"C'est vraiment la guerre", "Personne ne se rappelle comment était la vie avant": ces Azuréens pris au piège en Israël et en Iran témoignent

Depuis vendredi, Israël et l’Iran s’échangent sans répit des frappes aériennes. Une escalade meurtrière que subissent nombre de civils. Des Azuréens témoignent.

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Julie Baudin (jbaudin@nicematin.fr) et Romain Béal (rbeal@nicematin.fr) Publié le 19/06/2025 à 13:51, mis à jour le 19/06/2025 à 14:33
Photo d’illustration Bahram/Middle East Images/AFP

Ils sont Azuréens et se trouvaient en Israël, pour raisons familiales, quand la guerre ouverte entre l’État hébreu et l’Iran a éclaté. Alors que des centaines d’Européens présents sur place ont déjà été rapatriés*, ils ont le sentiment de n’être que peu soutenus par leur pays et racontent leur quotidien alors que le pays essuie salve après salve de missiles iraniens. En miroir, des Iraniens, se trouvant soit sur place, soit à Nice, évoquent le reflet inversé d’un peuple qui vit aussi dans la peur des incessantes attaques venues du ciel, surtout à Téhéran, mais qui se prend, aussi à espérer une nouvelle liberté. Regards croisés.

*L’Allemagne devait évacuer quelque 200 personnes par un vol commercial affrété depuis la Jordanie hier, avec un autre prévu aujourd’hui. L’Italie, elle, a mis en place des vols depuis Amman; la Grèce a rapatrié 105 ressortissants depuis Charm el-Cheikh, en Égypte; la Pologne et la Bulgarie ont aussi pu rapatrier des ressortissants par avion

À 24 ans, Léa, en 6e année de médecine à Nice, ne peut pas rentrer. Bloquée en Israël, elle découvre un état de guerre. Photo DR.

"On n’a aucun soutien": des Azuréens bloqués en Israël témoignent

"Dans la nuit de jeudi à vendredi, il était 2 heures quand la sirène a retenti pour nous avertir que la guerre commençait. Les premiers missiles iraniens sont tombés quelques heures plus tard…" Patrick fait partie des Azuréens bloqués en Israël depuis que l’espace aérien est fermé à tous les vols civils. "C’est surtout la nuit que les missiles tombent, c’est long et angoissant. Vendredi, c’était à 600 m de nous. Quand les missiles sifflent et tombent, ça fait un bruit incroyable et tout tremble, on pense que l’immeuble va tomber! L’autre nuit, on est descendu se mettre à l’abri à trois reprises. Un missile, ça fait plus de 10 m, c’est la taille d’un bus… J’étais là le 7 octobre 2023, mais là, ça n’a rien à voir. C’est vraiment la guerre…"

"Pourquoi personne ne bouge en France pour nous aider?"

Cet Azuréen vit dans l’angoisse. "Nous sommes venus avec ma femme pour les obsèques de ma belle-mère. On devait rentrer il y a quelques jours, mais le vol a été annulé et l’aéroport a fermé. Depuis, on attend et nous n’avons aucune information. C’est terrible." Il est hébergé depuis quelques jours chez son fils, à Tel-Aviv: "On est douze dans un petit appartement, on ne pourra pas rester éternellement. On ira où, après?"

Comme d’autres Français, Patrick dénonce un manque de soutien de la part de son pays: "J’ai appelé le consulat pour leur demander de l’aide, on m’a dit de m’inscrire sur une plateforme spéciale de secours et d’attendre. C’est tout. Aucune autre information, aucune considération, aucune écoute. Rien. Juste un "Monsieur, c’est la guerre, que voulez-vous qu’on y fasse?" Je ne comprends pas une telle attitude de la part de mon pays."

