Le cap fixé par la 3e conférence des Nations Unies sur l’Océan était d’accélérer l’action pour la protection de l'Océan.
Le sommet a-t-il tenu ses promesses?
Nous avons posé la question à des experts : les océanographes Jean-Pierre Gattuso et Maria-Luiza Pedrotti, tous deux directeurs de recherche CNRS, à Anne-Sophie Roux, activiste pour l’Océan et conseillère d’Hervé Berville, ancien secrétaire d’État chargé de la mer et député des Côtes-d’Armor, et à Pradeep Singh, spécialiste de la question de l'exploitation minière des fonds marins.
Traité sur la haute mer: une réelle avancée
L’accélération sur le dossier de la haute mer a été saluée par tous les observateurs et c’est sans doute l’une des principales avancées du sommet de Nice. "Le traité sur la gouvernance de la haute mer a bondi de 30 à 51 ratifications, c’est une excellente nouvelle, résume Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche CNRS et co-organisateur du congrès One Ocean Science, pilier scientifique du sommet de l’Océan. La haute mer, représente 50% de la planète. Plus des deux tiers de l’océan. Jusqu’à présent c’est le Far West. Tout le monde fait ce qu’il veut. Il n’y a quasiment aucune bonne gouvernance".
Pour entrer en vigueur, ce traité doit être ratifié par 60 pays. Si ce chiffre n’est pas atteint à la clôture de l’Unoc-3, il le sera "avant le 23 septembre, pour une entrée en vigueur en janvier 2026", a confirmé Olivier Poivre d’Arvor, envoyé spécial du président de la République pour l’UNOC-3.
ça va changer quoi?
Les pays signataires s’engagent à coopérer pour gérer ces espaces, identifier les aires marines protégées et réguler certaines activités comme la pêche, le transport maritime ou l’exploitation de ressources minières et protéger, in fine, ces espaces soumis à une pression croissante.
Contre la pollution plastique: des freins puissants à lever
C'était un point très attendu, tant la pollution plastique inquiète. 80% des déchets en mer sont des plastiques, dont 90%, des microplastiques. Véritable fléau des mers, ce matériau menace gravement la biodiversité marine et la survie des espèces qui l'ingèrent.
A Nice, 96 pays ont signé une déclaration intitulée "Nice wake up call for an ambitious plastics treaty". Pour demander la présence de mesures contraignantes dans le traité plastique, qui doit être négocié en août à Genève. Océanographe et chercheuse au CNRS engagée dans la problématique des plastiques, Maria-Luiza Pedrotti salue la dynamique politique qui s’est exprimée à Nice. "Mais, après les lenteurs et compromis qui ont freiné les progrès du traité jusqu’à présent, la prudence reste de mise."
En effet, les freins restent puissants. "Le plastique utilise du pétrole et donc les producteurs de pétrole freinent des quatre fers pour éviter qu’il y ait une réglementation sur une diminution de la fabrication de plastique", analyse Jean-Pierre Gattuso, qui déplore le poids des lobbies pétrochimiques..
Un motif d’espoir?
Le lancement à Nice du réseau méditerranéen de l’économie circulaire (Circemed) qui s’est donné pour objectif de mettre en œuvre des solutions concrètes alternatives au plastique. Tandis que les ministres de la Méditerranée ont adopté une déclaration d’engagement à soutenir l’adoption du traité international et à le mettre en œuvre à l’échelle de Mare nostrum. "Ces initiatives sont porteuses d’espoir, mais elles devront s’articuler avec un cadre international fort pour répondre efficacement à l’urgence de la crise plastique", estime la chercheuse.
Aires marines protégées: le rendez-vous raté de la France
De la Grande-Bretagne en passant par le Portugal, la Grèce ou la Colombie, de nombreux pays ont annoncé la création d’aires marines protégées ou le renforcement de celles existantes. Notamment en y interdisant le chalutage de fond.
