Un an après le tragique incendie aux Moulins, qui avait fait sept morts à Nice, l’émotion toujours intacte

Le 18 juillet 2024, sept personnes d’une même famille, étrangères au narcotrafic, périssaient dans un incendie criminel en lien avec les stups. Un drame qui a profondément meurtri ce quartier de Nice.

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Stéphanie Gasiglia Publié le 18/07/2025 à 04:00, mis à jour le 18/07/2025 à 04:00
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"Ils étaient tous si gentils. Ils souriaient tout le temps. Ils rendaient service à tout le monde. Leur porte était toujours ouverte. Quand on passe devant, on y pense, c’est terrible. Ici, on est habitués à la violence, mais pas comme ça", murmure Aïda en levant les yeux vers le dernier étage du 38, rue de la Santoline, ce bâtiment surnommé "le camembert" où, il y a un an, s’est joué le drame des Moulins, à l’ouest de Nice. Cette cité d’où on ne s’extirpe jamais, ou presque.

Au-dessus des fenêtres avec vue sur le bruyant boulevard du Mercantour, subsistent les traces noires des flammes, violentes, qui ont léché la façade et emporté sept personnes… Un drame qui a profondément meurtri ce quartier défavorisé où l’entraide et la solidarité sont des valeurs plus importantes encore qu’ailleurs.

"Ils faisaient beaucoup de bonnes choses aussi pour leur village aux Comores. Ils envoyaient des médicaments et des fournitures pour l’école des enfants", se souvient Aïda. Un jour, c’est l’aîné de la fratrie qui a raccompagné son plus jeune fils à la maison: "Il l’avait croisé en train de pleurer, il était tombé et s’était écorché tout le genou. Il l’a réconforté et me l’a ramené, comme si c’était son grand frère et il était resté avec nous, on avait discuté. Un bon jeune…"

Trois départs de feu, un appartement s’embrase

" Je n’ai pas été réveillée par le bruit, j’ai appris la triste nouvelle le lendemain matin. Tout le monde était en pleurs", soupire la quadragénaire qui habite une tour dont le hall est squatté par les dealers, juste derrière le 38, rue de la Santoline. C’est là, au septième étage de l’escalier 48, que sept membres d’une même famille d’origine comorienne sont décédés dans la nuit du 17 au 18 juillet 2024. Sitty, la maman qui allait fêter ses 47 ans; son compagnon, Abdoulkassim, 43 ans; quatre enfants: Oumaya, 5 ans, Binti Sandjema, 10 ans, Omar, 7 ans, et Afrady, 17 ans. Et puis la "tata", Chafika, 23 ans, une amie de la maman, venue leur rendre visite. La famille n’était pas visée par les trois feux allumés volontairement aux 1er, 2e et 3e étages de leur cage d’escalier par un commando, sans foi ni loi. Ce quartier, où la délinquance se heurte inlassablement au quotidien, et qui se meurt des trafics.

"Ils ne méritaient pas ça"

"Ils étaient tout le temps ensemble, ils s’aimaient tous beaucoup. Abou considérait les enfants de Sitty comme les siens", confie Asmina qui les a connus. Elle, réside à l’autre bout de la ville, à L’Ariane. Elle s’était alors liée à Sitty et certains de ses enfants, avant qu’ils ne s’installent à l’ouest. Entre L’Ariane et Les Moulins, la famille avait vécu aussi un temps dans le centre de Nice.

"Abou était très travailleur, il était dans le bâtiment. Il travaillait un peu à Monaco, un peu à Nice. Sitty s’occupait des personnes âgées, elle leur faisait des courses, un peu de ménage, c’était une bonne personne", pleure Asmina. "Ils ne méritaient pas ça, personne ne mérite ça", enchaîne la jeune femme qui va bientôt rentrer aux Comores avec son mari et ses enfants pour "visiter" les grands-parents. Le clan décimé lui aussi "rêvait de retourner dans le pays, un jour, pour les vacances", souffle l’amie de la mère. Le terrible destin d’une famille sans histoire, soudée et bien intégrée. Totalement étrangère au narcotrafic. "Ils aimaient la France, ils étaient reconnaissants. Mais ils n’avaient pas oublié leurs racines", dit encore Asmina. Si elle peut, elle promet qu’elle se rendra aux Moulins dans la journée. "Les petits ont fait des dessins pour les enfants. Et j’ai préparé une couronne de fleurs en papier pour honorer leur mémoire", conclut-elle.

Trois frères survivants

Aux Moulins, ce quartier prioritaire où les façades de béton amplifient encore la chaleur écrasante de juillet, Sunny a trouvé un coin d’ombre pour réparer son vieux scooter. "Mon père a tout vu, moi je dormais", articule-t-il les mains sur la roue avant de sa moto. "Il en parle toujours et il prie pour eux. Il a vu le père par terre, il a vu les pompiers et la police", se désole le gamin des Moulins. Sunny est un copain de Zayairoudine, un des trois enfants survivants. Aujourd’hui âgé de 20 ans, c’est lui qui a sauvé son cadet, Afouwady, le jumeau d’Afrady, en le faisant respirer à la fenêtre alors que le feu embrasait leur logement. À la fenêtre d’à côté, son beau-père vient de sauter dans le vide, suivi par son autre frère Zakidine, 24 ans, grièvement blessé et qui se remet doucement.

