"On n'est plus le pays des droits de l'homme": la justice rejette la demande d'Albert, 102 ans, déporté en 1943 et forcé à travailler en Allemagne

Le Marseillais fait partie des 650.000 jeunes français qui ont été déportés dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO) mis en place sous le régime de Vichy. Il demande réparation à l'État.

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Sandrine Beigas Publié le 18/03/2025 à 14:30, mis à jour le 19/03/2025 à 16:32
Albert Corrieri, à l'audience au tribunal administratif de Marseille le mardi 25 février 2025. Photo Sandrine Beigas

Ce mardi 18 mars 2025, Albert est en colère. Pour le Marseillais qui se bat depuis 1957 afin d'obtenir réparation auprès de l'État, les juges l'ont surtout "fait attendre 18 jours pour rien"

Le 25 février dernier, lors de l'audience, la rapporteure publique avait conclu au rejet de la requête au motif qu'elle était "prescrite". Mais Albert espérait une autre réponse dans le jugement. 

Dans la décision rendue ce mardi, le tribunal administratif de Marseille a indiqué que le travail forcé dont a fait l'objet Albert Corrieri de mars 1943 à avril 1945 "ne constitue pas un crime contre l'humanité", s'appuyant sur l'article 212-1 du code pénal qui "définit et réprime certains crimes contre l'humanité". Sa "qualité de déporté" n'est pas non plus reconnue, "au sens de la loi du 26 décembre 1964"

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Pour Me Michel Pautot, l'avocat d'Albert, "il y a ici une distinction dans le traitement des crimes contre l'humanité, ceux qui seraient prescrits et ceux qui ne le sont pas. En ne retenant pas l'imprescriptibilité, les victimes du STO sont toujours les oubliés de l'histoire, voire les invisibles".

Il y a 82 ans, Albert a pourtant contraint avec des centaines d'autres jeunes de monter dans un train à la gare Saint-Charles. Envoyé à Ludwigshafen, ville où se trouve la principale usine de l’entreprise chimique allemande IG Farben (on y fabrique notamment le gaz Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz), il a été forcé pendant dix-huit mois à remplir des wagons de charbon, six jours sur sept, 10 heures par jour. Sur place, une bombe à retardement lui a traversé le bras droit et il a perdu des milliers de collègues.

Albert Corrieri avait 20 ans quand il a été déporté en Allemagne. Photo DR.

Demande d'indemnisation rejetée

Pour l'historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale Michel Ficetola, qui l'accompagne depuis plusieurs années dans ses démarches, "le problème, c'est que les membres du tribunal administratif sont des fonctionnaires de l'État. Neuf fois sur dix, ils vont donc dans son sens. J'avais bon espoir car je me disais la justice est quand même humaine. Ça n'a pas été le cas".

La demande d'indemnisation* a également été rejetée, prescrite selon la justice. "Lorsqu'il était en Allemagne, Albert a été esclavagisé en ne percevant aucune rémunération. C'est un droit fondamental qui a été bafoué dans cette affaire, car 'tout travail mérite salaire'", estime Michel Ficetola tout en rappelant qu'avant d'être déporté, le jeune homme était soutien de famille et avait un travail rémunéré.

Et d'ajouter: "Il faudrait être tous unis en Europe alors qu'on n'arrive pas à l'être en France? Cette décision dans l'affaire d'Albert, c'est encore la démonstration d'une coupure nette entre l'État et le peuple. Ce n'est jamais bon dans une démocratie. Et si on va plus loin, c'est le régime de Vichy qui n'est pas condamné dans cette affaire. Tout ça fait vraiment réfléchir. À chaque fois, on a l'impression de ne pas être entendus. On n'est plus le pays des droits de l'homme".

Si le coup est dur à encaisser, ni Albert ni ses deux soutiens n'ont l'intention d'abandonner. "S'il faut faire appel, on le fera", annonce le Marseillais qui fêtera ses 103 ans le 28 mai. Son avocat annonce qu'il va également saisir le président de la République, "d'autant que les rescapés du STO ne sont plus que quatre ou cinq".


*À raison de 10 euros de l’heure en tant que travailleur manuel qualifié dans l'usine pendant dix-huit mois, cela représente une réparation financière de 43.200€. Ce montant symbolique a été calculé par l'historien Michel Ficetola.

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