Le mobilier Art déco en majesté à Cap Moderne

Pour les cent ans de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, la villa Eileen Gray, à Roquebrune-Cap-Martin, accueille cinq meubles, emblématiques, réalisés dans les manufactures de Sèvres et de Beauvais.

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Alice Rousselot Publié le 16/05/2025 à 20:58, mis à jour le 18/05/2025 à 09:30
Les fauteuils et le vase se marient bien avec la table d’Eileen Gray. Photos Elisabetta Gaspard – CMN Crédit photo Web uniquement.

Les habitués de la Villa E-1027 d’Eileen Gray, amateurs au point d’en connaître les moindres détails, auront assurément une surprise s’ils participent à une visite des lieux avant le 2 novembre. Car au milieu de la décoration d’intérieure bien ordonnée, cinq meubles "étrangers" ont fait irruption.

Dans le détail: trois fauteuils, un paravent et un vase.

Le plus surprenant, pourtant, c’est qu’il n’y a justement rien de choquant. Car chacune de ces pièces a été choisie pour se marier au lieu, considéré comme une icône de l’architecture moderne.

Passion: aviation

Cette exposition inédite, inaugurée la semaine dernière, est le fruit d’une alliance entre le Centre des monuments nationaux (qui gère le site Cap Moderne) et Les Manufactures nationales – Sèvres & Mobilier national (*). L’enjeu pour les deux institutions étant de célébrer les cent ans de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes.

Concrètement, il aura ainsi été question de "sortir des réserves des meubles emblématiques des années 20 pour les placer dans des monuments significatifs du XXe siècle", indique Elisabetta Gaspard, cheffe d’équipe chargée d’actions culturelles, éducatives et de communication sur le site Cap Moderne. Précisant que la même démarche a été menée à la villa Cavrois (Nord), autre chef-d’œuvre de l’architecture moderniste géré par le CMN.

À ses yeux, les deux fauteuils qui trônent temporairement dans le salon d’E-1027 – élaborés par Djo Bourgeois (métal) et Jean-Camille Bellaigue (tapisserie) rejoignent presque les meubles conçus par Eileen Gray. On y retrouve des formes semblables dans les motifs. Mais ce sont surtout les imaginaires convoqués qui font indéniablement penser à la designer irlandaise. Le thème de l’aviation, principalement. Ou, par extension, du voyage.

Dans la même dynamique, le vase de Sèvres imaginé par Simon Lissim affiche la proue d’un paquebot. Habile clin d’œil quand on sait qu’Eileen Gray appelait elle-même E-1027 son "paquebot immobile".

"Ce qui est incroyable, c’est que ce sont des meubles originaux qui ont cent ans. Et ils sont en parfait état de conservation. Alors que dans la villa – en raison de son histoire – ce ne sont que des reconstitutions", souligne Elisabetta Gaspard. Pointant une évolution technique: au nickelage, chez Eileen Gray, répond le chromage chez Djo Bourgeois.

Esthétique nouvelle

Si l’exposition porte le nom de "1925 en héritage", c’est bien parce que l’exposition organisée à l’époque par le ministère du commerce a posé les jalons d’une nouvelle esthétique.

"Ça a été un réel détonateur, avec l’arrivée d’une autre façon de décorer l’intérieur. L’enjeu de cette manifestation était de montrer la nouveauté, mais aussi de regagner la prépondérance de l’Art déco. La France avait un peu été chahutée avant guerre par d’autres pays européens qui voulaient la suprématie", retrace Gérald Remy, conservateur du patrimoine, inspecteur des collections et Mobilier national, et commissaire de l’exposition roquebrunoise. Installée plusieurs mois durant à Paris, l’exposition de 1925 visait ainsi à soutenir l’industrie des arts décoratifs français et à les faire connaître à l’étranger.

"Via cette collaboration avec le CMN, on repart de cet anniversaire, de ses conséquences, pour évoquer les suites. Cette manifestation a eu un retentissement énorme. Il y avait des artistes d’avant-guerre déjà reconnus, et d’autres qui arrivaient avec leurs premières œuvres. À l’exemple du Pavillon de l’Esprit nouveau conçu par Le Corbusier".

Gérald Remy souligne que lors du récent vernissage à la villa d’Eileen Gray, des invités ont fait part de leur sentiment que le mobilier exposé était davantage moderniste qu’Art déco. "Mais il faut bien considérer qu’il y a d’abord eu plusieurs courants - qui se sont dissociés quand l’union des artistes modernes est née, en 1929. Dans la dizaine de pavillons proposés en 1925, il y avait aussi bien des grosses pointures – Ruhlmann, Follot – que des décorateurs en devenir, proposant d’autres voies qui mèneront au modernisme."

Après cet événement aux airs de manifeste, l’Art déco, puis le modernisme, vont ainsi "irradier sur tous les continents". Le mouvement se diffuse dans toutes les classes sociales. Exit la salle à manger de style Louis XVI. Bonjour la modernité.

Manufactures dépoussiérées

Ce que raconte aussi l’exposition actuelle, en toile de fond, c’est la volonté de moderniser les manufactures nationales après guerre. "Jusqu’en 1918, on tissait des modèles antérieurs à Napoléon III. Mais le nouveau directeur de la manufacture de Beauvais, Ajalbert, décide de la faire passer au XXe siècle. Il demande alors aux décorateurs et cartonniers de s’associer pour créer des ensembles de salon."

Parmi les tandems qui adhèrent au projet, on retrouve les susnommés Djo Bourgeois et Jean-Camille Bellaigue. Bien décidés à faire dialoguer matériaux nouveaux et technique traditionnelle de tapisserie – avec l’aide d’entreprises ouvertes à l’innovation telles que Thonet, qui passe alors du bois courbé aux tubes courbés et chromés. Pour l’anecdote, Djo Bourgeois et Eileen Gray ont travaillé ensemble sur le projet de la villa Noailles, à Hyères, dont le chantier débute en 1926.

Mais l’histoire de l’Art est faite de paradoxes. Et si les meubles exposés à Roquebrune sont dans un parfait état de conservation, c’est précisément parce qu’ils n’ont jamais été utilisés. "Ces grandes commandes ont fait un flop. L’autonomie financière des manufactures impliquait de vendre une partie des œuvres. Mais la tapisserie demande du temps… et les clients n’étaient pas prêts à attendre! Les meubles ont donc eu du mal à trouver preneurs", explique Gérald Remy. Conscient, également, des ravages de la crise de 1929. "Tout ce qui n’est pas parti est donc resté entre les mains de l’État. Mais c’est formidable pour nous, aujourd’hui, car un ensemble cohérent nous a été transmis."

Un héritage de 1925 intact, bien que centenaire.* Depuis le 1er janvier 2025, le ministère de la Culture a acté la fusion entre le Mobilier national et la Cité de la Céramique – Sèvres & Limoges.

Les pans du paravent représentent chacun une saison. Crédit photo Web uniquement..

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