Notre série "Île était une fois" se pose cette semaine sur l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes
L’île est connue pour son fort militaire, où fut emprisonné l’homme au masque de fer. Un patrimoine entretenu, chaque été, par des adolescents très motivés.
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La rédactionPublié le 17/08/2025 à 12:00, mis à jour le 20/08/2025 à 12:04
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Des rires d’enfants, des chants de colonie de vacances… et des coups de burin. Sur l’île Sainte-Marguerite, chaque été depuis 48 ans, c’est un peu "le pays joyeux des enfants heureux". Version chantiers de jeunes. Sur cette île aux enfants qui accueille des dizaines de minots logés dans le fort construit au large de Cannes, on imagine Casimir… une truelle à la main.
"Les enfants restent une semaine sur place, jusqu’à deux semaines pour les adolescents", présente Fabien Cavaillé, chef de service adjoint au Centre international de séjour. Les visiteurs de l’île sont ainsi (agréablement) surpris de voir des gamins bâtir des murs ou remonter des charpentes.
Ici, pas de bétonneuse ou d’engin de chantier. Tout est réalisé "à la force du collectif". Les bâtiments du fort sont à reconstruire ou à rénover. Pierre par pierre. Tuile après tuile. Et des enfants à peine sortis des jupes de leurs mères apprennent à manier la spatule et le marteau. Plomberie, électricité, enduit, plâtre… Les quatre personnels d’animation formés aux techniques du bâtiment encadrent les seize adolescents volontaires. "Le chantier sert de support éducatif pour développer la solidarité, l’entraide et l’autonomie, explique Laëtitia Kiffer, directrice des chantiers de jeunes Provence Côte d’Azur. Quand on leur explique qu’ils touchent des pierres qui ont 1.400 ans, ça donne du sens à ce qu’ils font et ça valorise leur travail."
Un chantier colossal
À l’arrière de l’église du XVIIe siècle, Océane taille des pierres sèches avec ses nouveaux camarades. Le mur qu’ils reconstruisent n’est pas terminé mais il a déjà fière allure. "J'ai eu un réel coup de cœur pour le projet éducatif, avec des vraies valeurs de partage, de solidarité. Ici on ne construit pas seulement des murs, on construit des vies. Tous ces jeunes sont extraordinaires. Ce sont leurs vacances, mais ils donnent de leur temps pour un intérêt collectif. Ils rénovent et entretiennent cette île et je trouve ça absolument merveilleux", admire Isabelle Pastorelli, 48 ans, animatrice pédagogique et technique sur les chantiers de jeunes.
L’animatrice s’est d’abord formée de façon intense aux techniques du bâtiment, pendant deux mois, avant d'attaquer le chantier: "Je partais du principe que si je ne maîtrisais pas les techniques, je ne pouvais pas bien montrer aux jeunes et leur apprendre et pour moi c'était hors de question."
"On fait de la taille de pierre, des enduits… Mais aussi il y a énormément de travail d'entretien, donc tout ce qui va être ponçage, peinture des volets, désherbage, nettoyage et reprise des calades", développe Laëtitia Kieffer. De la taille des pierres sèches à l’application de la chaux et à la pose du sol en calades, les jeunes sont formés aux techniques traditionnelles. "La vocation n’est pas d’en faire des maçons, mais de leur donner confiance en eux", poursuit la cheffe de chantier.
L’île située au large de Cannes a su garder son côté sauvage. Photos Loris Biondi
Vie en collectivité
L’apprentissage de l’autonomie passe notamment par une participation active à la vie en communauté. Chaque jour, un binôme est en charge de prendre le bateau pour aller faire les courses et préparer le déjeuner. Les jeunes apprennent ainsi à gérer un budget et à cuisiner en respectant les différents régimes alimentaires. Au menu du jour: melon en entrée, macaroni à la sauce tomate et gruyère en plat de résistance, et crème dessert à la vanille.
Dans une ancienne chapelle qui sert aujourd’hui de cuisine, Lalie, 15 ans, est équipée de gants, d’une charlotte et d’un tablier. Cuisinière d’un jour, elle découpe les oignons et les tomates, pendant que l’eau des pâtes commence à bouillir: "Ce sont des copines qui m'en ont parlé au collège et j'ai voulu tester. Pour l'instant ça me plaît. On a un planning et chacun doit préparer le repas du midi au moins une fois durant le séjour", explique la jeune Niçoise. D’autres camarades sont chargés de l’entretien des communs, ou de l’arrachage des herbes folles le long des murs par exemple.
"Ce n'est vraiment pas une colo comme les autres. Le but c'est vraiment d’utiliser les supports éducatifs du chantier dans la vie quotidienne puisqu'ils réalisent tous leurs repas, leurs courses, etc. On utilise aussi le support des activités pour travailler sur tout ce qui va être l'autonomie, la responsabilisation et la valorisation de ces jeunes."
