De l'enfance dans la cuisine familiale au Guide Michelin, on vous raconte le parcours de Philippe Da Silva, chef surdoué emporté par la Covid-19
La Covid-19 a emporté le chef étoilé de l’Hostellerie des Gorges de Pennafort à Callas. Avec sa disparition, la gastronomie française perd un de ses meilleurs ambassadeurs
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Véronique GeorgesPublié le 25/04/2021 à 21:05, mis à jour le 26/04/2021 à 08:11
Philippe Da Silva aurait mérité le titre de chef le plus généreux de France.(Photo Franz Chavaroche)
Philippe Da Silva, chef étoilé de l’Hostellerie des Gorges de Pennafort, à Callas, avait en permanence une expression à la bouche: "C’est que du bonheur". Au lendemain de sa disparition, emporté par le coronavirus samedi à 67 ans, une autre est partagée par tous ceux qui l’ont connu: "Quel malheur".
Créativité, humilité, générosité, les trois ingrédients d’une vie à 100 à l’heure, qui s’est interrompue brutalement.
Les débuts
Fin 2019, Philippe Silva avait publié un livre sur ses 25 années passées à la barre de l’hostellerie des Gorges de Pennafort, à Callas.Clement Tiberghien / Nice Matin.
Né au Portugal, Philippe Da Silva avait 6 ans quand sa famille s’est installée à Cogolin. Comme nombre d’enfants d’immigrés, il a connu les piques, adressées au petit "Portos" qu’il était. L’école l’intéressait moins que la cuisine familiale, dans laquelle il aimait passer du temps à goûter les plats de sa grand-mère et de sa mère: civets, ragoûts et autres bonnes choses. Sa vocation était née. Apprenti à 14 ans au Galoubet (Port-Grimaud) il avait passé son CAP à l’école hôtelière de Toulon et fait ses armes dans de belles maisons du Golfe de Saint-Tropez, comme les Santons (Grimaud), chez Claude Girard, "mon maître, mon ami" disait-il.
La conquête de la capitale
Philippe Da Silva était parti conquérir la capitale à 20 ans. Chez Julius à Gennevilliers d’abord, où il rencontrait Jean-Michel Bédier, pour le retrouver en 1976 au Chiberta à Paris. Ensemble, ils ont fait les grands moments de cette table gastronomique (2 étoiles Michelin en 1987). Sa rencontre avec Martine, une Varoise non issue du milieu de la restauration, l’a ramené dans le département.
Avec son épouse et complice, ils ont relancé en 1995 l’hostellerie des Gorges de Pennafort, à la demande de la famille Garrassin. Un choix qui ravivait des souvenirs d’enfance. "Quand j’étais petit, on venait ici en été chercher la fraîcheur et se baigner dans les gorges", se rappelait-il en 2019, au moment de fêter ses cinquante années derrière les fourneaux.
L’hostellerie
Il a relevé le défi avec panache, une nouvelle étoile récompensant aussitôt ses talents, renouvelée chaque année par le guide rouge. Depuis 26 ans, l’établissement est devenu sous sa houlette l’un des plus courus de la région. Gêné par les compliments, Philippe Da Silva préférait mettre en avant les autres: "Sans une équipe, on ne peut rien faire, c’est elle qui travaille. Mon épouse fait le lien entre tout le monde, elle les materne. Sans elle, l’aventure n’aurait pas réussi. Il faut être deux". Ensemble, ils formaient un couple d’aubergistes, au sens noble du terme: Accueil chaleureux, table exquise, et ce supplément d’âme devenu si rare dans les restaurants, étoilés ou pas.
Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre, avait remis les insignes de chevalier du Mérite agricole au chef, en 2017.FRANZ CHAVAROCHE - Nice Matin / Nice Matin.
Le métier
Mettre du cœur à l’ouvrage était l’une des vertus cardinales du chef. Lui qui avait connu le fonctionnement presque militaire des cuisines à l’ancienne, était carré avec sa brigade, mais dans le dialogue plus que dans l’autoritarisme. Ce bourreau de travail considérait d’ailleurs que "ce n’en est pas un quand on part le matin et qu’on en a envie. Moi, j’ai toujours envie de travailler". Il y mettait de la passion et du sens.
À la recherche des meilleurs produits, il privilégiait la proximité: Les poissons d’Olivier Bardoux (Saint-Raphaël), les légumes de Bruno Cayron (Tourves) et de Philippe Auda (Roquebrune-sur-Argens), les truffes du Haut-Var, les huiles d’olive et vinaigres de Callas… Il transmettait aussi "le goût, ce qu’on sait faire, ce qu’on a appris. Cela permet aux autres d’évoluer, de faire mieux" indiquait-il. Il était heureux de voir les jeunes réussir.
Les passions
Outre la gastronomie, qu’il avait élevée au rang d’art, le maître queux se passionnait pour le sport. Fan de l’Olympique de Marseille, supporter du Rugby club toulonnais, amateur de tennis, de golf ou de basket, il était surtout accro à l’automobile. Il suivait les grands prix de Formule 1 et n’hésitait pas à se mettre au volant de bolides, ou aux côtés de Romain Grosjean et de Sébastien Loeb pour s’enivrer de sensations fortes.
Il se dépassait pour donner toujours le meilleur de lui-même et appréciait ceux qui, à son image, visaient toujours plus haut: les chefs évidemment, les sportifs et les artistes. Chanteurs, cantatrices, musiciens, peintres, sculpteurs, écrivains, acteurs, ils ont défilé à sa table, tout comme les politiques: Barack Obama, pas encore président des États-Unis, le prince Albert de Monaco, des ministres et autres personnalités du monde entier.
Philippe Da Silva, ici avec son épouse Martine, a fêté ses 50 ans de carrière en janvier 2019.Dylan MEIFFRET / Nice Matin.
L’homme
Mais s’il fréquentait les plus grands, venus avec leurs gardes du corps, Philippe Da Silva était resté le même: un homme simple et généreux, qui accueillait chacun comme un ami, le sourire sincère, l’œil malicieux. Et qui le régalait avec ses magnifiques recettes. "Je suis attaché aux gens, au bonheur des gens", répétait-il à l’envi. En fin de service, son plaisir était de partager ensuite une discussion, où ce sensible livrait parfois ses états d’âme.
Le petit Portugais devenu Français, était chauvin et patriote pour son pays d’adoption. Ses convictions étaient mises à rude épreuve devant les images les plus noires que la société actuelle peut montrer, ici comme ailleurs. Avec d’autres chefs, il avait cuisiné au Liban, connu la Syrie, l’Irak en temps de paix. Ce que ces territoires sont devenus lui faisait mal. "Se disputer c’est perdre du temps, expliquait-il. Je préfère donner de l’amour que de la méchanceté".
Donner, un verbe qu’il conjuguait comme personne, avec une gentillesse naturelle. Il multipliait les initiatives pour venir en aide à son prochain, organisant de multiples événements au bénéfice de nobles causes et associations, comme l’Adapei, les Restos du cœur, un Sourire pour la vie… En mars dernier encore, il avait offert des repas gastronomiques au personnel de la maison de retraite "les Mille Soleils" au Muy. En toute discrétion. Philippe Da Silva n’aimait pas se vanter, juste faire œuvre d’humanité.
À son épouse Martine, à son fils Alexandre, à sa maman, et à tous ses proches, la rédaction de Var-Matin présente ses condoléances émues et attristées.
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