"Cet évènement a bouleversé ma vie"

Aujourd’hui, les trois garçons rescapés ont trouvé refuge en Bretagne, recueillis par leur oncle. "Ça m’a vraiment touché, mais pas uniquement moi, toute ma famille. Chez nous, on est quatre. Mais, ma sœur qui a péri dans l’incendie, c’était la seule avec qui on s’entendait très bien. Donc c’est avec elle qu’on subvenait aux besoins de nos parents. Aujourd’hui qu’il y a eu l’incendie, je me retrouve tout seul à subvenir aux besoins de mes parents", entame Toildine, 31 ans, le frère de Sitty.

Zakidine "va mieux"

Après l’incendie, il a tout quitté pour venir à Nice et s’occuper de ses trois neveux. À cause des multiples blessures de Zakidine, il a fallu attendre le feu vert des médecins pour envisager le transfert en Bretagne, où résident l’oncle et sa famille. Depuis, ils apprennent à vivre ensemble: Toildine, son épouse et ses enfants, avec Zakidine, Zayairoudine et Afouwady. Pas toujours simple, forcément. Heureusement, Zakidine "va mieux".

"Cette situation, je ne l’ai pas demandée. C’est juste un imprévu qui est tombé comme ça, dans nos vies, enfin dans ma vie. Je me retrouve moi, ma famille, c’est-à-dire ma femme et mes enfants, avec les enfants de ma sœur. Cet événement, ça a vraiment bouleversé ma vie. Vraiment, vraiment. Ça m’a touché profondément dans le cœur et j’essaie d’avancer, mais c’est difficile, c’est difficile de digérer et je pense que ça le sera tout au long de nos vies" tente-t-il pudiquement d’expliquer. Il souhaite plus que tout que justice soit rendue. "Moi, les garçons et la famille, on veut que justice soit faite et que notre colère et notre tristesse soient entendues au niveau du tribunal. C’est tout ce qu’on demande, confie le tonton, meurtri à jamais. Ce drame, ça a marqué l’histoire de Nice, l’histoire de notre pays aussi, ça a vraiment bougé le monde entier. C’est surtout en raison de la façon dont ça s’est passé. Eux, ils n’ont rien fait, on les a juste tués, comme s’ils étaient des bêtes."

Au troisième étage, le dernier départ de feu des incendiaires a embrasé entièrement les parties communes, avant de monter jusqu’aux étages supérieurs et s’engouffrer dans l’appartement de la famille. Photo Dylan Meiffret Photo Dylan Meiffret.

Le commanditaire présumé sous les verrous en Afrique

De source policière, c’était une autre famille que ciblaient les assassins. Dès les jours qui ont suivi le drame, la rumeur s’était déjà infiltrée, tenace, entre les tours HLM des Moulins: le commanditaire est lié au trafic de stupéfiants qui sévit de l’autre côté de Nice. Ça se précise. Mercredi, le procureur de la République, Damien Martinelli, a annoncé l’interpellation en Algérie du dernier incendiaire présumé, mais surtout, le 22 décembre en Guinée-Bissau, d’Hervé M., 26 ans, originaire du Sénégal. Suspecté d’avoir organisé cette opération, il est étroitement lié au narcotrafic des quartiers Est niçois, déjà condamné à de la prison ferme. Quatre suspects présumés avaient été identifiés et cueillis dans les deux semaines qui avaient suivi le drame. Un cinquième individu les a rejoints en détention provisoire le 4 juillet.

La préparation du commando et l’ensemble des rouages de l’opération n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Damien Martinelli prévient: "Les investigations se poursuivent de manière intense pour identifier et interpeller toutes les autres personnes susceptibles d’être impliquées dans l’organisation et la commission de cet incendie criminel".

De gauche à droite, Cyril Faille, le juriste qui a suivi le dossier, Mes Michèle Roufast et Philippe Soussi, les avocats des enfants rescapés et de familles de victimes. Photo S. G. Photo Stéphanie Gasiglia.

"Les familles attendent qu’on leur parle"

"Un an après, les familles endeuillées que je représente demeurent plongées dans une douleur absolue", insiste Me Philippe Soussi, avocat de Toildine, des enfants rescapés et de Chaher, le frère de la tata. "Le drame a été fulgurant, brutal, incompréhensible. Ces familles vivent un traumatisme profond, auquel s’ajoute un besoin essentiel de compréhension et de reconnaissance", avancent le conseil niçois et sa consœur, Me Michèle Roufast.

Un silence "difficile pour ceux qui ont tout perdu"

"À ce titre, je salue le travail engagé avec sérieux et rigueur par le parquet de Nice et par le juge d’instruction. Leur mobilisation et leur implication sont essentielles pour faire toute la lumière sur ce drame et répondre aux attentes légitimes des victimes", lancent-ils. Pour autant, poursuivent les deux avocats, "il est impératif que les familles soient davantage accompagnées dans ce processus judiciaire long et complexe. Elles n’ont pas accès au dossier tant qu’elles n’ont pas été entendues par le juge d’instruction. Mais ce silence, même s’il s’explique juridiquement, demeure extrêmement difficile à vivre pour celles et ceux qui ont tout perdu. Ce qu’elles attendent, c’est qu’on leur parle, qu’on les considère, qu’on les soutienne."

Et de résumer: "Ce drame ne doit pas être relégué à un fait divers. Il engage notre responsabilité collective. Il exige qu’on donne aux victimes la place, le soutien et la considération qu’elles méritent."

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