Mais la faiblesse des annonces de la France, avec une limitation du chalutage de fond sur 4% seulement des eaux hexagonales, a déçu ONG et scientifiques.
"La France emploie le terme de protection forte qu’elle est la seule à utiliser. Or la protection forte autorise la pêche et le chalutage de fond et donc c’est ça qui pose problème, analyse Jean-Pierre Gattuso. Il faudrait suivre l’avis de la Commission européenne. C’est-à-dire mettre 30% de l’océan en protection, dont 10% en protection stricte."
Il rappelle que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) estime que "quelles que soient les aires marines protégées, le chalutage de fond ne devrait pas être autorisé. Or il l’est dans une partie des aires marines protégées en France". Aussi invite-t-il le gouvernement à "arrêter cette pêche absolument destructrice. Le lobby de la pêche industrielle, très actif et anti-science ne se préoccupe absolument pas de la pêche artisanale qu’il faut favoriser."
Exploitation des fonds marins: la mobilisation s’amplifie
Contre l’exploitation minière des fonds marins, le sommet de Nice a permis d’amplifier la mobilisation. "La coalition en faveur d’un moratoire s’est élargie de 4 nouveaux pays dès le premier jour avec la Slovénie, la Lettonie, les îles Marshall et Chypre. On a aujourd’hui 37 États, alors qu’en 2022 on en avait zéro", analyse Anne-Sophie Roux, activiste pour l’Océan et conseillère d’Hervé Berville, ancien secrétaire d’État chargé de la mer et député des Côtes-d’Armor.
Alors que Donald Trump a signé le décret lançant l’exploitation des "nodules" polymétalliques dans les eaux internationales du Pacifique, à Nice, les dirigeants ont durci le ton.
"On a eu de nombreuses prises de paroles de chefs d’États, Macron, Lula, mais aussi du secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres. Le président du Conseil européen a pris position pour le moratoire, c’est très important", pointe encore Anne-Sophie Roux.
Si la mobilisation politique et diplomatique a été au rendez-vous, l’activiste souligne aussi celle du secteur financier.
"Des banques et des assureurs refusent de financer l’exploitation minière des fonds marins. Parmi les premiers figurent la BNP, le Crédit agricole, la Caisse des dépôts et consignations."
Anne-Sophie Roux
De son coté Pradeep Singh, expert du sujet pour la fondation Oceano Azul, salue cet élan.
"L'UNOC a radicalement changé la donne en fournissant une plateforme essentielle qui a permis aux nations de remettre ouvertement en question l'exploitation minière des fonds marins. Aujourd'hui, un pays en moyenne prend position pour une pause chaque mois," pointe le spécialiste qui dirige le groupe thématique sur l'exploitation minière des fonds marins de la Commission de la gestion des écosystèmes de l'UICN.
"L'ère du soutien inconditionnel ou du silence est clairement révolue, remplacée par des exigences de prudence et de rigueur scientifique."
Pradeep Singh
"L'élan donné par l'UNOC doit se répercuter directement sur la réunion de juillet de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Il est essentiel de veiller à ce que le cadre réglementaire ne soit pas précipité et à ce que les activités minières ne commencent pas sans garanties solides".
Rendez-vous à l'UNOC-4 pour mesurer le succès
Les scientifiques plaident pour qu'à l'instar de Nice, il y ait un congrès scientifique organisé en amont de la prochaine conférence des Nations Unies sur l'Océan. "Il aura pour tâche non seulement de synthétiser les connaissances accumulées entre Nice et le prochain sommet, l'UNOC 4, mais aussi de regarder comment ces engagements ont été mis en oeuvre. C'est comme ça que nous pourrons mesurer le succès de l' UNOC-3,"conclut Jean-Pierre Gattuso.
Et le 8 juin prochain, l'édition du 2e baromètre mondial de l'état de l'Océan permettra aussi d'évaluer les effets des mesures de protection.
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