"J’ai perdu mon fils à cause de leurs erreurs": le combat de Séverine en la mémoire de Lucas, victime de harcèlement homophobe

A 13 ans, Lucas s’est suicidé, victime de harcèlement homophobe. Depuis, sa maman, Séverine Vermard, mène un combat contre la haine. Elle vient de signer un livre hommage.

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Alexandre ORI Publié le 16/05/2025 à 07:30, mis à jour le 16/05/2025 à 07:30
Séverine Vermard, au centre LGBTQIA +, à Nice, le vendredi 9 mai 2025. Photo Justine Meddah. Photo Justine Meddah / Nice Matin

Un bref instant, Lucas est encore là. Dans les mots de sa mère, le jeune ado retrouve une voix volée pour témoigner de l’indicible et se dresser contre la haine. Celle de ceux qui l’ont condamné à n’avoir que 13 ans, à jamais. En janvier 2023, le collégien se donnait la mort. Deux ans plus tard, avec un immense courage, sa maman, Séverine Vermard, signe Lucas, symbole malgré lui (ed. HarperCollins), un livre hommage, un cri d’alerte. Elle s’en ouvre à Nice-Matin dans un échange intime et puissant, au Centre LGBTQIA + de Nice (1).

Au-delà du symbole, qui était Lucas?

Toute ma force, je la tiens de lui. C’était un petit garçon souriant, plein de vie, plein de projets. Il voulait vivre à Paris, travailler avec les stars. Il était très empathique, toujours à se soucier des autres, avant de penser à lui. Il gardait beaucoup de choses à l’intérieur, cherchant aussi à nous préserver de sa souffrance. Au début, s’il nous a confié qu’il était harcelé, il a fini par se dire: "J’arrête. Ça leur fait du mal. Et puis, ça ne bouge pas. Donc, j’arrête de me plaindre." Mais ce qu’il subissait, quotidiennement, c’était trop dur. Il a fini par ne plus supporter, par se sentir dans une impasse.

Pourtant, vous avez alerté son collège. Qu’est-ce qui n’a pas marché?

Un mail a été envoyé à toute l’équipe pédagogique. Puis plus rien. Pas de vague. Pas d’enquête administrative. Pour l’obtenir, je me suis battue pendant un an et demi après le suicide de mon fils. Je n’ai pas lâché les ministres de l’Éducation, Nicole Belloubet et Gabriel Attal...pour quelque chose dont j’avais tout simplement droit.

Une enquête qui établit de graves faits...

C’est terrible de lire ça. Mais en même temps, quand on m’a dit que Lucas avait bien été victime de harcèlement et d’homophobie, ça a été un soulagement. Mon fils disait la vérité, il n’était pas fou.

Après avoir été condamnés pour harcèlement, quatre adolescents ont été relaxés en appel dans le cadre du suicide de votre fils. A l’approche de l’examen du pourvoi en cassation, prévu pour l’été, quel est votre état d’esprit?

J’ai beaucoup de colère contre le collège. J’ai perdu mon fils à cause de leurs erreurs. Il y a aussi l’indécence de certains parents des harceleurs et des harceleurs eux-mêmes. Ils disent que je leur ai bousillé la vie. En attendant, eux, ils vivent. Et sans remords d’ailleurs. Ils ne se sont jamais excusés. Alors que sans eux, Lucas aurait leur âge, leur sourire insouciant. Maintenant, ce sont des ados, j’espère qu’un jour ils réaliseront le mal qu’ils ont fait. En attendant, j’exige des sanctions. Pour eux, mais aussi contre le chef d’établissement et la CPE (conseiller principal d’éducation), même s’ils sont à la retraite.

Que doit faire l’Éducation nationale pour éviter qu’un tel drame se reproduise?

Il y a Phare, le programme de lutte contre le harcèlement à l’école (mis en place depuis 2021). En théorie c’est bien, mais dans la pratique, les moyens humains ne sont pas déployés. Il faut plus de psychologues et de médecins scolaires présents. Ils ne sont là qu’une fois dans la semaine. Et puis, il faut mieux aménager la formation des professeurs: actuellement, ils sont formés sur leur temps libre. Ça n’est pas normal, ça devrait être compris sur leur temps de travail. Enfin, il faut vraiment qu’un questionnaire sur le harcèlement soit rempli à chaque retour de vacances. Ce document est anonyme. Je ne suis pas trop pour. Il faut pouvoir identifier le jeune pour l’aider.

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Vous espérez aussi que les établissements ouvrent plus souvent leurs portes aux associations...

Oui, il faut intégrer les associations, comme la mienne, LUNAH (Liberté Unité Non au Harcèlement). Nous devons avoir accès aux établissements à plusieurs reprises. Avec des ateliers, des conférences, des ciné-débats, des manifestations... Il y a beaucoup de choses à faire. Parce qu’une seule journée sur le harcèlement, ça ne suffira jamais.

Que diriez-vous à des homophobes?

Et si c’était un membre de votre famille qui était homo? Si c’était vous? Et même si vous êtes convaincu d’être hétéro, vous n’avez jamais choisi cette orientation. Vous n’aimeriez pas avoir à vous cacher pour vivre ce que vous êtes. Alors pourquoi le faire subir aux autres?

Et à des parents démunis?

Appuyez-vous sur les associations, les psychologues, les centres LGBT. Il faut en parler, s’entourer. Et surtout, continuer à soutenir son enfant, contre vents et marées. C’est notre chair, nos entrailles. On ne devrait jamais rejeter son enfant. Il a le droit au bonheur.

Aux États-Unis et en Europe, des démocraties, jusqu’à présent libérales, virent réactionnaires et s’attaquent aux droits LGBT +. Est-ce que cela vous inquiète?

La France est loin d’être à l’abri. Ce retour en arrière, ça fait peur. Notamment pour les personnes transgenres. Comme pour l’orientation sexuelle, on ne choisit pas son identité de genre. J’ai eu des témoignages de personnes qui ont 70 ans et qui se libèrent seulement maintenant. Ils ont vécu une vie cachée, ont été forcés de se marier, d’avoir des enfants. On leur a imposé une vie, on les a privés de leur identité, de leur bonheur.

(1) Centre LGBTQIA + Côte d’Azur, rue Cathy Richeux, Nice. Tél: 04 83 32 81 84. Lundi et mercredi de 10h à 12h30 et de 13h à 20h. Mardi, jeudi, vendredi, de 10h à 12h30 et de 13h à 17h30. Samedi de 16h à 20h.

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