"S’il y a un GP à ne pas louper, c’est bien celui-ci": Georges de Coster, photographe aux 40 Grands Prix de Monaco

Georges de Coster hésite: "43, 42... 40 c’est certain." Ce chiffre, c’est le nombre de Grands Prix de Monaco qu’il a immortalisés avec son œil expert. Du bagage et du vécu, il en a... Rencontre.

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YANN DOUYèRE Publié le 29/05/2023 à 11:03, mis à jour le 29/05/2023 à 11:48
Georges de Coster, de l’autre côté de l’objectif cette fois. Romain Rixhon

Embués de larmes discrètes en replongeant dans quelques lointains souvenirs, les yeux de Georges de Coster continuent aujourd’hui de briller quand vient le moment d’immortaliser l’événement monégasque. L’éclat n’est sans doute plus le même pour cet ami belge qui baroude sur les circuits de Formule 1 depuis 43 ans, mais la passion reste intacte.

Instants émotion avec Ayrton Senna ; point de vue tranchant sur l’évolution du métier ; facteur chance primordial pour capturer des clichés sur le circuit de Monaco ; le cadre atypique de la Principauté… Rencontre avec ce mastodonte de la photographie au caractère bien trempé, sniper de la boutade, dont la bonhomie témoigne d’une grande humilité. Après tout, "quand votre passion vous fait vivre, alors vous êtes en paix".

Nous sommes le 4 mai 1980, sur le circuit Zolder en Belgique, racontez-nous…
Ma première course officielle. Comment c’est arrivé ? J’étais étudiant, quelques années auparavant. Un jour, lors d’un racing show à Bruxelles, une dame, un peu paniquée, désirait à tout prix la photo d’un pilote: "Mon Dieu, mais où est-elle, je ne la trouve pas…" Bon. Je trifouille un peu et lui dis: "C’est celle-là que tu cherches?" Elle semblait surprise: "Il n’est pas connu, comment est-ce que tu as su…" Et c’est à ce moment qu’elle m’a demandé si je m’intéressais à la photographie et si je souhaitais travailler avec eux, dans leur labo, pour archiver, tout ça. J’ai fait mon chemin et étant passionné de sport automobile, je me suis retrouvé sur le Grand Prix d’Afrique du Sud en 1979, mais on m’avait filé une carte en douce car je n’avais pas le droit d’être là, j’avais 17 ans. Mais la première officielle donc, c’était Zolder et je m’occupais surtout des people. Je traînais dans les paddocks. Et puis, le pro que j’accompagnais aimait la façon dont je rassemblais les gens pour les faire poser sur un même cliché. C’était plus simple qu’aujourd’hui. Il faut dire qu’à l’époque, il y avait le cuistot qui servait à manger, quelques mécanos et un ingénieur. Les pilotes faisaient encore les cons donc on pouvait faire tout ce qu’on voulait.

"Ayrton Senna était toujours disponible, dans le box et en dehors"

Quatre décennies à photographier la Formule 1. Les conditions de travail du métier ont-elles été bouleversées au fil du temps ?
Absolument. Ce qui nous a terriblement bouleversés, c’est le numérique, et le nombre de personnes qu’ils ont mis dans les écuries. J’ai vécu le début de carrière d’Ayrton Senna. C’était formidable parce qu’il était toujours disponible, dans le box ou en dehors. C’était facile de l’avoir. Maintenant, il y a 50 mécanos autour d’eux et je suis persuadé que celui tout à droite ne sait pas ce qu’est en train de faire celui tout à gauche. Ils sont tellement concentrés. Du coup, avec cette indisponibilité du fait que les pilotes soient surprotégés, on loupe plein de choses. Dans le temps, on travaillait sur bobine et quand c’était fini on se retrouvait en même temps que les pilotes à la piscine, on rigolait, jouait aux cartes, faisait des conneries.

