Le projet d’instaurer une visite médicale de contrôle périodique pour renouveler son permis de conduire ne fait pas l’unanimité

Des députés ont proposé une loi visant à mettre en place une visite médicale de contrôle à la conduite tous les 15 ans et tous les 5 ans pour les plus de 70 ans. Un projet qui divise.

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Julie Baudin Publié le 08/04/2025 à 07:00, mis à jour le 08/04/2025 à 09:15
Pour l’association 40 millions d’automobilistes, il s’agit là bien plus qu’une proposition de loi pour un examen médical. Photo Jean-François Ottonello

C’est un débat récurrent. Faudra-t-il bientôt passer chez son médecin pour avoir le droit de continuer à conduire sa voiture?

C’est le sens d’une nouvelle proposition de loi qui a été déposée à l’Assemblée nationale le 18 mars. Elle vise à rendre obligatoire une visite médicale pour renouveler son permis de conduire A et B tous les 15 ans.

Et tous les 5 ans pour les conductrices et conducteurs âgés de 70 ans et plus.

Une loi transpartisane qui est portée par une centaine de députés qui mettent en avant les troubles visuels, auditifs ou des maladies chroniques qui viennent avec l’âge, et qui peuvent représenter un véritable danger sur la route.

Une mesure qui pourrait clairement marquer la fin du permis à vie en France.

La France plus stricte que l’Europe

Elle s’inscrit aussi dans une démarche européenne d’harmonisation des règles de sécurité routière. Le 25 mars un accord a été trouvé entre le Parlement et le Conseil de l’Union européenne pour que la réalisation d’un examen médical soit obligatoire avant la première délivrance d’un permis de conduire. Laissant le choix aux pays de l’UE de remplacer le contrôle médical par des formulaires d’autoévaluation.

La mesure pourrait entrer en application d’ici 2.030

La proposition de loi des députés français va donc au-delà. Si elle est adoptée, la mesure entrerait en application dès 2030, en lien avec la durée de validité du nouveau permis au format carte bancaire obligatoire à partir de 2033.

Le contre: "Une atteinte au principe du permis à vie"

"Est-ce normal que notre permis de conduire puisse soudainement être remis en cause, sans avoir commis d’infraction? Quels que soient notre âge et nos types de déplacements, et quels que soient nos antécédents en matière de conduite? Et on va demander à nos médecins traitants de déterminer notre capacité à conduire? Et en quoi une visite médicale à un instant T peut présager de la capacité à conduire dans les semaines qui vont venir? S’il y a un accident après, c’est la responsabilité du médecin qui est engagée? On marche sur la tête!"

Bien connu pour ces prises de position tranchée, le délégué général de l’association 40 millions d’automobilistes, Pierre Chasseray, s’oppose fermement à cette proposition de loi.

L’association pointe aussi du doigt "une proposition de loi imaginée par la ville, dans une logique urbaine".

"Quiconque vit dans une zone rurale connaît la difficulté de se déplacer. Et d’ailleurs pour les seniors qui sont stigmatisés dans ce texte, la première fonction de la voiture c’est l’accès aux soins. Alors quelle alternative propose ce texte?"

"Nulle part il y a eu un effet sur l’accidentologie"

D’après cette association, la visite médicale obligatoire déjà mise en place dans certains pays européens comme l’Italie ou la Portugal n’a pas fait ses preuves: "Nulle part il y a eu un effet sur l’accidentologie. D’ailleurs en France, selon les chiffres de l’insécurité routière, les seniors sont plus victimes que responsables des accidents de la route mortels."

"Et puis des dispositifs existent déjà pour contrôler les conducteurs dont l’état de santé pourrait poser problème, poursuit Pierre Chasseray. Ils peuvent être mis en œuvre par l’entourage familial. Mais un médecin traitant ne peut pas le faire. Peut-être qu’il faudrait commencer par ça avant d’imposer une contrainte supplémentaire systématique qui sera coûteuse et inutile à tous les automobilistes."

Pour l’association 40 millions d’automobilistes, il s’agit là bien plus qu’une proposition de loi pour un examen médical.

"C’est surtout une remise en cause d’un principe fondamental: le permis de conduire à vie. Or aujourd’hui, ce dernier est indispensable au quotidien pour de nombreux citoyens pour répondre à leurs besoins de mobilité, en particulier dans les territoires où les transports en commun et le vélo ne constituent pas des solutions adaptées."

Le pour: "Oui au contrôle médical mais avec un accompagnement pour n’isoler personne"

"Nous ne voulons plus voir dans l’espace routier quelqu’un qui présente un risque pour les autres et pour lui-même par rapport à son état de santé."

Cela fait plusieurs années que la Ligue contre la violence routière appelle à une telle mesure: « Le permis de conduire c’est un contrat que l’on passe pour être dans un espace routier. Il doit répondre à un certain nombre de critères et ne doit donc pas être un papier que l’on signe à vie, livre Jean-Claude Lienhard le président de la Ligue contre la violence routière Paca.

"Il y a des personnes aux vulnérabilités physiques souvent liées au grand âge qui peuvent poser problème derrière un volant. La mise en place de cet examen médical serait donc une bonne chose. Mais c’est bien à tout âge que cette question doit être réfléchie: alors en plus d’un examen médical, on pourrait aussi imaginer une mise à niveau du permis."