Et sur les chantiers de jeunes, la mixité sociale n’est pas un vain mot. Des adolescents de l’aide sociale à l’enfance aux enfants "de bonne famille" en passant par des gamins des cités et des gosses venus de la campagne, tous les profils sont représentés. Des filles et des garçons issus de milieux socio-éducatifs différents qui apprennent donc à vivre et travailler ensemble. Une expérience unique qui "change leur vision des choses" assure un éducateur.
Une fois leur travail accompli, après un bon repas pris en commun, les pensionnaires ont quartier libre l’après-midi pour participer à différentes activités qu’ils ont eux-mêmes choisies en début de séjour. Par exemple du catamaran avec l'association Cannes jeunesse, de la bouée tractée… Ou une partie de laser game "pour avoir un peu de fraîcheur à la clim’."
Des racines et des ailes
Parmi les activités nautiques autour de l’île, qu’il s’agisse des jeunes en colonie de vacances ou des visiteurs d’un jour, le snorkeling fait de plus en plus d’adeptes. Et pour cause, Sainte-Marguerite accueille l’écomusée sous-marin de Cannes. Des œuvres immergées de l’artiste anglais Jason deCaires Taylor, célèbre pour ses sculptures créées à partir de visages cannois. D’une hauteur de 2mètres et d’environ 10 tonnes chacune, les six statues fabriquées dans un matériau marin écologique à PH neutre forment aujourd’hui un récif artificiel favorisant l’écosystème local et la biodiversité. Le site est situé entre 84 et 132mètres du rivage. Son accès est sécurisé et accessible librement pour les nageurs expérimentés munis d’un masque et d’un tuba, puisque les œuvres sont immergées entre 3 et 5mètres de profondeur.
Sainte-Marguerite offre aussi au visiteur un riche patrimoine historique, culturel et naturel. L’île fut d’abord un comptoir des Phocéens, sur la route maritime reliant l’Italie, la Provence et l’Espagne. Les Romains y combattent ensuite les Celto-ligures et prennent possession de l’île. Des fortifications et des thermes témoignent de leur passage. Lorsque Honorat crée le monastère sur Lérina (lire notre édition consacrée à l’île voisine de Saint-Honorat), Léro alias Sainte-Marguerite est rattachée au centre religieux qui rayonne alors dans tout l’Occident. Sous occupation espagnole puis de l’armée française, le fort devient une prison d’État dans laquelle étaient enfermés sans jugements et à la demande du roi les "sujets récalcitrants". Le plus célèbre des prisonniers étant le Masque de Fer dont on ignore encore aujourd’hui l’identité.
Des blockhaus témoignent aussi de l’occupation allemande sur cette île au passé tumultueux, qui a même échappé à un projet de complexe immobilier de luxe avec un hôtel, un champ de courses et une digue-pont entre la pointe de la Croisette et la base du fort! Aujourd’hui, le fort royal accueille des expositions (lire ci-dessous) et la réserve biologique de Sainte-Marguerite, créée en 2006 afin de préserver la biodiversité de l’île et gérée par l’Office national des forêts. Les îles de Lérins font également partie du réseau européen Natura pour la protection des habitats et des espèces.
Les adolescents vivent et travaillent ensemble pendant deux semaines au
fort Sainte-Marguerite. Ici, Tom et Thia effectuent des travaux de rénovation.
"Un cadre privilégié"
Le soir, à partir de 18h, lorsque le dernier bateau ramène les visiteurs à Cannes, l’endroit devient un havre de paix pour tous les jeunes. "Les enfants se retrouvent un peu seuls sur cette île. C'est un cadre idyllique. En été il y a uniquement des enfants qui peuvent dormir sur l'île", explique Fabien Cavaillé, de Cannes Jeunesse "Ils sont quand même très privilégiés de pouvoir admirer le festival pyrotechnique de la ville de Cannes depuis la terrasse du fort, qu’ils ont rien que pour eux! Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui aimeraient être à leur place ou pouvoir simplement dîner, faire un tour et profiter de cette vue panoramique sur la baie de Cannes au coucher du soleil", abonde Lætitia Kieffer.
Car les places sont limitées. "On reçoit environ 180 enfants par semaine, de sept à dix-sept ans. Et attention, prévient Fabien Cavaillé, il y a une forte demande, donc c'est complet assez rapidement". Les inscriptions ont commencé le 11 mars cette année et les places ont été immédiatement prises d'assaut. Les colonies et chantiers de jeunes ont le vent en poupe auprès des parents, comme des enfants. "Par exemple, là, ils sont en train de mettre la table, ou ils participent aux tâches du quotidien, observe un animateur. Et dans la bonne humeur, avec le sourire!" Et certains en redemandent…
"C'est ma troisième année sur le fort. La première année, c'était un petit peu compliqué. Je n'étais pas du tout investi. En fait, je n'avais pas envie d'être là, c'était assez dur. Mais l'année dernière c'était une année assez mémorable. Et j’ai attendu ce moment durant toute l'année. J’aime l'engagement au fort, l'idée de servir pour rénover le patrimoine. Et les rencontres bien sûr. Avec les autres jeunes, on vit ensemble 24 heures sur 24 pendant deux semaines. On crée des amitiés fortes", témoigne Tom, 17 ans.
