Piqûres sauvages: face à l’anxiété collective, on démêle le vrai du faux

Le phénomène a ressurgi avec la Fête de la musique cette année. Il reste difficilement quantifiable, tant les enquêtes ont du mal à aboutir. De quoi susciter un vent de panique avec la saison des festivals qui s’ouvre.

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Julie Baudin Publié le 15/07/2025 à 13:30, mis à jour le 15/07/2025 à 13:30
Des stories sur Instagram, Snapchat et TikTok sont postées, partagées des dizaines de milliers de fois partout en France pour appeler à la prudence les jeunes femmes, qui seraient les cibles principales. Photo Cyril Dodergny

Quelques jours avant la Fête de la musique, le bruit s’est répandu comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux prisés des jeunes: "Alerte aux piqûres sauvages! Des hommes ont prévu d’attaquer et de piquer des jeunes femmes le soir de la Fête de la musique."

Des stories sur Instagram, Snapchat et TikTok sont postées, partagées des dizaines de milliers de fois partout en France pour appeler à la prudence les jeunes femmes qui seraient les cibles principales de ces injections sauvages de produits incapacitants, dont le but serait de faciliter un viol.

Les enquêteurs affichent la plus grande prudence

Elles ont aussi semé chez certaines personnes beaucoup de panique, alors même que les rassemblements festifs publics vont se succéder cet été autour des festivals et autres événements.

Ce mode opératoire, mis sur le devant de la scène en France en 2022, interroge beaucoup les enquêteurs qui affichent la plus grande prudence sur ces mystérieuses vagues de piqûres sauvages: les traces sont complexes à identifier, les analyses toxicologiques souvent négatives.

Cette année, à l’issue de la Fête de la musique, au niveau national, 145 personnes ont tout de même déposé plainte.

Dans les Alpes-Maritimes, une dizaine de victimes auraient été recensées par les forces de l’ordre.

"Il s’agit essentiellement de jeunes femmes, qui pensent avoir été piquées, puisque certaines ne présentaient pas de traces de piqûre et aucune preuve d’injection ou de substance n’est pour l’instant confirmée, livre une source policière. Elles disent avoir ressenti des effets comme des bouffées de chaleur, un évanouissement, mais cela peut également être dû à la consommation excessive d’alcool ou de stupéfiants."

Sollicité à ce sujet, le procureur de la République de Nice fait savoir, par la voix de son chef de cabinet, qu’"aucune procédure concernant des faits de piqûre n’a été portée à la connaissance du parquet".

Pour le ressort du tribunal de Grasse, "trois plaintes ont été déposées pour suspicion d’administration de substances nuisibles dans le cadre de la Fête de la musique. Le commissariat de Cannes est saisi de l’enquête qui se poursuit sous la forme préliminaire, dans l’attente notamment du retour des analyses toxicologiques."

Vent de panique à Valbonne, mais aucun cas avéré

Avérée ou pas, à Valbonne-Sophia Antipolis, le soir de la Fête de la musique, "la crainte de piqûre a créé une véritable panique", confie une habitante.

"Déjà il y a eu un monde fou en très peu de temps, avec des jeunes qui profitaient bien de la fête et qui commençaient à être alcoolisés. À un moment, assez tôt dans la soirée, le bruit a couru que des hommes piquaient les femmes avec une seringue. Le DJ qui animait la soirée a même fait plusieurs appels au micro."

Lena a 14 ans, elle était présente à cette soirée avec des amies: "J’avais vu les messages d’alerte sur les réseaux sociaux mais je pensais qu’à Valbonne, on serait tranquilles. Ç+a a été une hécatombe, dit-elle, encore un peu bouleversée. Le DJ a indiqué au micro qu’il y avait un piqueur et il y a eu un mouvement de foule. J’ai vu ensuite trois filles faire des malaises, tomber et partir avec les pompiers. J’ai vu un homme avec une piqûre et je l’ai décrit aux gendarmes… J’étais en panique et j’ai appelé ma mère, qui était à Biot, pour qu’elle vienne me chercher."