"Ne pas isoler les seniors"

Telle qu’elle est présentée, ce que craint Jean-Claude Lienhard avec cette proposition de loi c’est une stigmatisation des seniors. "Il ne faut pas les exclure, mais les accompagner en mettant d’abord en place des conseils et quelques restrictions. Plutôt qu’une invalidation du permis, on pourrait par exemple imposer, si leur état de santé le nécessite, une interdiction de conduire la nuit ou de faire de longs trajets."

Pour la Ligue, les collectivités territoriales pourraient aussi avoir un rôle à jouer par des mesures d’accompagnement pour éviter l’isolement de toute une population dans certains territoires non urbains notamment: "Cette loi est une bonne chose, mais on ne peut pas se contenter d’une mesure sèche."

Lui aussi rappelle que les familles ont la capacité aujourd’hui d’émettre un signalement à la préfecture si un parent ou un proche conduit mais ne semble plus avoir les capacités médicales pour le faire en sécurité. Le préfet peut alors déclencher, si nécessaire, un contrôle médical chez un médecin agréé.

Ce dernier se prononce alors sur l’aptitude médicale à la conduite de la personne signalée et transmet son avis au préfet qui prend la décision finale.

"La Ligue est parfois contactée à ce sujet, mais dans les faits c’est peu appliqué reconnaît Jean-Claude Lienhard. Cela repose sur les familles qui ont beaucoup de mal à faire cette démarche qu’elles considèrent comme une trahison vis-à-vis de leurs proches. Peut-être que la proposition de loi peut faciliter cette démarche."

Ce qu’ils en pensent

Michel a 85 ans. Il ne conduit plus depuis deux ans de sa propre initiative. "J’étais, comme le disait Pompidou, un Francais amoureux de la bagnole! J’en ai eu une palanquée depuis la 2CV, la R16 turbo, la DS, la 204 GTI, l’Alfa Romeo GTV, le coupé 406 V6 et bien d’autres. Je ne compte plus les fois où j’ai relié Antibes à Lille, 1200km d’une traite 2 fois par an pour aller voir ma fille et les petits-enfants."

Mais trois événements vont l’amener à se résoudre à ne plus conduire. "Un accident en scooter en 2023: j’ai été renversé par un bus à l’arrêt que je doublais alors qu’il redémarrait… J’ai manqué de vigilance. Et deux incidents en voiture, là aussi sans conséquence heureusement: je reconnais, au volant j’ai perdu les pédales pendant 2 ou 3 secondes, ce qui aurait pu être dangereux."

Michel le reconnaît, lâcher sa voiture a été "une décision douloureuse". Il l’a fait pour éviter peut-être un jour un drame. "Je vis seul et je suis désormais dépendant pour tout un tas de démarches. Heureusement pour moi, je vis à Antibes dans un quartier bien desservi par les transports en commun et avec pas mal de commerces en bas de chez moi. Qu’on le veuille ou non, avec l’âge nos facultés diminuent et les médicaments en nombre que nous avalons n’arrangent rien! Donc oui, un examen médical serait une bonne chose."

Candide, 89 ans, du côté de Breil-sur-Roya a eu la même démarche. "J’ai arrêté de moi-même l’année dernière. La vue ça allait, mais je me rendais compte que certaines manœuvres devenaient difficiles, comme les marches arrière. Je n’ai jamais eu d’accident et je n’ai pas voulu prendre le risque qu’on dise un jour regarde c’est à cause de la vieille qui conduit!"

Candide a donc donné sa belle voiture, cadeau de son défunt mari pour le passage à l’an 2000, à son petit-fils. Et depuis, elle a découvert les transports en commun. " Enfin, à Breil c’est un peu compliqué dit-elle quand même. Je reste totalement dépendante de ma fille et ça m’embête beaucoup. Mais c’est plus prudent!"

Évelyne, 77 ans, a arrêté de conduire après une grosse opération. "Je ne me sentais plus en capacité de le faire, ni en sécurité, pour moi et pour les autres, surtout dans cette région avec des routes difficiles et beaucoup de motos, vélos, trottinettes et piétons qui ne se soucient pas toujours du Code de la route. Alors mon mari a fait le taxi. Très confortable, jusqu’au moment où lui aussi a été en incapacité de conduire."

Alors Évelyne n’a pas eu d’autre choix que de reconduire. "J’ai repris confiance petit à petit avec mon frère en accompagnement. Et maintenant seule, mais je reste très prudente. La voiture c’est la seule solution pour être autonome quand on ne vit pas en centre-ville comme moi. Ailleurs, sans doute que je ne conduirai plus, là où je vis c’est impossible."

Paule, bientôt 81 ans. Elle vit à Nice et elle conduit toujours. "Pratiquement tous les jours depuis 1963. Et sincèrement cet examen médical qu’ils veulent mettre en place, je n’aime pas trop ça. Moi, il me semble que je vais très bien et que je suis tout à fait apte à conduire, je suis d’ailleurs très à l’aise en voiture. Mais je me dis qu’ils pourraient toujours trouver des choses à redire sur mes réflexes. Alors je ne suis pas totalement sereine face à cet examen médical. Avec mon mari, un peu plus âgé que moi, on serait deux concernés. Et puis je ne suis pas idiote, de moi-même je suis capable d’arrêter de conduire si je ne me sens plus apte à la faire. Alors pourquoi m’imposer un examen où ils trouveront forcément des choses!"

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