Tenaillés par la faim, les journalistes de l'AFP à Gaza racontent leurs difficultés à couvrir la guerre

"On n'a plus de force à cause de la faim". Plusieurs journalistes de l'AFP dans la bande de Gaza racontent avoir de plus en plus de difficultés à couvrir la guerre entre Israël et le Hamas palestinien en raison des graves pénuries alimentaires.

AFP Publié le 22/07/2025 à 22:56, mis à jour le 22/07/2025 à 22:56
Le journaliste de l?AFP Eyad Baba pose pour une photo dans la bande de Gaza, le 24 avril 2025 AFP/Archives / -

Ces rédacteurs, photographes et vidéastes palestiniens évoquent une faim extrême, un manque d'eau potable et une fatigue physique et mentale croissante, qui les contraignent parfois à réduire leur couverture de la guerre, déclenchée le 7 octobre 2023 par une attaque sans précédent du Hamas en Israël.

En juin, l'ONU avait dénoncé ce qu'elle qualifie d'"utilisation de la nourriture à des fins militaires" par Israël, parlant d'un crime de guerre, après la multiplication des annonces alarmantes d'ONG sur la malnutrition.

Israël, qui assiège le territoire et laisse entrer l'aide au compte-gouttes, accuse le mouvement islamiste Hamas d'exploiter la détresse des civils, notamment en détournant l'aide pour la revendre à prix fort ou en tirant sur ceux qui attendent l'aide.

Des témoins et la Défense civile de Gaza ont toutefois accusé à plusieurs reprises les forces israéliennes d'avoir tiré sur des personnes qui attendaient de l'aide, l'ONU affirmant que l'armée avait tué plus de 1.000 Palestiniens qui tentaient de se procurer de la nourriture depuis la fin du mois de mai.

"Complètement abattu"

Bashar Taleb, 35 ans, l'un des quatre photographes de l'AFP sélectionnés cette année pour le prix Pulitzer, vit dans les ruines de sa maison à Jabalia al-Nazla, dans le nord de Gaza.

"J'ai dû interrompre mon travail plusieurs fois pour chercher de la nourriture pour ma famille", raconte-t-il. "Pour la première fois, je me sens complètement abattu".

Son collègue Omar al-Qattaa, photographe également âgé de 35 ans et lui aussi candidat au Pulitzer, se dit épuisé.

Le journaliste de l?AFP Omar Al-Qattaa pose pour une photo dans la bande de Gaza, le 9 mai 2024 AFP/Archives / -.

"Je dois porter du matériel lourd, marcher des kilomètres (...) On ne peut plus se rendre sur les lieux de reportage, on n'a plus de force à cause de la faim."

Il dépend d'antalgiques pour soulager des douleurs dorsales, mais affirme que les médicaments de base sont introuvables en pharmacie, tandis que le manque de vitamines et d'aliments nutritifs aggrave encore sa situation.

Khadr Al-Zanoun, 45 ans, à Gaza-ville, affirme avoir perdu 30 kilos depuis le début de la guerre. Le journaliste évoque des évanouissements à cause du manque de nourriture et d'eau, ainsi qu'une "fatigue extrême" et la difficulté à travailler. "Ma famille est aussi à bout."

Le photojournaliste Eyad Baba, 47 ans, déplacé du sud de la bande de Gaza vers Deir el-Balah (centre), où l'armée israélienne a lancé une offensive terrestre cette semaine, a dû quitter un camp surpeuplé et insalubre pour louer un logement à un prix exorbitant, afin d'y abriter sa famille.

"Je n'en peux plus de cette faim, elle touche mes enfants", confie-t-il.

"Plus fort que les bombardements"

"Dans le cadre de notre travail, nous avons été confrontés à toutes les formes possibles de mort. La peur et la sensation d'une mort imminente nous accompagnent partout", ajoute-t-il.