Pour lui, il y a des solutions: "L’aéroport est fermé mais on pourrait passer par Chypre. Il y a des bateaux qui y partent depuis Ashdod [5e ville et premier port d’Israël, Ndlr] et de là-bas, on peut regagner la France. L’autre solution, c’est de passer par l’Égypte ou la Jordanie, mais ça peut être dangereux. Il faut juste qu’on soit accompagné par notre pays dans ces démarches."

"À 24 ans je n’aurais jamais pensé devoir me cacher dans un abri"

Léa, elle, est à Jérusalem. La situation y est plus calme qu’à Tel-Aviv, mais l’angoisse de ne pas pouvoir rentrer chez elle commence à peser sur cette Azuréenne de 24 ans, étudiante en 6e année de médecine: "Je suis venue rendre visite à ma sœur qui vient d’avoir un bébé. Maintenant, je veux rentrer chez moi."

Elle aussi décrit les nuits sans sommeil à guetter la moindre alerte et à trembler au sifflement des bombes: "J’ai vraiment peur. En mars, je suis venue passer quatre jours. Il y avait déjà des alertes, mais rien à voir. Aujourd’hui, on se sent vraiment en guerre. En journée, tout est fermé à part les magasins d’alimentation, les enfants ne vont plus à l’école… À 24 ans, je dois me réfugier la nuit dans un abri pour me mettre en sécurité, je n’aurais jamais pensé vivre ça. Tout le monde est très fatigué."

Léa s’est rapprochée de l’ambassade de France en Israël pour s’inscrire sur le "fil d’Ariane" et avoir une chance, dès que ce sera possible, d’être rapatriée chez elle auprès de sa famille à Nice.

Un corridor de sécurité pour faciliter leur retour?

La Ville de Nice, avec l’appui de la Région, demandent l’établissement d’un corridor pour faciliter le retour en France de ces Azuréens bloqués en Israël. Et assurent être "en lien étroit et constant avec (...) les ministères concernés, ainsi qu’avec les autorités israéliennes, afin de faciliter les démarches de retour, organiser une prise en charge adaptée, et garantir la sécurité des ressortissants français sur place."

Un dispositif d’accompagnement a été mis en place à Nice, et les familles ayant des proches actuellement bloqués en Israël ou en Iran sont invitées à se faire connaître par e-mail à international@nicecotedazur.org. 

Mahyar est Iranien, réfugié politique à Nice depuis 2018. Il a l’espoir de voir tomber le régime islamique. Photo Justine Meddah.

Des Iraniens partagés entre la peur et l’espoir de voir tomber le régime

Anahita*, la quarantaine, habite et travaille dans un pays européen (qu’elle ne souhaite pas dévoiler pour sa sécurité) depuis une dizaine d’années. Opposée au régime des mollahs comme une grande majorité des Iraniens, elle est malgré tout partie en vacances trois mois sur place début mai, pour voir ses parents à Ispahan, une grande ville du centre du pays. Elle devait rentrer en juillet, mais tous les vols sont annulés. "Pour moi, c’est comme si ce n’était pas réel, raconte-t-elle calmement au téléphone, hier. La guerre a commencé il y a quelques jours, mais c’est comme si ça faisait déjà un mois. Personne ne se rappelle comment était la vie avant."

Pour l’instant, elle dit se sentir en sécurité à Ispahan: "Bien sûr, on entend des explosions, la maison a déjà tremblé plusieurs fois, et ces derniers jours, on pouvait voir les missiles dans le ciel. Mais à Téhéran, c’est bien pire, les gens ont très peur. Mon cousin habitait près d’une zone qui a été attaquée, ses vitres ont été brisées, et il a fui, car il n’y a aucun abri là-bas."

"J’ai des amis qui sont dans ma situation, et qui ont pris des taxis jusqu’à la frontière turque ou arménienne afin de prendre l’avion et rentrer en Europe ou aux États-Unis, poursuit-elle. J’aurais pu le faire, mais si j’avais laissé ma famille ici, j’aurais été super-stressée, donc je suis restée. On verra ce qu’il se passera…"

Selon elle, l’Iran est incapable, technologiquement, de se défendre durablement, "d’autant que la République islamique n’a aucun allié, alors qu’Israël en a plein. On ne sait pas si le régime est réellement proche d’avoir l’arme nucléaire, tout dépendra de ça."

