"Je suis dans le déni, c’est ce qui me sauve": victime d’une tentative de féminicide à Monaco il y a trois ans, elle témoigne de sa difficile reconstruction
Trois ans après avoir été poignardée à de multiples reprises par son ex-compagnon et dans l’attente d’un procès, Fanny témoigne de la lente et difficile reconstruction d’une victime de tentative de féminicide.
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Thibaut ParatPublié le 29/04/2025 à 12:45, mis à jour le 05/05/2025 à 12:18
Fanny, 24 ans au moment des faits, est désormais maman d’un garçon de 19 mois.
Photo Thibaut Parat
Ses mains fraîchement manucurées laissent apparaître plusieurs cicatrices. D’autres, plus nombreuses mais dissimulées par ses habits, lézardent son corps. Trente-quatre plaies au total. Stigmates de ce matin du 17 avril 2022 à Monaco, jour de Pâques, où Fanny (1), 24 ans, a reçu de multiples coups de couteau, assénés par son compagnon de l’époque de dix ans son aîné (2). Arrêté en France puis extradé en Principauté, celui-ci a depuis été placé en détention provisoire à la maison d’arrêt pour "tentative d’homicide volontaire". "On ne peut pas imaginer qu’un truc aussi dingue va nous arriver. On n’oublie jamais, on vit avec", témoigne-t-elle auprès de Monaco-Matin, la voix assurée.
"Avec ma famille, on sait qu’on peut en parler mais on ne le fait pas"
C’est dans cette résidence du boulevard du Jardin exotique, le 17 avril 2022, qu’avait eu lieu les faits.
Archives J.F.-O.Photo Jean-François Ottonello.
Alors que l’instruction a été clôturée ce vendredi 18 avril par le juge en charge du dossier (3) – quasi 3 ans jour pour jour après les faits – cette Monégasque aujourd’hui âgée de 26 ans témoigne courageusement de la lente et difficile reconstruction des victimes de tentative de féminicide.
Elle n’évoquera pas le drame ni les coulisses d’une relation toxique, elle réserve sa version des faits pour les magistrats et jurés du tribunal criminel. Elle ne prononcera pas, non plus, le nom de celui qu’elle surnomme "mon agresseur". "Globalement, ça va, mais le moral est en dent de scie. Il y a des périodes d’euphorie où ça va très bien puis d’autres où ça va très mal. Je ne réalise toujours pas, je suis dans le déni, c’est ce qui me sauve", estime-t-elle.
La nuit, l’inconscient se rappelle épisodiquement à elle avec des cauchemars pendant lesquels le traumatisme refait surface. Avec sa famille, le sujet n’est pas tabou, mais le silence prime. "On sait qu’on peut en parler, mais on ne le fait pas."
Fanny préfère se livrer à cœur ouvert à son psychologue, une fois par semaine, en visio depuis son affectation en Corse. "Je n’aurais pas été capable de changer de psychologue et de rouvrir les plaies. Ça a été dur d’en trouver un avec qui ça marchait".
Dix jours seulement après les faits, elle a quitté le Centre hospitalier Princesse-Grace où elle avait été soignée mais aussi entendue par les enquêteurs de la Sûreté publique. "Je n’étais clairement pas prête psychologiquement à sortir aussi tôt. Il n’y a pas eu de réel suivi psychiatrique. Et puis, j’ai été très mal suivie par l’assistante sociale, au début", explique celle qui a repris le travail par nécessité financière en août 2022, d’abord à plein temps puis en mi-temps thérapeutique.
Fanny parle de "défaillance du système" et cite des exemples et maladresses parmi d’autres: le combat administratif pour se faire reconnaître travailleuse handicapée, le contrôle des Caisses sociales de Monaco à son domicile pendant son arrêt maladie et le reproche adressé car elle se trouvait à la montagne. "Je n’avais pas la grippe ou le Covid. J’avais été poignardée. J’aurais dû être assignée à résidence? Tout le monde connaissait mon histoire. Il n’y a pas 15 cas comme le mien à Monaco, déplore-t-elle. J’avais l’impression d’être quelqu’un de lambda qui abusait du système. Cela m’a affectée. Car on vit déjà avec les faits mais on doit aussi préparer la vie d’après. Et on ne nous aide pas… Je pense que Monaco est très mal préparé à recevoir des victimes de tentatives de féminicide. Il faut que cela change. Heureusement, j’ai rencontré des personnes qui avaient un cœur, qui ont pris en considération ce qui m’était arrivé, un docteur à la médecine du travail et à la Direction de l’action et de l’aide sociales."
"On ne peut pas aller de l’avant"
Elle regrette, aussi, "la lenteur judiciaire", un temps long pourtant nécessaire à la manifestation de la vérité. "C’est valable pour moi mais aussi pour la famille de mon agresseur. On ne peut pas aller de l’avant.Les différents actes de procédure de l’instruction m’ont replongé dans l’événement. Ce n’est pas hyper marrant à vivre. Même si c’est la procédure, elle n’est pas pensée pour les victimes."
Si des étapes doivent encore être franchies avant la tenue d’un procès, Fanny redoute évidemment ce moment au palais de Justice. "Je vais devoir y passer, me replonger là-dedans. Il sera là, je serai là. Ça sera intense en émotions pour moi, évidemment, mais aussi pour ma famille, mes amis qui tiennent à être présents pour me soutenir, poursuit-elle. J’attends une condamnation, bien sûr, mais elle ne sera jamais à la hauteur de ce que j’ai vécu."
Fanny songe surtout à l’après.
"Qu’importe la peine prononcée, on habite sur 2km², on est tous les deux Monégasques. Une mesure d’éloignement n’aura pas de sens. Que pourra-t-on me proposer pour me protéger? En tant que victime, je pense forcément déjà à ça. Je sais ce que j’ai vécu, je sais ce qu’il a fait, je connais son niveau de dangerosité…"
"Je sais que les belles histoires d’amour existent"
Autour de son poignet, un bracelet affiche le mot "love". Signe que ce passé douloureux n’entachera pas sa quête de l’amour. "J’ai grandi avec un exemple de parents qui sont ensemble depuis l’adolescence. Je sais que les belles histoires d’amour existent et, oui, j’y crois encore. Quand on a vu la mort de près, on fait les choses rapidement. Depuis avril 2022, je me suis mariée, j’ai eu un petit garçon qui a aujourd’hui 19 mois". Sa plus belle raison de vivre, celui qui la fait tenir dans les tempêtes émotionnelles. "Mais trouver une personne pour endurer mon passé n’est pas une mince affaire. Je suis aujourd’hui en procédure de divorce. J’ai vécu un événement traumatisant et la personne avec qui j’ai eu cet enfant a eu du mal à vivre avec ça, n’a pas compris à quel point j’étais traumatisée (...) Les gens bien existent, alors je pense qu’il ne faut pas perdre espoir."
(1) Le prénom a été modifié. (2) Celui-ci est pour l’heure présumé innocent. (3) Une audience de mise en accusation devant la chambre du conseil de la Cour d’Appel est pressentie à la rentrée.
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