"Le rêve américain n'est pas accessible à tous": rencontre avec Gina Gammellet Riley Keough, réalisatrices de "War Pony"

Récompensée l’année dernière par la Caméra d’or au Festival de Cannes, "War Pony" s’impose comme une immersion émouvante au sein d’une réserve amérindienne à travers le destin de deux personnages. Rencontre avec les deux réalisatrices.

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Cédric Coppola Publié le 10/05/2023 à 15:30, mis à jour le 11/05/2023 à 18:44
interview
Riley Keough, la petite-fille d’Elvis Presley, ici à Cannes en 2016. Photo P. L.

Comment est née cette envie de filmer au sein de la réserve indienne de Pine Ridge?

Riley Keough: En 2015, lorsque je travaillais sur un autre film dans cette région des États-Unis, je me suis liée d’amitié avec Bill Reddy et Franklin Sioux Bob qui, par la suite, sont devenus les co-scénaristes sur "War Pony".

Gina Gammell: Riley m’a présentée à eux et nous avons rapidement composé ensemble une sorte de famille inséparable, comme on le fait souvent quand on a vingt ans. Puis, cette amitié s’est transformée en un projet artistique avec ce désir de filmer les réserves indiennes et de développer une histoire basée sur leur vie respective.

Y avait-il également l’envie de sensibiliser les spectateurs à ce genre d’endroits, souvent marginalisés par le système?

G. G.: Nous savons comment historiquement, les réserves ont été les cibles systémiques de marginalisation, d’abus… De nombreux traumatismes ont été infligés aux communautés amérindiennes à travers le pays. Nous avons eu une connexion avec ces deux garçons et il s’agit donc de parler de leurs expériences qui, je tiens à le souligner, ne sont pas forcément représentatives de l’ensemble des populations indigènes. Ce qui ne signifie pas que tout est acquis et qu’il ne reste rien à faire pour améliorer leur condition de vie. Lors des projections, nous avons constaté cette universalité. Selon leur sensibilité, les gens s’identifient à différentes parties du film, qu’il s’agisse de la famille, de la communauté ou de la lutte et du chagrin.

Vous vous attaquez dans ce film au rêve américain. Qui semble impossible…

G. G.: Le rêve américain est un idéal défectueux. Il n’y a qu’à regarder l’Amérique qui est brisée.

R. K.: Ce sujet nous fascine d’autant plus que ce rêve n’est pas accessible à tous les citoyens américains. C’est un jeu de dupes. Il s’agit en tout cas d’un thème de notre écriture que nous souhaitons développer davantage au fil de notre carrière.

Votre réalisation essaie de mélanger le romanesque et le naturalisme. Ce rendu parfois proche du documentaire était important à vos yeux?

G. G.: Bill et Franklin sont de merveilleux conteurs et savent quand il faut jouer les choses à fond ou, au contraire, les minimiser. Dans leur récit, il y a donc aussi une part d’imagination et, au final, le résultat reflète la manière dont nous avons collaboré ensemble. L’histoire de la mort du chien illustre parfaitement cette démarche. Bien avant que le projet voit le jour, nous avons vu Bill perdre son chien Beast… Cependant Beast était un pitbull et non un caniche, comme nous le montrons à l’écran. L’essentiel est que tout soit lié à une vérité émotionnelle.

L’idée était aussi de faire le portrait d’une jeunesse livrée à elle-même, avec des adultes qui semblent ici chercher à les exploiter?

R. K.: Lorsqu’on est amené, si tôt à expérimenter tant de choses, on fait face à de douloureux problèmes qui nous obligent à grandir de façon précoce. Beaucoup de jeunes en Amérique ont affaire à ce genre de situations et ces traumas font malheureusement partie du quotidien de nombreuses personnes à Pine Ridge… Heureusement, il y a aussi de nombreux adultes, bienveillants et protecteurs envers leurs enfants. C’est la raison pour laquelle nous avons tenu à intégrer dans ‘‘War Pony’’ des moments de joie et de bonheur. Il ne s’agit donc pas seulement d’une histoire triste.

Constituer le casting, composé d’acteurs non professionnels a-t-il une gageure?

G. G.: Nous avons pu travailler sur place, à Pine Ridge. Le processus a été très long, tout comme le casting, extrêmement réfléchi. Notre chance a été de trouver des personnes talentueuses qui ont été très studieuses lors des répétitions. Elles ont travaillé avec un coach et ont pris ce travail très au sérieux.

Riley Keough, ‘‘War Pony’’ se termine sur la chanson ‘‘Until It’s Time For You To Go’’. Mais étrangement, il ne s’agit pas de la version interprétée par votre grand-père, Elvis Presley. Pourquoi ce choix?

R. K.: Elle est interprétée par Buffy Sainte-Marie, une artiste indigène ce qui est cohérent avec notre propos. C’est également elle qui a écrit cette chanson. Je suis fan de cette artiste et, plus généralement, nous pensions qu’il s’agissait d’une belle façon de conclure le film.

Photo Felix Culpa.

Un monde à part

L’histoire

Deux jeunes hommes de la tribu Oglala Lakota vivent dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. Bill (Jojo Bapteise Whiting), 23 ans, cherche à joindre les deux bouts à tout prix. Matho (LaDainian Crazy Thunder), 12 ans, est quant à lui impatient de devenir un homme. Liés par leur quête d’appartenance à une société qui leur est hostile, ils tentent de tracer leur propre voie vers l’âge adulte...

Notre avis

Récompensé par la prestigieuse caméra d’or, qui honore chaque année le meilleur premier long-métrage toutes catégories confondues du Festival de Cannes, "War Pony" a pris son temps pour arriver dans les salles obscures. Une œuvre choc où Gina Gammell et Riley Keough (fille de Lisa Marie Presley et donc petite-fille du King Elvis) plongent le spectateur au sein d’une réserve amérindienne, lieu coupé du monde et régi par ses propres codes.

Dans la lignée du fascinant "Les Chansons que mes frères m’ont apprises" de Chloé Zhao, le duo de réalisatrices se focalise sur l’immersion, grâce à un rendu naturaliste, proche du documentaire, en présence d’un casting constitué d’acteurs du cru, ce qui renforce la véracité.

En se concentrant sur les déboires d’un jeune adulte et d’un pré-adolescent, soit deux générations de personnages séparées de dix ans, le binôme s’interroge sur le fameux rêve américain, qui tient davantage du mirage… Simpliste au premier abord, la structure du montage parallèle entre Bill et Matho, qui ne se connaissent pas fait peu à peu sens, jusqu’au final, bouleversant, où ils semblent enfin trouver leur place.

> De Gina Gammell et Riley Keough (États-Unis). Avec Jojo Bapteise Whiting, LaDainian Crazy Thunder, Ashley Shelton... Drame. 1h54.

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