Sur la terrasse du fort, le Parisien coule de l’enduit avec Tia, 15 ans: "Cet été, je suis pris pour un nouveau chantier et j’apprends encore des choses, j’acquiers des compétences, des techniques. J'apprends toujours puisque ce ne sont pas les mêmes ateliers. Ça change avec l'évolution des travaux." Et l’adolescent compte bien revenir à Sainte-Marguerite. "C’est ma dernière année donc je suis un petit peu triste, mais d'un autre côté, je me dis qu'il y a encore une possibilité pour moi de revenir ici puisque j'aimerais passer le BAFA (Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, Ndlr) et du coup devenir animateur. Donc l’aventure à Sainte-Marguerite, ce n'est peut-être pas fini pour moi!"À visiter
Le Fort Royal abrite aujourd’hui le musée du Masque de fer. Ce fort stratégique servit également de prison d’État sous l’Ancien Régime, puis de prison militaire. Pendant plus de deux siècles, des centaines de prisonniers anonymes ou célèbres se succédèrent dans les cellules du fort: pasteurs protestants devenus hors-la-loi après la révocation de l’Édit de Nantes (1685), jeunes nobles mis à l’écart à l’insistance de leur famille, mamelouks de Napoléon, une partie de la Smala de l’émir Abd el-Kader… ainsi que le mystérieux "Homme au masque de fer", incarcéré pendant onze ans (1687-1698) dans le bâtiment principal du fort, qui abrite aujourd’hui le musée.
Des expositions permanentes et temporaires y sont présentées. Ne manquez pas la terrasse dominant la mer, face au littoral cannois et offrant un panorama grandiose sur les Alpes du Sud, le cap d’Antibes et l’Estérel. Le musée accueille chaque année plus de 80.000 visiteurs.
Une visite guidée gratuite est proposée jusqu’au 30 septembre, du lundi au dimanche de 10h à 17h45(plusieurs visites par jour). Durée: 1 heure. Renseignements au 04.89.82.26.26
À voir
À l’occasion du 130e anniversaire de la naissance de Marcel Pagnol et dans le cadre des programmations "Cannes célèbre Pagnol", la mairie de Cannes propose l’exposition "Marcel Pagnol et le Secret du Masque de fer". Une exposition grand public et qui retrace l’enquête fascinante menée par l’écrivain sur l’identité de l’un des plus grands mystères de l’Histoire de France.
L’exposition, située près de la cellule où le Masque de fer fut emprisonné, présente des lettres manuscrites, des documents originaux et des objets personnels de Marcel Pagnol, tels que le manuscrit de son ouvrage Secret du Masque de fer, publié en 1973, ou la plume d’écriture et l’encrier de l’écrivain.L’exposition "Marcel Pagnol et le Secret du Masque de fer" est à voir jusqu’au 31 août 2025, tous les jours de 10h à 17h45. Plein tarif: 6,50 euros / tarif réduit (avec justificatif): 3,50 euros. Gratuit pour les moins de 18 ans, étudiants, demandeurs d’emploi et personnes en situation de handicap. Informations pratiques
Comment y aller?
Les départs se font en bateau depuis le quai Laubeuf à Cannes. À noter, il n’y a pas de bateau qui permette d’aller d’une île à l’autre entre Sainte-Marguerite et Saint-Honorat.
Où se restaurer?
Pour un déjeuner sur le pouce, on vous recommande La cabane des îles. Les habitués l’appellent La cabane d'Augusta, du prénom de la grand-mère des gérants actuels. Une figure locale qui vendait des glaces autour de l’île avec sa carriole verte dans les années 1960. "Puis, petit à petit, elle a introduit le pan bagnat sur l’île, raconte Laurent Chaude, son petit-fils et cogérant avec son cousin Laurent du petit commerce. Jusqu’à ce que la Mairie de Cannes lui propose de s’installer dans une cabane."
Le kiosque numéro 26 est ouvert des vacances de février à la Toussaint, de l’arrivée du premier bateau à 7h30 jusqu’au dernier départ à 18h30.
Fermeture les jours de pluies hors saison estivale. La Cabane des îles, kiosque 26, renseignements au 06.12.56.64.53.
Isabelle Pastorelli
encadre les équipes de jeunes sur le chantier.
Photo Loris Biondi
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