Au détour d’une route que personne ne songe à emprunter, à part de rares randonneurs lancés vers le petit massif provençal du Mourre d’Agnis, apparaît à travers les branchages, un vignoble isolé.
À la sortie de Méounes-les-Montrieux, 9,5 hectares de vignes d’un seul tenant encerclent une bâtisse du XVIIe siècle, dans un cirque naturel à 420-470mètres d’altitude, posés là dans la plus grande discrétion. Un grand terroir à rouges oublié, qui attendait la rencontre avec un vigneron pour se révéler.
Sous les arbres, le sable
Cette route, Christian Ott et Pascale Jourdan l’ont empruntée pendant vingt-cinq ans, pour rejoindre, plus haut, un cabanon familial.
"Mes beaux-parents avaient acheté ici une ‘‘campagne’’. On y venait souvent, sur le trajet un vieux chêne m’intriguait – plus tard, nous l’avons fait dater, il a 750 ans. Il était si majestueux, je me disais que le terroir devait être exceptionnel, soit c’était le sol, soit l’eau en abondance", raconte le vigneron. Ce passionné de terroirs, à l’époque directeur général délégué des domaines Ott (Roederer) avec son cousin Jean-François, apprend que le vignoble repose sur un substrat de sables et de safres (des sables compactés) issus de la dégradation des roches depuis des millions d’années. "Les vignes poussent sur une veine sableuse à 80%, dans le prolongement d’une ancienne sablière", identifie Christian Ott.
Une rareté dans la région, qui signe les grands vins de vignerons - Emmanuel Reynaud du mythique château Rayas, le Clos du Caillou à Châteauneuf-du-Pape, etc. Des cuvées qui font les délices de Christian Ott.
"Quand j’ai su que c’était des sables, dans mon esprit de vigneron, j’ai eu l’intuition que ce terroir était un écrin à révéler, où nous pouvions créer une nouvelle expression des vins du sud", raconte celui dont la vie était alors "très établie".
L’ambition des grands rouges
Après vingt-six ans d’expérience aux domaines Ott (de 1995 à 2022), avec un héritage familial de renom, Christian Ott décide de repartir d’une page blanche. "J’avais envie de remettre mes mains dans le terroir et d’entamer une nouvelle aventure vigneronne avec Pascale", pose-t-il simplement. Cette aventure est celle du domaine Alône, racheté en 2018.
La richesse des sables, paradoxalement, naît de la pauvreté: en l’absence d’argiles pour retenir l’eau et les éléments nutritifs, "le système racinaire de la vigne descend en profondeur pour capter les éléments dont elle a besoin. Elle n’est jamais contrainte", explique Christian Ott. Les vins offrent un profil ciselé, plus austère, dépouillé de tout excès, débarrassé de tout gras, ils n’ont que leur finesse à proposer, en particulier le grenache.
L’intuition de ce cépage vient naturellement à Christian Ott, "je savais qu’il ferait des merveilles sur les sables". Le vignoble, par chance, en est pourvu, il réunit le triptyque habituel des rosés de Provence: grenache, cinsault, syrah. Mais c’est sur les rouges que le vigneron concentre ses efforts, dès le premier millésime 2020. L’année de la livraison de la cave.
"Sur une parcelle de grenache, j’ai immédiatement ressenti le potentiel des rouges qui m’ont donné Alône, notre grande cuvée, un pur grenache revendiqué en vin de France. C’est là que j’ai décidé d’appliquer une culture à rouges sur 80% de mon vignoble, le reste en rosés et les blancs arrivent", explique le vigneron qui a replanté grenache blanc et roussanne. Avec un souci du détail millimétré, le vignoble étant en bio, cultivé en biodynamie mais sans label.
L’utilisation de levures indigènes et l’élevage des vins dans différents contenants (petits foudres ovals pour un brassage naturel des lies, jarres en porcelaine, amphores en grès, et même des œufs réalisés avec les propres sables du domaine) lui permettent de révéler toute la finesse et la profondeur du fruit. "Ensuite, j’assemble et je laisse reposer six mois en bouteille, pour que tout se réhomogénéise", précise Christian Ott. La critique a immédiatement salué la délicatesse des parfums, le fruité juteux, les notes aromatiques intenses et la grande fraîcheur des vins d’Alône. Une production confidentielle (25.000 bouteilles), déjà placée sur les belles tables étoilées (l’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence, le Mirazur à Menton, le Cheval Blanc Saint-Tropez). Un grand terroir, de nouveau révélé.
Dégustation
Sable 2023
Ce rosé travaillé comme un blanc, élevé pendant un an pour moitié en porcelaines, œufs de sable et de grès, le reste en cuves inox, avec un bâtonnage des lies, révèle un nez élégant et floral, mêlé aux arômes d’abricots et de badiane. La bouche est dense, avec un joli gras contrebalancé par une tension qui amène beaucoup d’amplitude. Son caractère salin signe la finale. Avec des viandes blanches, du ris de veau.
Vin de France rosé, bio, 24 euros, domaine Alône, à Méounes-les-Montrieux.
Atmo
Une dominante de grenache, pour ce rosé atypique par son assemblage de trois millésimes, élevés dans différents contenants (porcelaine, grès, œufs de sable). Il s’ouvre sur des notes beurrées, de fruits secs et de fenouil. La bouche est opulente, mais ciselée, sur des arômes de fruits évolués (abricot, fruits secs, pêche mûre) et d’épices. Avec de la cuisine asiatique, de la poutargue, des petits farcis à la provençale.
Vin de France rosé multimillésimes, bio, 15 euros, domaine Alône, à Méounes-les-Montrieux.
Alône 2021
Un pur grenache élevé douze mois en œufs de sable (10 %), le reste en foudres. Au nez, il exhale l’orange sanguine, la violette et la pivoine, relevé par des notes subtiles d’épices tel que le poivre de Sichuan. La bouche à la fraîcheur profonde, est ample, sur les fruits noirs, la réglisse Zan, avec des tanins soyeux typiques des terroirs de sable. Avec des viandes grillées, des plats mijotés ou des fromages à pâte molle.
Vin de France rouge, bio, 38 euros, domaine Alône, à Méounes-les-Montrieux.
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