"Respecter le corridor, c’est sauver des vies": au péage du Capitou sur l'A8, les carcasses de 28 fourgons de patrouille accidentés exposées pour "une prise de conscience des usagers"

Les moyens d’intervention sur des incidents sur l’autoroute – patrouilleurs, secours, forces de l’ordre, dépanneurs – sont trop souvent victimes de collisions.

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Philippe Zamari Publié le 26/07/2025 à 04:45, mis à jour le 26/07/2025 à 11:47

Marquer les esprits. En alignant depuis ce vendredi matin, au péage du Capitou de Fréjus, 28 sinistres carcasses de fourgons de patrouilles heurtés, Vinci Autoroutes veut susciter une prise de conscience. L’opération choc de sensibilisation est accompagnée d’un slogan qui l’est tout autant: "Et vous, quand allez-vous percuter?", qui s’interprète au sens figuré autant qu’au sens propre.

Ce chiffre, 28, ne doit rien au hasard. "En moyenne, sur le réseau Vinci, un fourgon par semaine se fait heurter, environ. Cette opération ayant commencé la 28e semaine de l’année, son but est de représenter l’impressionnant nombre de fourgons heurtés depuis le début de l’année", explique Philippe Erman, directeur d’exploitation Vinci Autoroutes sud-est. "Si l’on prend en compte les chiffres de l’ensemble du réseau autoroutier national, ce chiffre double", observe Joséphine Guigliano-Boutonnet, directrice de cabinet du préfet du Var.

Tony Nellec, le 3 mars 2024 à La Turbie

En 2024, 43 fourgons d’intervention de Vinci ont ainsi été heurtés. "Au total, près de 200 accidents impliquant des véhicules d’intervention ont été recensés en 2024 en France. Avec un bilan humain très lourd: treize blessés et deux morts, parmi lesquels le patrouilleur de Vinci Tony Nellec, le 3 mars 2024 à La Turbie, dans les Alpes-Maritimes…" Ce triste rythme, "le même depuis des années ", selon Philippe Erman, se maintient en 2025, où l’on recense à ce jour 24 heurts de fourgons sur le réseau national de Vinci Autoroutes…

Face à ce fléau, les patrouilleurs sont en première ligne, mais ne sont pas les seuls: les forces de l’ordre, les dépanneurs en intervention sont également concernés, comme les sapeurs-pompiers. Personne n’a ainsi oublié la tragédie de Loriol, en 2002, lorsqu’un automobiliste de 81 ans qui roulait trop vite, avait percuté huit pompiers en intervention sur l’autoroute, en tuant cinq et en blessant trois autres. "Les suraccidents de ce type sont toujours très graves", constate le contrôleur général Eric Grohin, chef de corps duService départemental d’incendie et de secours (Sdis) du Var. "En cas d’intervention sur l’autoroute, nous travaillons main dans la main avec les équipes de Vinci et les gendarmes de l’autoroute, afin de porter secours le plus rapidement possible, et en sécurité autant que possible. Cela fonctionne bien, mais certains usagers roulent beaucoup trop vite, ne sont pas attentifs, et ne respectent pas le corridor de sécurité".

Représentants de Vinci, des forces de l’ordre, des services de secours et de l’État entendent " susciter une prise de conscience des usagers ". Photo Florian Escoffier.

"Un problème de comportement des usagers"

Car ces percussions ne sont pas une fatalité. "Dans trois cas sur cinq, ces accidents sont dus à un problème de comportement de l’usager", note Philippe Erman: "Inattention, somnolence et surtout, distraction par le smartphone…"

Joséphine Guigliano-Boutonnet dénonce "un phénomène de délinquance routière… Certains roulent bien trop vite, 30 à 40km/h au-dessus des limites, et c’est souvent combiné avec de la polyconsommation, alcool et stupéfiants. Ces comportements doivent être combattus." La directrice de cabinet du préfet pointe aussi "un certain relâchement, traditionnel en période estivale… Par exemple, certains conducteurs sur de longues distances, un peu trop impatients de parvenir à destination, font moins de pauses que nécessaires, roulent un peu plus vite que la limitation… Mais ce sont des risques inutiles, l’important est de bien arriver à destination, en toute sécurité!"

Au-delà de la problématique du jour, Joséphine Guigliano-Boutonnet dressait un triste bilan de la sécurité routière, "avec déjà 32 morts sur les routes du Var en 2025 ".