Etre journaliste à Gaza, c'est travailler "sous la menace constante des armes", explique Eyad Baba, soulignant toutefois que "la douleur de la faim est plus forte que la peur des bombardements."

"La faim empêche de penser".

A Gaza-ville, le directeur de l'hôpital Al-Chifa, Mohammed Abou Salmiya, a alerté mardi sur des "niveaux alarmants de mortalité" dus au manque de nourriture, affirmant que 21 enfants étaient morts de faim et malnutrition en trois jours.

La journaliste de l'AFP Ahlam Afana, 30 ans, souligne une autre difficulté : une épuisante "crise de liquidités", liée à des frais bancaires exorbitants et à une inflation galopante sur les rares denrées disponibles, vient aggraver la situation.

Le journaliste de l?AFP Bashar Taleb pose pour une photo dans la bande de Gaza, le 10 décembre 2024 AFP/Archives / -.

Les retraits en liquide peuvent être taxés jusqu'à 45%, explique Khadr al-Zanoun, tandis que le prix des carburants explose --là où on en trouve, rendant tout déplacement en voiture impossible.

"Les prix sont exorbitants", déplore Ahlam Afana. "Un kilo de farine se vend entre 100 et 150 shekels israéliens (25 à 38 dollars), ce qui dépasse nos moyens, même pour en acheter un seul kilo par jour.

"Le riz coûte 100 shekels, le sucre dépasse les 300, les pâtes 80, un litre d'huile entre 85 et 100. Les tomates se vendent entre 70 et 100 shekels. Même les fruits de saison -raisins, figues- atteignent 100 shekels le kilo."

"Nous ne pouvons pas nous le permettre. Je ne me souviens même plus de leur goût."

"La faim nous ronge"

La journaliste explique qu'elle travaille depuis une tente délabrée, sous une chaleur étouffante. "Je bouge lentement. Ce n'est pas seulement les bombardements qui nous menacent, c'est la faim qui nous ronge."

"Je ne me contente plus de couvrir la catastrophe (de la guerre). Je la vis."

Reporters sans frontières (RSF) a indiqué mardi que plus de 200 journalistes avaient été tués à Gaza depuis l'attaque du 7 octobre 2023.

Le journaliste de l'AFP Khader Zaanoun pose pour une photo à Gaza, le 22 juillet 2025 AFP / -.

Le vidéaste Youssef Hassouna, 48 ans, confie que la perte de collègues, d'amis et de membres de sa famille l'a éprouvé "de toutes les manières possibles".

Malgré un ?"profond vide intérieur", il dit continuer à exercer son métier. "Chaque image que je capture pourrait être la dernière trace d'une vie ensevelie sous les décombres", dit-il.

Zouheir Abou Atileh, 60 ans, ancien collaborateur du bureau de l'AFP à Gaza, partage le vécu de ses confrères et parle d'une situation de "catastrophique".

"Je préfère la mort à cette vie", affirme-t-il.

"Nous n'avons plus aucune force, nous sommes épuisés, en train de nous effondrer". "Trop c'est trop."

 

“Rhôooooooooo!”

Vous utilisez un AdBlock?! :)

Vous pouvez le désactiver pour soutenir la rédaction du groupe Nice-Matin qui travaille tous les jours pour vous délivrer une information de qualité et vous raconter l'actualité de la Côte d'Azur

Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires ressentis comme intrusifs.

Si vous souhaitez conserver votre Adblock vous pouvez regarder une seule publicité vidéo afin de débloquer l'accès au site lors de votre session

Monaco-Matin

Un cookie pour nous soutenir

Nous avons besoin de vos cookies pour vous offrir une expérience de lecture optimale et vous proposer des publicités personnalisées.

Accepter les cookies, c’est permettre grâce aux revenus complémentaires de soutenir le travail de nos 180 journalistes qui veillent au quotidien à vous offrir une information de qualité et diversifiée. Ainsi, vous pourrez accéder librement au site.

Vous pouvez choisir de refuser les cookies en vous connectant ou en vous abonnant.