La municipalité recense "quatre jeunes filles avec des suspicions de piqûres. Elles ont été prises en charge par les pompiers mais au final, une seule présentait une boursouflure au niveau du bras. Toutes sont parties à l’hôpital, elles ont été examinées mais cela n’a rien donné…"

Quant au risque de contamination à une maladie transmissible telle que le VIH, il n’a jamais été rapporté dans aucun des cas. Face à la psychose engendrée par ces piqûres, la Société française de lutte contre le sida s’était d’ailleurs fendue en 2022 d’un communiqué pour rappeler que le risque demeurait "très faible".

Mettre en garde contre les "discours masculinistes", tout en croyant les victimes

Pour Alexia Dominey, du collectif Nous Toutes 06, "les piqûres en soirée, c’est un phénomène qui revient régulièrement avant chaque événement festif et qui est très médiatisé."

La militante ne nie pas la réalité de ces actes: "Ça arrive mais ça reste un phénomène minoritaire qu’il ne faut pas amplifier, parfois certains piquent avec un cure-dent pour entretenir la peur chez les femmes."

Plus graves selon elles sont les appels à la vigilance qui circulent en nombre sur les réseaux sociaux avant chaque événement: "Derrière, l’objectif c’est d’inciter les femmes à ne pas sortir pour faire la fête. Ils y arrivent en créant une anxiété. Ça participe du discours masculiniste."

Une hypothèse difficile à confirmer: ces fameux appels à piquer les femmes sur les réseaux sociaux sont difficilement traçables.

Ils mettent en tout cas les mouvements féministes dans une position délicate. " On doit mettre en garde contre ces discours, considère Alexia Dominey, tout en disant qu’on croit les victimes parce que certains cas sont avérés. Il y a des choses à faire dans le cadre de festivals, des actions à mener auprès des femmes pour la prévention. C’est ce que fait le collectif Nous Toutes. Mais la psychose est disproportionnée et ne doit pas empêcher les femmes de faire la fête."

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Prise en charge des victimes et "fermeté" contre les auteurs

Le sujet est pris au sérieux par le ministre de la Justice. Le 10 juillet, Gérald Darmanin a déclaré avoir adressé "une circulaire aux procureurs de la République, dédiée à la protection des femmes en cette période estivale. Je leur demanderai notamment la plus grande fermeté contre les auteurs de piqûres et ceux qui en font la promotion sur les réseaux sociaux."

Le garde des Sceaux a aussi indiqué que de "tels faits graves imposent des réponses pénales rapides et fermes après la réalisation d’actes d’investigations complets."

"Les femmes doivent pouvoir se rendre dans des lieux festifs en toute sécurité", clame le ministre, en insistant aussi sur "l’accompagnement et la prise en charge de la victime" tout au long de la procédure.

"Une douleur assez vive dans le dos, comme un vaccin"

Marine, 26 ans, refuse de croire que ses symptômes étaient psychosomatiques.

Cette Antiboise de 26 ans a d’abord senti une vive douleur dans le dos, suivie d’un engourdissement. " J’étais en boîte de nuit à Juan-les-Pins avec ma meilleure amie. Il y avait beaucoup de monde, raconte-t-elle. À un moment, je me suis baissée vers la banquette pour récupérer mon sac et j’ai senti une piqûre au milieu du dos. La même douleur que pour un vaccin. J’ai paniqué, très vite je me suis sentie mal. Et j’ai compris…"

Marine est convaincue d’avoir été victime d’une piqûre sauvage: "Pour moi, il n’y a aucun doute là-dessus. Je ne bois jamais d’alcool et je ne prends jamais de drogue. J’ai parfaitement ressenti cette piqûre dans le dos. J’étais effrayée, à ce moment-là, tout le monde paraît suspect autour de toi. Accompagnée de mon amie, je suis vite sortie de la boîte et je me suis rendue aux urgences de l’hôpital d’Antibes. "

Là-bas, Marine assure que les soignants ont vu un point rouge dans son dos. "Mais ils m’ont dit de rentrer chez moi et de rester sous surveillance. J’étais d’ailleurs surprise, je pensais qu’on allait me faire des analyses."

