Des députés en quête d'explications, une commission parlementaire chargée d'évaluer les effets de Tiktok sur les mineurs, des influenceurs dans le viseur... C'est le cocktail détonnant que s'apprête à vivre l'Assemblée nationale, ce mardi 10 juin.
Dans le cadre des auditions liées à cette commission d'enquête, quatre influenceurs français parmi les plus suivis seront entendus par les députés: AD Laurent, l'influenceur de téléréalité devenu acteur porno, le couple Tanti, anciens candidats de téléréalité sanctionnés pour pratiques commerciales trompeuses, ou encore Nasdas, ce Perpignanais qui joue au Robin des Bois auprès des jeunes de son quartier.
Si l'idée première est d'estimer et d'évaluer les effets du réseau social sur la psychologie, "l'autre idée, c'est de voir dans quelles mesure l'application, mais aussi les influenceurs, sont conscients des impacts que leurs actions peuvent avoir sur leurs communautés", avait indiqué Arthur Delaporte, rapporteur de cette commission d'enquête à BFM. C'est pourquoi les députés ont souhaité entendre ces influenceurs.
Le cas AD Laurent
Au départ, un candidat de téléréalité, à l'arrivée, une reconversion dans le porno et des contenus pas des plus classes voire franchement mysogines. AD Laurent a vu son compte Tiktok être fermé en mai dernier, sous l'impulsion de la ministre déléguée de l'Egalité femmes-hommes Aurore Bergé.
Avec plus de 1,8 million d’abonnés sur la plateforme, l'influenceur Adrien Laurent, alias AD Laurent, y propageait "une vision hypersexualisée et violente de la sexualité, souvent avec de jeunes filles, parfois masquées pour qu’il soit impossible de deviner leur âge", selon les propos d'Aurore Bergé interrogée par Nice-Matin.
Pour lui, ce que lui reproche la ministre est "grave et infondé". C'était à la plateforme, Tiktok, "de faire son travail d’arbitre et de mener ses enquêtes si elle l’estimait nécessaire." "S’il y a des jeunes qui me suivent, ce n’est pas à moi de décider ce qu’ils doivent regarder ou non, je ne suis ni parent ni éducateur spécialisé", expliquait-il au Parisien, la semaine dernière.
Egalement visé par une plainte contre X pour des faits de viols aggravés, notamment un rapport sexuel sans préservatif imposé et une fellation forcée, l'influenceur nie ces accusations. "Je n’ai jamais violé personne, je n’ai jamais imposé le moindre rapport sexuel. C’est lunaire, un an après la plainte et six ans après ces prétendus faits, je n’ai jamais été entendu et je ne sais toujours pas qui m’accuse", se défendait l'influenceur auprès de nos confrères.
Les Tanti et le copy-trading depuis Dubaï
Autres candidats sommés de s'expliquer devant la commission, Julien et Manon Tanti. Comme AD Laurent et Nasdas, les activités de ce couple ont été jugées "problématiques" par les internautes qui se sont exprimés dans le cadre de la concertation citoyenne qui s'est achevée le 31 dernier.
"Leur nom est remonté aussi parce qu'ils exposent leurs enfants. Et donc, cette exposition, elle peut poser question aussi parce que ça porte parfois atteinte à l'image de ces enfants", explique le député Delaporte, qui pointe également des contenus "parfois dégradants et humiliants."
Influenceur basé à Dubaï, Julien Tanti a récemment été condamné à une amende pour des pratiques commerciales trompeuses liées à la promotion sur Instagram et Telegram de produits financiers qu'il disait avoir utilisés, sans mentionner qu'il s'agissait d'un partenariat rémunéré.
En plus du règlement d'une amende (dont le montant n'a pas été communiqué) et l'engagement de cesser ces "pratiques litigieuses", la DGCCRF indique que Julien Tanti a accepté de publier la décision sur son compte Instagram pendant 30 jours ainsi qu'une "vidéo de mise en garde sur les placements financiers risqués et les promesses d'enrichissement facile".
Dans la publication liée à cette décision, l'influenceur mettait en garde ses abonnés face au trading, insistant sur le fait "c'est risqué, ce n'est pas un jeu" et que "c'est un peu comme jouer à la roulette russe avec son argent".
Nasdas et son rapport à l'argent
Pour cet influenceur aux millions d'abonnés, c'est le rapport à l'argent qui interpelle les députés. En effet, il ravit les réseaux en filmant la vie dans son quartier pauvre de Perpignan, le quartier Saint-Jacques, où il fait figure de grand-frère, distribuant argent et cadeaux que lui rapporte sa notoriété, le tout filmé avec son téléphone.
Nasdas est le "raccourci" de ses prénoms Nasser et Das Algerische (l'Algérien en allemand). Il est rétribué pour promouvoir des marques, des entreprises. "En chiffre d'affaires sur 2021, on a dépassé les 500.000 euros", expliquait-il à l'AFP en 2022. Il pourrait tout garder, filer la belle vie à Dubaï. "Mais mon quartier c'est ma vie. Si je pars, c'est la fin!", disait-il.
Cette année-là, il avait suscité une polémique en communiquant son numéro de carte bancaire, vite bloquée après de multiples commandes simultanées. "Une fois payés les impôts, la TVA, j'ai décidé de redistribuer (...) en privé et par une cinquantaine d'associations (...) On en est à 300/400.000 euros", disait-il, fier qu'ainsi "plus de 4.000 personnes mangent chaque jour". L'une de ses quelques folies personnelles est un gros 4x4, mais en version limousine afin d'y caser sa "team".
Mais cette façon de faire, mettre en scène cette distribution d'argent interpelle les députés. "C'est un influenceur qui accueille parfois des jeunes chez lui et qui redistribue de l'argent. Ça peut interroger (...) Comment on peut voir des jeunes, parfois très pauvres, se tourner vers un influenceur pour aller lui quémander de l'argent? C'est quoi ce modèle? Est-ce que c'est ça qu'on a envie d'encourager? Je n'en suis pas certain", expliquait le député Delaporte à BFM.
Le gouvernement menace de sanctionner
Sur le même sujet, le gouvernement a exigé lundi 2 juin, que les réseaux sociaux lui présentent des "règles claires" concernant le bannissement des utilisateurs diffusant des contenus problématiques, leur rappelant leur obligation de modération et brandissant la menace de sanctions.
Les plateformes Meta, Snapchat, Tiktok, Twitch, Youtube et X ont été "convoquées" par le gouvernement pour répondre notamment de leur obligation de modération de contenus.
"Il y a une marge de progression significative et c'est la raison pour laquelle on va les revoir et on va continuer à y travailler collectivement", a indiqué à la presse à l'issue de la réunion la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé. "Il faut que des comptes particulièrement problématiques, suivis par des millions et des millions de personnes (...) cessent", a-t-elle martelé, évoquant la diffusion à large échelle de contenus haineux, violents, antisémites ou encore racistes.
Les réseaux sociaux seront à nouveau convoquées "avant mi-juillet" pour voir les évolutions concernant les règles pour leurs utilisateurs. Le gouvernement veut également savoir si des comptes particulièrement problématiques qu'ils leur ont signalés seront "bannis" ou non, et "sur quels critères".
Soit les plateformes "font le ménage et elles le font vite et elles le font dans la durée, soit encore une fois, la loi se rappellera à elles et des sanctions seront prises", a souligné Aurore Bergé.
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