"Donald Trump est fou, on ne sait pas jusqu’où il peut aller"

Quant à une éventuelle entrée en guerre des États-Unis? "C’est difficile de dire si c’est positif… Donald Trump est fou, on ne sait pas jusqu’où il peut aller. On ne veut pas le chaos, on veut juste un changement de régime, et la liberté. Mais quand les dictateurs sont effrayés, il peut se passer de bonnes choses. Et aujourd’hui, Khamenei a très, très peur."

Et d’ajouter: "Si le régime devient plus faible, le peuple iranien pourra peut-être faire quelque chose, mais c’est compliqué, car tout le monde a très peur. Les gens fuient Téhéran et essayent juste de survivre." Ses espoirs sont néanmoins intacts: "Il faut que ce régime, qui nous a pris en otages, tombe. Pour que le peuple iranien soit enfin libre!"

Mahyar est réfugié politique à Nice depuis 2018. Il est en lien avec ses parents, qui vivent dans le nord du pays, et ses amis installés à Téhéran. "Oui, le danger est là. Mais les Iraniens que je connais continuent de vivre. Et surtout, ils ont l’espoir de voir tomber le gouvernement islamique, qui a fait tant de morts en Iran. Israël cible en priorité les habitations des gens du gouvernement, c’est pas une guerre contre nous, même si, bien sûr, il y a des victimes civiles qu’on ne peut pas nier." À 30 ans, Mahyar a enfin l’espoir de voir l’obscurantisme tomber: "Israël nous aide, ils ont ouvert la voie. C’est au peuple iranien maintenant de continuer et de prendre en main son destin."

"Israël a quand même bombardé un hôpital"

Sonia* est plus mesurée. Née en Iran, elle vit à Nice depuis une quarantaine d’années, mais elle reste très attachée à ses origines. "Peut-être que le régime va tomber. Mais au prix de combien de civils morts? Des bombes tombent en permanence. Des immeubles entiers sont détruits à Téhéran. Je suis en contact avec des gens là-bas et tous vivent avec la peur de mourir. Les frappes d’Israël ne sont pas si chirurgicales que ça. Ils ont quand même bombardé un hôpital! Il y a des morts, et il va y avoir une nouvelle génération de jeunes Iraniens traumatisés et sacrifiés."

*Les prénoms ont été changés.

Patrick était parti quelques jours en Israël pour des raisons familiales. Depuis, il est bloqué là-bas et dénonce le manque de soutien du gouvernement français. Photo DR.

Donald Trump continue à manier le chaud et le froid

L’incertitude demeurait hier soir autour d’une éventuelle intervention des États-Unis aux côtés de l’État hébreu. Dans la journée, le Guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, a exclu toute reddition, à laquelle l’avait appelé Donald Trump, et a mis en garde contre toute implication directe, menaçant de "dégâts irréparables". Mais le Républicain, remercié par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour son "soutien" à la "défense du ciel israélien", a entretenu le doute: "Je vais peut-être le faire, peut-être pas", a-t-il lancé, affirmant que Téhéran était entré en contact avec Washington pour négocier, mais que sa patience était "déjà à bout".

Sur le terrain, le ministre israélien de la Défense a annoncé, entre autres destructions, que Tsahal avait anéanti le "quartier général de la sécurité intérieure" à Téhéran, "principal organe de répression". Depuis mardi soir, Israël et l’Iran ont continué à échanger de nouvelles frappes; Tsahal a réussi à détruire deux bâtiments de production de centrifugeuses, tandis que la République islamique a fait usage de missiles hypersoniques.

En France, Emmanuel Macron a demandé au Quai-d’Orsay de "faciliter le départ" des Français voulant quitter les deux pays.

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