"Un permis de conduire n’est pas un permis de tuer": on a rencontré la famille de Jérémie Boulon, pompier de 41 ans fauché sur la Prom à Nice
Alors que la proposition de loi sur l’homicide routier sera examiné ce mardi à l’Assemblée, rencontre avec la famille de Jérémie Boulon, pompier de 41 ans fauché sur la Prom à Nice il y a presque un an.
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Grégory LeclercPublié le 02/06/2025 à 10:30, mis à jour le 02/06/2025 à 12:09
Photo doc Nice-Matin
En ce week-end de l’Ascension, le portail s’ouvre. La demeure familiale des Boulon, dans le quartier de la Madeleine, ressemble à ces maisons de famille où transpire habituellement l’amour, le bonheur. Des enfants s’ébrouent dans la piscine, d’autres remplissent des mots fléchés sur la table du jardin.
Chaque pierre de la bâtisse respire pourtant le drame qui s’est produit le 25 juin 2024. Jérémie Boulon, sapeur-pompier de 41 ans, a été tué à quelques pas de là, sur la promenade des Anglais. Fauché par une Mercedes lancée à pleine vitesse. Shooté au protoxyde d’azote, le chauffard de 19 ans a grillé un feu rouge, propulsant le corps de la victime à plus de 60mètres. Cela fera un an dans quelques jours. Ce mardi la proposition de loi sur la création d’un homicide routier sera réétudiée à l’assemblée nationale.
Jérémie Boulon, pompier de 41 ans fauché sur la Prom à Nice il y a presque un an.DR.
De la bâtisse familiale sourd la colère, la haine, l’incompréhension. L’entretien se déroule dans la cuisine familiale, porte fermée. On entend les enfants jouer dehors.
"Marithé", la maman, bientôt 70 ans, ne cache pas son dégoût, sa colère, envers le meurtrier de son fils. Jennifer, 45 ans, la compagne de Jérémie, porte leurs filles de 11 et 12 ans à bout de bras depuis le drame. "C’est comme si c’était hier." Chaque question, chaque événement, chaque anniversaire fait resurgir l’indicible. Nicolas, 46 ans, qu’on avait croisé lors d’un hommage terriblement émouvant rendu par les pompiers sur la Promenade des Anglais, témoigne. Pour son frère. Pour rester debout aussi. Même s’il se sent comme brûlé à l’intérieur. "On survit, on se bat tous les jours. Chaque événement est compliqué, la fête des mères tombait le 25. Tout est insupportable."
"Du mépris de la part de la justice"
Julyana, l’aînée de Jérémie Boulon, a tenu à être sur la photo aux côtés de Nicolas, le frère du pompier tué par un chauffard sur la Prom’.
Photo Grégory Leclerc.
La mâchoire est serrée. Les mots sortent avec difficulté. "Comment expliquer à des enfants que leur père a été tué dans ces conditions-là? Tout le monde nous avait dit que ça allait être long et dur. C’est encore pire. C’est long, dur et injuste. Nous sommes démunis, aucun contact direct avec la justice depuis les faits. À la limite du mépris de sa part."
Une formidable mobilisation s’était levée au lendemain du drame. La famille, les proches, les voisins, les pompiers, la mairie et les politiques locaux, députés, sénatrice. "Ça contraste avec le silence de la justice", lâche Nicolas. "Quelle justice? Ils ont remis le chauffard en liberté, sous contrôle judiciaire. Il vit sa vie. Les passagers de la voiture continuent à jouer au foot, ils n’auront rien ou si peu. Pour nous le drame est là, permanent."
Les yeux embués, Jennifer, la compagne de Jérémie, aurait aimé que le parquet lui explique pourquoi il n’a pas fait appel de la remise en liberté du chauffard. "Mais il y a zéro humanité." Elle se souvient, en revanche, du sac contenant les affaires de Jérémie, son compagnon. "On m’a laissé ouvrir pour voir s’il y avait son sac à dos, dix jours après." Les vêtements étaient humides, souillés de sang. "Vous imaginez l’odeur? Vous trouvez que c’est normal? Il y a encore beaucoup à faire en matière d’accueil des victimes..."
