Il paraît qu’en 1180, sur dix-huit moines de l’abbaye de Saint Pons à Nice, quinze ne savaient pas écrire leur nom. C’est le célèbre historien niçois du XVIIe siècle Pierre Gioffredo qui l’affirme. On peut lui faire confiance. L’instruction avait de sérieux progrès à faire!
C’est cette évolution de l’enseignement à Nice au cours des siècles qui nous occupe aujourd’hui. À quand remonte la première école connue dans l’histoire de Nice? À 1461, selon Victor Emmanuel, publié en 1901 dans Nice-Historique. Un billet ducal d’Amédée IX, duc de Savoie, souverain de Nice, recommandait aux syndics de la ville de recruter maître Bernard de Saint-Heusio. Il serait chargé d’enseigner le latin, la grammaire, la rhétorique, la logique. Il débarqua avec son savoir dans la petite cité blottie au pied de son château…
En 1562, le collège des Jésuites
En 1562 arriva le grand collège des Jésuites, rue Droite, avec son cortège de soutanes et d’encens. Il prospéra jusqu’en 1773 lorsque les religieux furent chassés, laissant derrière deux siècles de science et de ferveur chrétienne.
Entre-temps, Victor-Amédée de Savoie avait fondé son Collège Royal, temple de la théologie, des mathématiques et des "humanités". On y était accueilli par un étrange personnage nommé "bidello", ainsi décrit par l’historien Victor Emmanuel: "Un peu portier, un peu mouchard, un peu bourreau, c’était lui qui entretenait la propreté des locaux, qui administrait les coups de verge aux élèves récalcitrants, lui qui le matin faisait sonner les cloches de la Tour Saint Dominique pour annoncer le début des cours, lui aussi qui organisait dans la ville l’espionnage prescrit par le règlement sur les mœurs, les lectures, les fréquentations des élèves…"
Pas d’école pour les filles…
Mais dans tout cela, point d’écoles pour les filles! En 1792, le savant François-Emmanuel Fodéré installé à Nice s’en indignera: "On pouvait estimer à 7500 personnes le nombre de personnes sachant lire à Nice. L’éducation était entièrement pour les hommes. Je connais peu d’endroits où l’éducation des femmes était aussi négligée… Lorsqu’un étranger se promenait sur la belle terrasse de Nice derrière des femmes élégantes, il était étonné d’entendre sortir de leur bouche des paroles sans grâce dans un patois grossier…"
En 1792, la Révolution apporte à Nice, dans l’ancien couvent des Augustins (à l’emplacement de l’actuel lycée Masséna), son École centrale. En 1812, suite aux réformes napoléoniennes, Nice ouvre dans le même lieu son premier lycée. Il a pour proviseur… le maire en personne, François de Orestis. Sept professeurs titulaires sont payés 1000 francs par mois. La discipline est rude. Les coups de bâtons pleuvent. Les élèves récalcitrants sont mis à genoux.
Une vague de "francisation"
Lorsque l’Empire s’écroule en 1815, Nice, on le sait, retourne au royaume de Piémont-Sardaigne. Sous les crucifix et les portraits du roi Victor-Emmanuel Ier, les lycéens niçois sont repris en mains par la Compagnie de Jésus. En primaire, les filles vont chez les Sœurs Grises et les garçons chez les Frères… dont on a oublié la couleur. Le succès de ces derniers est tel qu’ils ouvrent des cours du soir pour les adultes. Comme il faut éclairer les classes, la municipalité offre l’huile pour les lampes.
En 1860, l’histoire bascule à nouveau. Nice redevient française. Une vague de "francisation" s’impose alors dans les programmes scolaires.
Dans les années 1880, l’instruction publique s’enhardit avec les lois de Jules Ferry. L’enseignement est obligatoire, gratuit, laïque. Les vertus de la République sont exaltées par des maîtres en blouses grises, devant des enfants aux doigts et aux tabliers maculés d’encre. Sur le tableau noir fleurissent les maximes écrites en belles lettres rondes: "Le premier des devoirs d’un enfant, est l’obéissance"…
1931: le lycée Masséna
À partir de 1887, les jeunes filles, à Nice, ont leur lycée, qui portera plus tard le nom de l’llustre niçois inventeur du BCG, Albert Calmette.
Le 26 avril 1909, le président de la République Armand Fallières pose la première pierre du nouveau bâtiment du lycée Masséna. La guerre, l’inflation, l’explosion des prix repousseront son inauguration à vingt-deux ans plus tard, le 11 avril 1931, par un autre Président de la République Gaston Doumergue. Entre-temps, en 1926, a été ouverte une annexe dans l’ancien palace du Parc Impérial, déchu de la Belle Époque.
Derrière son binocle et sa barbiche, le professeur monte sur l’estrade et annonce d’un ton docte: "Aujourd’hui, en histoire de Nice, nous allons étudier l’abbaye de Saint Pons. Savez-vous qu’au début les moines n’avaient pas votre chance: ils ne savaient pas écrire…"
Repères
Du VIIIe siècle au siècle dernier, quelles sont les principales étapes de mise en place de l’école en France:
- VIIIe siècle: si, contrairement à la chanson, Charlemagne n’a pas "inventé l’école", il a encouragé la création d’écoles dans les églises et les monastères.
- XIIe siècle: naissance des universités (Paris, Montpellier, Toulouse), destinées à la formation des clercs et juristes.
- 1539: ordonnance de Villers-Cotterêts (François Ier) qui impose le français dans les actes officiels donc dans l’enseignement.
- XVIe siècle: fondation des premières écoles chrétiennes qui joueront un grand rôle dans l’éducation populaire.
- 1793: après la Révolution, Condorcet propose un plan d’instruction publique gratuite, laïque.
- 1802: création des lycées par Napoléon Bonaparte.
- 1833: loi Guizot: obligation pour chaque commune d’avoir une école de garçons et une formation pour les instituteurs.
- 1881-1882: lois Ferry, école gratuite, laïque et obligatoire de 6 à 13 ans.
- 1936: le ministre de l’Education Jean Zay (connu dans notre région pour avoir participé à la création... du Festival de Cannes) porte obligation de la scolarité à 14 ans.
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