur nature et en papier mâché. Il la réaliserait ici, à la fin de l’année avec deux assistants…
Pour une exposition qui aurait lieu dans l’ouest Var?
J’ai contacté les mairies de Sanary, Six-Fours et Bandol, des ports où en plus, traditionnellement, le Père Noël débarque en pointu ! J’ai reçu des marques d’intérêt mais aucune réponse concrète. Je pense que ce serait dommage que ce projet se concrétise à Marseille, ville que je vais solliciter, qui est généralement enthousiaste pour genre d’évènements. C’est que maintenant le temps presse…
1. La French connection désigne l’ensemble des acteurs qui prennent part à l’exportation d’héroïne aux États-Unis depuis la France, des années 1930 aux années 1970.
"En vrac" de François Missen (éditions L’écailler, 221 pages, 18 euros). L’auteur dédicacera son livre au Beausset le vendredi 13 juin au restaurant Nonni, à partir de 10h.
Ça reste entre nous: coups de cœur et petits secrets
Où emmenez-vous quelqu’un qui vient chez nous pour la première fois?
Je l’emmène dans un lieu chargé d’histoire, pas touristique: aux "Barons", sur la commune de Tanneron où Martin Gray, auteur de Au nom de tous les miens, devenu exploitant agricole, perd son épouse et ses quatre enfants dans un terrible incendie le 3 octobre 1970.
Avec une baguette magique, que changeriez-vous dans la région?
Je ferais en sorte que les poids lourds qui traversent continuellement le Beausset ne passent plus par la commune ni devant chez moi. Un jour il y aura un drame.
Qu’est ce qui vous manque quand vous n’êtes pas dans la région?
Le pastis grand cru Henry Bardoin, distillé à Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence) et les sardines grillées.
Si vous deviez vivre dans une autre région, laquelle choisiriez-vous?
La Corse.
Qu’est ce qui vous met de bonne humeur le matin?
J’écoute beaucoup de jazz.
... Et de mauvaise humeur?
Les informations sur les guerres… J’en ai couvert beaucoup, mais je n’aime pas la guerre.
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