Le clan familial serre les rangs. Ils auraient voulu voir le chauffard en prison en attendant le procès. "Si les prisons sont pleines, ce n’est pas la faute des victimes, si?" L’enquête? Ils n’ont à leur disposition que les quelques informations à la disposition des avocats. "On nous a lu le rapport d’autopsie de mon frère, explique Nicolas. Il confirme l’ampleur des dégâts et du choc. Si on fait le ratio entre le nombre d’années de prison et le nombre d’organes touchés... Enfin... Il vaut mieux parfois ne pas trop y réfléchir…" Marithé, la maman, embrasse la pièce de vie du regard. Jérémie avait refait complètement la maison de ses mains. Il y était installé, à l’étage, avec Jennifer et leurs deux filles.
"Nous n’existons pas pour la justice, un voleur de montres de luxe on l’arrête et on le met en prison. Et le meurtrier de mon fils est dehors? Il vaut mieux tuer quelqu’un sur la route plutôt que voler?",s’insurge la maman.
Jennifer, la veuve, abonde: "Un permis de conduire, ce n’est pas un permis de tuer. On a tous fait des erreurs dans notre jeunesse. Mais là, la vitesse folle, le protoxyde d’azote, le délit de fuite? Ce ne sont pas des erreurs. C’est une faute pénale." Toute à sa douleur, Marie-Thérèse, la maman de Jérémie, en vient à se demander si le chauffard n’est pas protégé.
La famille appréhende le procès qui viendra un jour. "On nous prépare déjà à être déçus", commente Nicolas. Il souhaite que la loi sur l’homicide routier (lire par ailleurs), étudiée ce mardi, passe, pour que les choses puissent changer pour les autres. "Je suis rentrée vendredi dernier, un chauffeur à côté de moi se faisait un ballon de protoxyde", se désole Jennifer.
"Il faut modifier la loi. On aurait droit à l’erreur, de tuer quelqu’un et prendre juste du sursis? Il faut que la justice mette des peines en lien avec la gravité des faits. Ils peuvent déjà mettre des sanctions plus importantes que celles que l’on voit sur les précédents dossiers. Ce n’est pas juste un accident banal de la circulation", insiste Nicolas. La famille attend désormais le procès. "J’espère que d’ici là le chauffard se réveille chaque jour en faisant des cauchemars, en revoyant le corps à terre, et sa fuite, lâche...", souffle Jennifer.
Fin de l’interview. Les rires ont cessé dehors. Les enfants ont compris de quoi il était question autour de la table de la cuisine. Julyana, 12 ans, s’avance. Elle veut être sur la photo, de dos. Sur son maillot, le nom de son père, floqué. "Nous, on a pris perpétuité", avait résumé sa mère quelques minutes plus tôt.
La proposition de loi sur l’homicide routier étudié ce mardi
La proposition de loi visant à créer un délit d’homicide routier a été examinée en séance publique début mai. Son examen reprend ce mardi à l’Assemblée nationale. Porté par le député Les Républicains des Alpes-Maritimes, Éric Pauget, le texte avait été déposé le 17 octobre 2023. Et ce en réponse à plusieurs affaires dramatiques impliquant des chauffards alcoolisés, drogués ou ayant commis des infractions graves au volant.
La famille de Noé Guez sera présente. Dans la nuit du 24 au 25 juin 2022, à Antibes, le conducteur d’une Mercedes lancée à pleine vitesse, sous alcool et cocaïne, avait percuté le véhicule sans permis de Noé, 16 ans. L’adolescent était décédé de ses blessures. Sa passagère, Louise, avait été blessée dans l’accident, traumatisée pour l’éternité.
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