Le lendemain, Marine se rend en laboratoire pour une prise de sang: "J’avais très peur qu’on m’ait injecté un produit, mais les analyses de sang étaient bonnes. Par contre j’étais effrayée par le VIH. Pour ça, j’ai dû attendre trois mois, qui ont été très longs, je vous assure. Heureusement tout était négatif."

Marine n’a pas déposé plainte: "Ma priorité, c’était de faire des examens. J’ai eu tellement peur... alors quand j’ai vu que je n’avais rien, j’ai laissé tomber l’idée de la plainte. Mais cette histoire a clairement influencé ma façon de vivre. J’évite désormais tous les lieux de rassemblement festif." 

Marine pense avoir été piquée dans le dos en boîte de nuit. À l’examen médical, les soignants ont vu un point rouge mais les analyses n’ont rien donné. Photo J. B..

Questions au Dr Jérôme Palazzollo, psychiatre à Nice.

Comment définiriez-vous la psychose collective relative aux piqûres sauvages?

Le terme de psychose, qui est une pathologie délirante, n’est pas adapté. On est là sur une anxiété globale, tout à fait justifiée au vu de la problématique de départ: se faire piquer par un inconnu a de quoi faire angoisser.

Quels facteurs favorisent l’émergence de ce phénomène?

Ça part d’abord d’un aspect réel avec des individus qui piquent. Ensuite, il y a une dynamique individuelle: quand on est de nature anxieuse on va avoir tendance à surréagir. S’ajoute aussi une dynamique sociale favorisée par les médias et réseaux sociaux qui partagent ces informations en masse.

Quels sont les mécanismes psychologiques expliquant la propagation de cette peur?

On est dans une anxiété anticipatoire à de grands événements publics. Le cerveau humain est divisé en deux parties: une fonction réflexion et analyse, une autre émotionnelle. Quand la partie émotionnelle est en hyperactivité, nous ne sommes plus en mesure de raisonner. Parfois, ça peut développer de véritables phobies et une mécanique d’évitement et d’hypervigilance qui va mener à modifier son comportement social.

Comment expliquer que certaines personnes vont jusqu’à ressentir des symptômes ou même une piqûre si rien n’est avéré?

Ce sont les symptômes qui sont justement liés à l’anxiété et à l’hypervigilance qu’on développe. On est focus sur ces symptômes, qu’on arrive parfois à développer sans que rien ne se soit passé. C’est l’effet nocebo. C’est le principe des attaques de panique.

Quels conseils donner aux personnes inquiètes?

Il faut essayer de développer la partie cognitive de son cerveau: mettre en place des pensées alternatives plus rationnelles. Se poser et réfléchir sciemment à ce qui est en train de se passer. Et plutôt que d’être hypervigilant vis-à-vis des symptômes, il faut l’être par rapport à son environnement et faire attention à ce qui nous entoure plutôt qu’à ce qu’on pourrait ressentir.

Si la piqûre est avérée, la probabilité d’attraper le sida est proche de zéro, rassurent les scientifiques. Et les analyses toxicologiques sont le plus souvent négatives. DR.

Prévention à Toulon

Plusieurs dispositifs de sécurité globale ont été mis en place par le procureur de la République de Toulon, Samuel Finielz, en amont de la journée d’hier.

Des mesures qui s’inscrivent, selon le parquet, "dans la suite de la circulaire du 10 juillet du ministre de la Justice sur le traitement des infractions susceptibles d’être commises en marge des festivités du 14-Juillet".

En cas précis de "piqûres" ou d’"agressions à la seringue", la mobilisation d’une expertise médicale et toxicologique était prévue hier soir. Une astreinte de l’Association d’aide aux victimes varoise était également opérationnelle.

Selon le procureur de Toulon, il s’agit ainsi de simples mesures préventives. Samuel Finielz souligne qu’au moment de la diffusion de son communiqué, dimanche, il n’était pas fait état de "risques particuliers identifiés".

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