"L’heure a sonné": Il y a plus d’un siècle, le prince Albert 1er lançait déjà un cri d’alarme pour l’Océan

« L’heure a sonné pour la prise en considération mondiale des grands problèmes de l’Océan », déclarait le prince de Monaco il y a plus d’un siècle lors d’un discours à l’Académie des Sciences de Washington.

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André Peyregne Publié le 07/06/2025 à 20:00, mis à jour le 07/06/2025 à 20:00
Le prince Albert 1er. Photo DR

"Mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement l’océan " : tel est le projet du Sommet sur l’Océan, du 9 au 13 juin à Nice. Le sujet est d’importance. Mais ne date pas d’hier. Il y a plus d’un siècle, le 25 avril 1921, le prince Albert 1er de Monaco prononçait un célèbre discours à l’Académie des Sciences de Washington. Ce vieil ami des houles, ce coursier des océans, portait en lui le pressentiment que les mers du Globe étaient en danger. Il passa une bonne partie de son existence sur l’eau, effectua vingt-huit expéditions scientifiques, construisit en 1910 le bâtiment emblématique de ses travaux, le Musée océanographique de Monaco.

Il prononça (en anglais) son discours à Washington alors que le monde se relevait du cataclysme de la Première Guerre mondiale. Il effectuait alors un voyage aux États-Unis qui dura d’avril à mai 1921 au cours duquel il visita la Smithsonian Institution à Washington. Il fut reçu à la Maison Blanche par le Président Harding – lequel, dit-on, s’étonna de tant de ferveur pour les poissons!

Il fut accueilli au National Museum Auditorium par Charles Walcott, président de la National Academy of Sciences. Il fut décoré de la médaille Agassiz récompensant ses travaux scientifiques.

Inquiétante lucidité

Ses mots, d’une inquiétante lucidité, évoquaient les périls qui guettaient déjà les mers: la surpêche, la technologie débridée. Il parlait déjà, en 1921, de mer blessée, de filets trop lourds, de machines dévastatrices. La technologie de son temps qui, pourtant, se réduisait à des chalutiers à vapeur bien inoffensifs par rapport aux bateaux d’aujourd’hui, lui inspirait déjà une vraie inquiétude. "L’heure a sonné pour la prise en considération mondiale des grands problèmes de l’Océan", déclara Albert 1er au début de son discours.

Les excès de la pêche industrielle

Dans un passage, il dénonçait des dangers des excès de la pêche industrielle: "... La destruction s’accentue progressivement dans les mers où la pêche moderne se poursuit avec des moyens de plus en plus puissants et nombreux, tels que les chalutiers à vapeur. Ces derniers labourent le sol même des plateaux continentaux en arrachant les herbes marines et en ruinant les fonds qui conviennent le mieux à la multiplication comme à la conservation d’une foule d’espèces. Si bien que, dans quelques années, le gagne-pain dont vivent encore aujourd’hui des centaines de milliers de pêcheurs avec leurs familles, sur les côtes européennes, aura presque disparu. Constamment les chalutiers travaillent plus loin, plus profondément, en plus grand nombre, et transportent partout où leurs dévastations sont possibles un gaspillage qui va sans doute bien au-delà de 50% des produits comestibles qu’ils visent."

Conférences internationales

Ayant dénoncé les ravages de la pêche industrielle, le prince Albert 1er faisait une proposition qui nous ramène au présent Sommet sur l’Océan: "Pour arrêter ce mal, je propose la réunion de conférences internationales très énergiquement pourvues des pouvoirs nécessaires pour faire respecter les décisions prises. Et je conseille l’adoption du principe des cantonnements qui a toujours donné des résultats excellents pour la conservation des espèces terrestres sauvages, parce qu’il repose sur la logique et la simplicité. D’ailleurs il fait ses preuves en ce moment sur les territoires marins où la guerre a sévi et où la pêche a été suspendue pendant quelques années; aussitôt que la pêche y a été reprise on a trouvé du poisson en très grande abondance et des spécimens d’une taille perdue depuis une trentaine d’années."

Protéger la végétation marine

Prendre soin des végétaux marins était aussi une préoccupation d’Albert 1er: « Au milieu des éléments qui forment l’harmonie du globe terrestre, il faut observer le rôle que tiennent les végétaux marins, des intermédiaires souvent placés entre le monde éteint et le monde vivant de notre planète. Si d’une part ils fournissent à de nombreux organismes la protection et la nourriture, un autre rôle important leur échoit encore: ils fixent des minéraux plus ou moins abondants au sein de la mer, et les livrent directement à l’exploitation du travail humain. Aussi conviendrait-il grandement de ménager et de cultiver ces produits de la mer qui sont aujourd’hui nos auxiliaires pour obtenir l’iode, le brome, l’algine, les sels de potasse, le chlorure de sodium, les sels de magnésie, de chaux, de fer, de manganèse. Malheureusement, ils sont déjà victimes du gaspillage dans quelques lieux.

On dirait que l’homme perd complètement la notion de prévoyance lorsqu’il se trouve devant la richesse. Alors il paraît subir un vertige qui le mène à la destruction radicale des choses, car il n’y a aucun produit de la nature qui puisse survivre aux entreprises irréfléchies de l’industrie humaine. C’est dans les plantes marines que nous trouvons et trouverons toujours plus sûrement qu’autre part ce que, tout au moins jusqu’à aujourd’hui, en insouciants, nous avons omis de leur demander, ou qu’en prodigues, nous avons dissipé… Le sol nourricier de la terre constamment s’appauvrit, au fur et à mesure que le liquide nourricier de la mer s’enrichit. » Que de sagesse et de prévoyance dans ces propos! Ils ont été prononcés en 1921.

Une exhortation aux Américains

Alber 1er sur les mers. Fresque de Louis Tinayre / Institut d’Océanographie de Paris.

Dans son discours sur l’Océan à Washington, le prince Albert 1er exhorte les Américains à prendre le leadership en matière de protection des mers. Ils ont sauvé la civilisation européenne en venant au secours de la France lors de la Première Guerre mondiale. Ils doivent continuer à donner l’exemple et sauver le monde marin!

"Vous, les Américains dont l’âme est si haut placée par la vigueur et la droiture de sa volonté, par le labeur inlassable auxquels notre humanité doit tant de progrès, vous ne faillirez pas à la tâche qui reste la vôtre devant nos malheurs. Car votre peuple est une émanation de notre personnalité, et vos grandes vertus ont été formées par le travail de toute la civilisation des siècles d’où nous sortons. Vous allez certainement continuer le rôle admirable que vous avez tenu devant l’ennemi commun pour sauver des semblables qui vous aiment. Et vous saurez attacher le nom de l’Amérique déjà si glorieux aux actes nécessaires pour sauver la richesse morale qui vient d’élever si haut les vainqueurs dont vous avez partagé la misère et la gloire."

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