Intelligence artificielle

Outre la sensibilisation du public, Vinci avance sur plusieurs fronts face à ce phénomène. "En termes de formation de nos salariés, d’abord, pour laquelle nous avons ouvert une école spécifique en 2022, à Brive. Nous travaillons aussi à des évolutions réglementaires, en lien avec les services de l’État. Ou encore à des évolutions technologiques, avec le système PatrolCare. Installé sur les fourgons, celui-ci permet, grâce à une caméra, un PC et le recours à l’intelligence artificielle, de détecter une trajectoire anormale et menaçante, ce qui déclenche une sirène d’alerte". Vinci œuvre aussi à la sensibilisation auprès des auto-écoles ou des fédérations de transport notamment.

Autant d’avancées précieuses, mais rien ne remplacera "le nerf de la guerre", comme l’appelle Philippe Erman, à savoir "le bon comportement des usagers des routes et autoroutes".

Cette opération choc a déjà été présentée cet été sur des péages fréquentés, dans les Yvelines et en Gironde. Visible à Fréjus jusqu’à mardi, elle prendra ensuite la direction de Lançon-de-Provence puis de Vienne.

Méconnu et peu respecté corridor de sécurité

Trop méconnu, et surtout trop peu respecté, le corridor de sécurité est pourtant obligatoire, inscrit au Code de la route depuis 2018. "Son non-respect peut entraîner une contravention de 135 euros", note Joséphine Guigliano-Boutonnet, "mais surtout, le respecter, c’est sauver des vies…"

Instauré par le décret du 17 septembre 2018, ce corridor de sécurité consiste "en une barrière virtuelle que tout conducteur doit respecter dès l’approche de personnels intervenant sur le bord d’une route, voie rapide ou autoroute", précise Vinci Autoroutes.

"Je ralentis, je m’écarte… Je sauve une vie"

"Concrètement, lorsqu’un véhicule équipé des feux spéciaux, ou tout autre véhicule dont le conducteur fait usage de ses feux de détresse, est immobilisé ou circule à faible allure sur un accotement ou une bande d’arrêt d’urgence, tout conducteur circulant sur le bord droit de la chaussée doit, à son approche, réduire sa vitesse conformément à l’article R. 413-17 et changer de voie de circulation après s’être assuré qu’il peut le faire sans danger. Si le changement de voie n’est pas réalisable, le conducteur doit s’éloigner le plus possible du véhicule en demeurant dans sa voie."

Pour résumer: "l’approche d’une intervention, je ralentis, je m’écarte… et je sauve une vie", résume la directrice de cabinet du préfet du Var.

Selon l’édition 2025 du Baromètre européen de la conduite responsable de la Fondation Vinci Autoroutes, 64% des conducteurs n’appliquent pas systématiquement la règle du corridor de sécurité.

Patrouilleur basé au Cannet-des-Maures, Jean-Marie Pellissier a été percuté par un poids lourd dans son fourgon, en 2016. Photos Florian Escoffier Photo Florian Escoffier.

"J’ai vu le poids lourd, je me suis dit "c’est pour moi"

Membre des "femmes et hommes en jaune au bord des routes", il officie "chez Escota" (devenu filiale de Vinci), comme disent encore de nombreux Varois,. Patrouilleur pour Vinci, basé au Cannet-des-Maures, Jean-Marie Pellissier reste "fortement choqué" par le heurt dont il a été victime en août 2016, sur l’A8, à hauteur du PK82 entre Le Cannet et Brignoles.

"Serrer les dents et attendre que ça passe…"

Seul à bord de son fourgon, après avoir repéré des morceaux de pneus éclatés sur la bande d’urgence, "je me suis arrêté pour aller les évacuer. J’ai allumé la flèche lumineuse sur le fourgon, le gyrophare, etc. Je m’apprêtais à me détacher, et je ne l’avais heureusement pas encore fait, lorsque j’ai repéré dans mon rétroviseur un poids lourd qui roulait sur la bande d’arrêt d’urgence. J’ai klaxonné, mais ça ne suffisait pas. Il arrivait sur moi et là… (silence) Il n’y a pas grand-chose à faire, serrer les dents et attendre que ça passe. Il m’a percuté sur le côté du fourgon. "

Du fracas, Jean-Marie ne sort "pas blessé, heureusement… Mais très choqué. On est vulnérables, quand on s’arrête. On en est conscient, on fait attention à tout ce qu’on fait, au respect de toutes les règles de sécurité, les procédures, le matériel… Et ça arrive quand même."

Le patrouilleur a repris le chemin du travail, "je serai d’astreinte ce week-end avec mon collègue Edmond. Nous, nous sommes là pour vous protéger. Nous avons une famille et une fois notre journée de travail achevée, nous voulons la retrouver, tranquillement", conclut "l’homme en jaune".

Pensez à lui, et à tous ses collègues, lorsque vous êtes au volant...

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