Quand Monaco hésitait entre jeux et agriculture pour garantir son avenir au milieu du XIXe siècle
Au milieu du XIXe siècle, la Principauté, au bord de la faillite, abandonnée par Menton et Roquebrune, s’interrogeait sur la politique à mener pour garantir son avenir.
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André PEYREGNEPublié le 16/06/2025 à 14:15, mis à jour le 16/06/2025 à 16:31
Monaco au XIXe siècle dans le journal L’illustration.Photo DR
C’était l’époque où, en l’espace d’un demi-siècle, les bouleversements de l’histoire avaient fait connaître aux Monégasques la Révolution, l’effondrement de l’Empire français, le rattachement du comté de Nice à la France, la disparition du Royaume de Piémont-Sardagine en tant que protecteur et voisin.
Au milieu du XIXe siècle, après 1860, la Principauté était mal en point. Elle ployait sous le poids des dettes et des désillusions. L’état des finances était alarmant. Le prince Charles III avait succédé à son père Florestan sur un trône aux dorures flétries. En plus de cela, depuis leurs collines embaumées d’oranges et de citrons, Menton et Roquebrune, ces deux filles rebelles, exprimaient leur désir de se séparer de la mère patrie.
Quelle politique pourrait donc sauver la Principauté ? Certains Monégasques imaginaient un nouvel essor de l’agriculture voire de l’industrie. Mais le prince Charles, lui, avait une autre idée…
Se retrousser les manches
Dans son édition du 27 avril 1862, le Journal de Monaco incitait les Monégasques à se retrousser les manches et à cultiver leur terre: "Il suffit d'avoir des yeux pour être frappé de l'aspect pittoresque de la Principauté, mais il faut avoir habité quelque temps le pays pour se faire une idée des ressources qu'il offre. Comme territoire, il est difficile de trouver un sol d'une fertilité plus extraordinaire. Peut-être, à l'heure qu'il est, ce sol n'est-il pas encore exploité comme il devrait l'être. Une certaine indolence naturelle aux trop heureux habitants du pays laisse improductifs divers fonds dont on pourrait tirer un meilleur parti. Que les possesseurs actuels en prennent conscience! Peut-être, sans s'en douter, laissent-ils dormir une fortune ; peut-être laissent-ils en friche plus d'un coin de terre qui ne demanderait qu'un peu de soin pour payer au centuple les frais qu'on y engagerait… Les légumes viennent on ne peut mieux dans cette terre généreuse. Voilà une ressource, une ressource précieuse, dont on semble se priver volontairement et pour laquelle on subit la loi du dehors. Nous avons les orangers, nous avons les oliviers, très bien. Cependant, est-on obligé de s'en tenir là? Ce n'est pas notre avis. La culture maraîchère a un grand avenir et on pourrait en faire un fructueux commerce."
La spéculation immobilière
Pendant que certains misaient sur l’avenir agricole de la Principauté, et que d’autres voyaient l’Europe s’ouvrir à un grand essor industriel, le prince Charles III, lui, en souverain visionnaire, songeait à un autre avenir. Il envisageait de développer cette activité nouvelle qu’était le tourisme. Il rêvait avec une étonnante obstination de bâtir une ville nouvelle.
Là où l’agriculture s’étiolait, où le roc s’éboulait, où les troupeaux maigrissaient sur le plateau des Spélugues, il envisageait de créer un monde nouveau de soie, de richesses et de rires. Il voulait construire une cité centrée autour des jeux d’argent. Il y aurait des hôtels, des jardins, et, bien sûr, un casino. En 1863, Charles III créa la Société des Bains de mer et en confia la présidence à François Blanc, directeur millionnaire du casino de Hombourg en Allemagne.
Cette politique eut évidemment des sceptiques. Mais d’autres, grisés par l’attrait de l’argent et des pierres neuves, n’hésitèrent pas à se lancer dans la spéculation. On vit des notaires et des banquiers débarquer, des géomètres s’activer, des promoteurs immobiliers multiplier des promesses et des acheteurs acheter.
Le Journal de Monaco qui, soutenant la pensée du Prince, avait fait évoluer ses points de vue, commenta: "Dans la Principauté, le vent est à présent à la spéculation. On achète des terrains, on en achète partout. Les acquéreurs il est vrai, quelques-uns d'entre eux au moins, n'achètent que pour revendre, sûrs d'un bénéfice qui n'est point à dédaigner. Les en blâmerons-nous ? Nullement. Ils voient juste, ils ont raison, ils saisissent le bon moment, ayant deviné l'avenir de Monaco, cet avenir que chacun proclame."
Le tourisme estival
Le Journal de Monaco se met à défendre l’avenir du tourisme: "Autrefois Monaco n'avait que sa saison d'hiver. Aujourd'hui, la saison d'été ne le cède nullement à la première ; l'année dernière nous l'a prouvé. Nos régates, dont l'inauguration est sur le point d'avoir lieu, vont nécessairement ajouter aux attractions recherchées par les touristes qui visitent notre pays. Ces fêtes de la mer, il faut le dire, manquaient à Monaco. Mais si nous n'arrivons pas les premiers sur le turf maritime, nous n'en espérons pas moins y tenir une place honorable. Les nombreuses et continuelles relations établies entre le port de Monaco et les autres ports de la Provence et de l'Italie, nous donnent le droit de compter sur un concours des plus actifs de la part des marins de la Méditerranée. Tout nous l'assure : les quatre Sociétés réunies de Cannes, Monaco, Saint-Tropez et Marseille pourront se prévaloir de la présence des voiles et des avirons les plus renommés du Havre, de Paris et de Bordeaux. Créée sous le patronage de S. A. S. le Prince, la Société des régates de Monaco ne peut qu’espérer un grand succès."
Et c’est ainsi qu’entre la tiédeur d’un monde qui s’éteint et les étincelles d’un autre qui s’invente, Monaco se mit à rêver de devenir ce qu’elle n’avait jamais été.
Monaco au début du XIXe siècle.
Photo Collection Médiathèque de Monaco.Premier casino de Monte-Carlo en 1865.
Photo Collection Médiathèque de Monaco.Plan de Monaco au XIXe siècle.
Photo Collection Médiathèque de Monaco.
L’essor de la parfumerie
Dans son édition du 13 juillet 1875, le Journal de Monaco suggérait d’innover dans le domaine de la parfumerie: "Nul ne sait sans doute à Monaco qu'on peut tirer une excellente eau-de-vie des oranges et des citrons, en plus d'une essence cotée très-haut dans le commerce et qui figure sur la place de Paris aux prix de 15 et 20 francs le kilogramme pour les premières, et de 25 à 30 francs pour les seconds. Voici les faits à l'appui: la Sicile ne fournit à Paris que des essences aux prix que nous venons d'indiquer et se contente du bénéfice qu'elle en retire et qui suffit à faire vivre le pays; mais aux Antilles et surtout en Californie où bon nombre de colonies françaises expédient des chargements de citrons et d’oranges. On fabrique tout à la fois, à l'aide de machines ad hoc, de l'essence d'abord, puis d'excellente eau-de-vie et enfin du vin. Le commerce prend, depuis deux ans à peine, une importance si considérable en Russie et en Turquie que la vente s'en chiffre déjà par centaines de milliers de francs. N'est-il pas évident que pareille entreprise faite dans la Principauté aboutirait promptement aux meilleurs résultats? Proximité des grands centres manufacturiers, facilités de communications avec les pays consommateurs, nouveauté de l'importation : tout viendrait en aide à ceux qui voudraient créer une usine de distillerie."
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