Il aime Rembrandt et Vermeer, voyager, aller aux champignons et surtout, la mer. À 79 ans, Alexandre Meinesz lui a consacré toute sa carrière de biologiste. Fin connaisseur du monde du silence, sa renommée dépasse les frontières des Alpes-Maritimes, lui qui signe plusieurs livres de référence. Dont Le roman noir de l’algue tueuse, un pavé dans la mare paru en 1997, traduit en anglais et en italien, qui revient sur l’invasion ravageuse sur nos côtes de la Caulerpa taxifolia. "En 1984, des plongeurs du Musée océanographique de Monaco voient une algue qui était dans leur aquarium se développer en grand nombre sous le bâtiment. J’y avais travaillé dans les années soixante-dix, je me suis inquiété du phénomène auprès du directeur. Cette espèce tropicale n’avait rien à faire ici... Mais il ne m’a pas pris au sérieux", se souvient Alexandre Meinesz.
Toxique pour les poissons, l’organisme végétal s’étend, colmate les filets de pêche, envahit les ports et les côtes azuréennes... où se déplacent ministres et députés, mines graves. Certains plongent même avec le biologiste marin comme guide, pour constater. Lui sait: le fléau s’est échappé de l’institution monégasque... Il se meut en lanceur d’alerte pionnier. À la fin des années 1990, plusieurs études scientifiques lui donnent raison. Si l’algue a depuis régressé, l’épisode en dit long sur le bonhomme. Opiniâtre mais pas revanchard, animé par un seul but: protéger la mer et la vie qu’elle abrite. Coûte que coûte.
Le déclic d’une passion
Partir à l’aventure dans l’arrière-pays, allumer un feu tous les samedis et camper aux Bouillides, à Valbonne, près d’un moulin en ruine... "C’est grâce au scoutisme que je suis tombé amoureux de la nature", confie ce fils d’immigrés hollandais, installés à Nice en 1948. Le coup de foudre avec la Grande bleue? Lui aura lieu entre les murs de l’Université de Nice, campus Valrose. Jeune étudiant en bio, Alexandre y fréquente avec un camarade un labo de botanique... et tombe sur une affiche pour un stage d’algologie à Roscoff, sur la côte bretonne. "Je suis allé à la gare et j’ai demandé un aller-retour pour cet endroit que je ne connaissais pas. Le chef de gare m’a répondu: je vous fais un aller-retour pour Moscou et vous vous débrouillez!", rigole-t-il encore. Sa passion pour les algues est née.
Et elle intrigue alors un grand professeur parisien. Alexandre Meinesz n’est qu’en 2e année quand il lui confie, avec un ami de promo, la mission d’analyser l’obscure mode de reproduction d’Udotea, variété de ces végétaux marins présente en Méditerranée. "Un matin de novembre, alors qu’il pleuvait depuis des jours, je suis allé plonger à Golfe-Juan... et j’ai trouvé la reproduction sexuée de l’algue. J’ai envoyé les photos au microscope au professeur et j’ai fait une publication à l’Académie des sciences. Je n’avais pas 20 ans mais ma carrière était lancée", lance celui qui a, depuis, signé 230 articles scientifiques.
L’approche qu’il a choisie
Comprendre et faire comprendre, méthodiquement. Telle a toujours été l’approche de ce scientifique curieux vis-à-vis du monde marin qui le fascine tant. Sa thèse décrochée (sur les algues, évidemment...), même en plein service militaire à Toulon, il utilise un sous-marin de poche de l’armée pour cartographier, sur 30km de côte, la limite inférieure des herbiers de posidonie, ces poumons de la Méditerranée, usines à oxygène et super capteurs de CO2. "J’ai constaté que, presque partout, ils avaient reculé. On voyait des rhizomes morts Cela venait du fait que, dans les années 1950-60, la Côte d’Azur n’avait pas de stations d’épuration. L’eau était trouble, la lumière n’allait pas en profondeur, tout mourrait. J’ai décrit le phénomène dans des publications et ça a lancé des études", explique-t-il. Des travaux qui lui vaudront la médaille d’or de la ville de Nice, remise des mains de Jacques Médecin.
Convaincre les huiles locales, soit... Mais Alexandre Meinesz perçoit vite que rien ne se fera sans une sensibilisation du grand public. "À l’université, les scientifiques sont dans une tour d’ivoire. Leur challenge se résume à publier dans des revues scientifiques, tirées à 1.500 exemplaires et lues par des pairs. Or, nous avons un vrai rôle civique, plus important que de progresser dans la hiérarchie universitaire", plaide Alexandre Meinesz. Dès 1991, il convainc le Lions club dont il est membre de réunir des financements et sort Mer vivante, un fascicule gratuit pour "faire aimer la mer aux gens".
Éponges, algues, oursins, coraux noirs, rouges, jaunes, grandes nacres, crabes ou cigales de mer s’y exposent en image, s’y décrivent en textes, fruits de la collaboration avec de nombreux spécialistes. "La première édition faisait une dizaine de pages, la dernière, sortie en 2019, plus de 300!", sourit le biologiste marin, qui espère réunir les fonds - "50.000 euros" - pour une nouvelle édition mise à jour. Sa satisfaction: avoir offert, en 35 ans, plus de 312.000 exemplaires de cet éveil-conscience, aussi disponible gratuitement en ligne.
Les principales menaces qui pèsent sur le milieu marin
"Dès mes débuts, j’ai été choqué par le fait qu’on parlait beaucoup de pollution marine mais jamais des destructions sur le milieu causé par les ouvrages gagnés sur la mer", pose Alexandre Meinesz. Dès 1978, c’est à la main, "en comptant les millimètres carrés sur des feuilles à carreaux, comparés aux cartes anciennes", qu’il inventorie l’impact de l’urbanisation sur les petits fonds. "Entre 0 et 10m, c’est la zone la plus fragile et riche de toutes les mers du monde. Car les juvéniles et les larves s’y développent. Or l’aéroport de Nice ou Monaco la grignotaient déjà allégrement, note-t-il. Dans les Alpes-Maritimes, 20% des petits fonds sont détruits à tout jamais par ces constructions, 85% à Monaco, voire 90% avec la nouvelle extension en mer", déplore le scientifique, dont les premiers relevés ont été cités par le commandant Cousteau dans son livre La mer blessée: la Méditerranée en 1987.
Mais là n’est pas sa seule source d’inquiétude. Face à la surpêche et à la pression qu’elle met sur les écosystèmes, lui défend bec et ongles la création de réserves sous-marines intégrales, où tout prélèvement de l’Homme serait prohibé. Et s’alarme de la montée des eaux, "qui menace le patrimoine humain de la Côte d’Azur". En attendant, ce fervent partisan de l’action photographie, avec sa compagne Lieve, toutes les digues des côtes méditerranéennes. Histoire d’éveiller, une fois de plus, les consciences sur l’impact de ces constructions sur la biodiversité. Inlassablement.
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