Lire Lolita à Téhéran, revient sur la condition des femmes en Iran, dans les années 1980. Accepter ce film c’était comprendre cette période, que vous avez vécue, enfant?
C’est ce qui s’est passé. Au départ, j’ai accepté ce film en pensant que le réalisateur, Eran Riklis, ne parviendrait pas à le monter… J’avais une réticence à jouer dans ma langue natale, le farsi, qui plus est, dans une œuvre qui traite directement de l’Iran. Cela faisait 17 ans que j’évitais ce type de projets, je ne voulais pas être enfermée dans cette case. En 2022, lorsqu’il m’a confirmé que les fonds étaient réunis, tout est devenu concret. Quand la lecture du scénario s’est terminée, j’ai éclaté en sanglots sans comprendre pourquoi. C’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais absolument faire ce film… Grâce à lui, j’ai pu revivre l’histoire de mes parents et celle de ma langue. C’était aussi une forme de pardon, je crois, de notre génération envers la précédente. Au final, jouer en farsi a été un pur bonheur. Mais il fallait que ce soit le bon projet.
Jouer en farsi change-t-il votre approche du jeu par rapport à l’anglais ou au français?
Non, pas vraiment. Je me connecte à mes personnages à un niveau émotionnel avant tout. Mais la langue, c’est un outil qui engage plusieurs muscles et active différentes zones du cerveau. Jouer en farsi était un peu comme aller dans une forêt où je refusais d’aller, une sorte de jardin d’Éden. C’était dingue, beau, tellement facile, naturel.
Beaucoup d’artistes aiment dire que leurs films ne sont pas politiques. Ici, la politique est au cœur du récit. C’était important?
Oui, bien sûr. Au-delà des personnages, l’histoire du film est politique. On parle de l’oppression, de la censure des livres. Ce sont des thèmes forts. Mon père justement possédait des livres interdits. Avant la révolution, certains ouvrages de gauche étaient déjà censurés, ce qui est encore le cas aujourd’hui…
Le film évoque aussi le rapport hommes/ femmes. Y a-t-il eu une prise de conscience à ce niveau?
Peu de choses ont changé en 45 ans. L’oppression sur la femme, l’histoire du voile, les exécutions… C’est pareil. Par contre, aujourd’hui, les hommes réalisent enfin la souffrance des femmes, alors qu’ils ne s’en rendaient pas compte à l’époque. On le voit avec le personnage du mari. C’est un intellectuel, mais pris dans ce système, il ne réalise pas ce que vit son épouse. Désormais, ils donnent leur sang pour des femmes, pour la vie, la liberté. L’évolution des hommes est donc le principal changement survenu en Iran.
Vous donnez la réplique à une autre actrice iranienne engagée, Zar Amir Ebrahimi. Avez-vous discuté de la manière dont les artistes peuvent faire bouger les choses dans votre pays?
On ne parle pas directement de ces sujets. Cependant, on vit, on boit, on mange, on danse ensemble et à travers ça, il y a toujours des discussions qui se passent, il y a constamment des inspirations. Ce n’est pas comme si on s’asseyait à un meeting et qu’on réfléchissait sur une marche à suivre. Ce n’est pas organisé, mais nous savons où nous allons.
Notre critique
Azar Nafisi (Golshifteh Farahani), professeure à l’université de Téhéran, réunit secrètement sept de ses étudiantes pour lire des classiques de la littérature occidentale interdits par le régime. Alors que les fondamentalistes sont au pouvoir, ces femmes se retrouvent, retirent leur voile et discutent de leurs espoirs, leurs amours et leur place dans une société oppressive. Pour elles, lire Lolita à Téhéran, c’est célébrer le pouvoir libérateur de la littérature…
En 2003, Azar Nafisi écrivait Lire Lolita à Téhéran, un livre autobiographique dans lequel elle revenait sur sa vie en Iran durant les années 1980. Un best-seller porté au cinéma par Eran Riklis qui confie à Golshifteh Farahani le rôle de cette professeure engagée et à Zar Amir Ebrahimi celui d’une de ses élèves. Celle-ci reste toutefois cantonnée à un second rôle, ce qui pourra décevoir ceux qui attendaient la rencontre entre ces deux comédiennes. Cela ne les empêche pas de livrer, chacune dans leur registre, des prestations solides et de refléter la difficulté d’exister des femmes dans le pays. La mise en scène en retrait se contente d’illustrer cette thématique, quitte à déboucher sur un film scolaire qui, contrairement à ce que laisse penser la présence de Lolita dans le titre, ne joue pas la carte de la provocation. L’adaptation a néanmoins le mérite de bien étaler les faits et de valoriser le combat de cette intellectuelle rebelle, déterminée à faire valoir – et transmettre – ses idées.
D’ERAN RIKLIS (Italie/ Israël), avec Golshifteh Farahani, Zar Amir Ebrahimi, Mina Kavani. Drame. 1h47. Notre avis: 3/5.
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