Cela vous manque cette proximité avec les pilotes ?
Terriblement. Par exemple, au Castellet, en 1991, je suis avec mon ami pilote Eric van de Poele. Je devais faire des photos de lui sur la piste car j’avais un vol retour le soir même. Mais c’était Marco Apicella qui roulait. J’étais bien embêté. Alors, Eric appelle Marco avec qui il est très ami – ils avaient couru en Formule 3 000 ensemble – et lui glisse: "Mon pote a besoin de clichés de moi dans la monoplace, tu voudrais pas enfiler mon casque pour que ça l’arrange?" Bien sûr, il a accepté et j’ai photographié Marco Apicella pendant 15 tours qui portait le casque d’Eric. Ensuite, Eric plaisantait avec des commissaires de piste et répétait: "C’est un beau casque qu’il a, c’est un beau casque". Et le commissaire rétorquait: "Il est très beau en effet, c’est celui du pilote belge Eric van de Poele". Puis, il a regardé mon ami, puis la voiture, de nouveau Eric et s’est fendu d’un: "Il se fout de ma gueule celui-là", en se rendant compte de la supercherie. Alors Eric l’a rassuré: "Ne vous inquiétez pas, c’est mon frère qui est au volant".

Venons-en à Monaco, est-ce un lieu particulier à photographier avec ce circuit urbain au centre d’un décor si atypique ?
C’est formidable comme circuit. S’il y a un Grand Prix à ne pas louper dans l’année c’est bien celui-ci. La nuit dernière, je me suis dit qu’on roulait là où des Formule 1 poussent jusqu’à 300 km/h le lendemain, c’est aberrant. Les rues sont tellement étroites, il y a des virages masqués, à l’aveugle et les mecs y vont quoi.
Avec une seule zone DRS, des dépassements plutôt rares et sans trop de drapeaux rouges, le facteur chance est-il, ici plus qu’ailleurs, primordial pour les photographes ?
C’est sûr et certain. On peut être très bien placé et tout se passe ailleurs. Mais il y a quand même un avantage avec le digital, c’est qu’on travaille en team. Avant, on avait nos rouleaux de films 36 vues, mais maintenant on a des cartes super chargées qui peuvent contenir des milliers de photos. Alors, on peut s’échanger les clichés. Ça arrive qu’on n’ait rien ou alors qu’on ait tout. Le facteur chance, il est primordial aussi bien pour nous que pour les pilotes.

Qui vous impressionne le plus sur la piste en ce moment ?
Max Verstappen. Depuis qu’il est là, la Formule 1 c’est facile [rires]. Il peut partir 15e et il lui faut combien de tours pour être devant ? C’est incroyable. Il y a beaucoup de monde qui doit chiquer là. Il se bat pour chaque centimètre. Parfois j’ai l’impression que les autres dorment un peu.

"Quand tu fais une bonne photo, tu le sens tout de suite"

Il y a d’ailleurs un cliché capturé à Monaco du Néerlandais dont vous êtes particulièrement fier…
La première sortie de Max lorsqu’il était chez Toro Rosso. C’était tout près du Casino. Quand il est sorti de sa voiture, il ne semblait plus savoir où il était. Je vois encore son visage, il avait l’air sur la lune. Il était tellement sûr de lui, même à cette époque, qu’on avait l’impression qu’il était dans un simulateur. Sauf que là, si tu te plantes, la grue prend ta voiture et toi tu restes sur le bas-côté. Mais je me souviens encore du vide dans son regard, ça m’a percuté. Il avait l’air si déçu…

Donnez-nous la recette de Coster pour faire une belle photo ?
Tu le sens tout de suite. Pour moi, une chouette photo c’est quand elle sort de mon appareil prête à être publiée immédiatement. Je ne vais pas commencer à enlever six peaux de bananes qui sont dans le chemin ou cinq autres caisses avec les mauvais sponsors. Non, tu fais une photo et tout est bon. Et avec l’expérience, j’ai appris à le sentir. Comme cette fois où Jacky Ickx a remis un trophée à Max qui affichait un sourire de gamin. Tu captes le bon moment.

Il y a des circuits sur lesquels vous prenez plus de plaisir ?
Il y en a beaucoup que je n’ai quasiment jamais raté. L’Australie, Monaco, le GP de Belgique forcément. Bahreïn, Singapour c’est formidable. L’Autriche aussi, génial. C’est ceux-là que j’aimerais encore couvrir, même après ma retraite. À l’époque de Thierry Boutsen, j’allais partout, 14 ou 16 Grands Prix dans l’année. Mais quand ça commence à prendre le pas sur ta vie privée, c’est le moment de dire stop. C’est si addictif. Donc maintenant j’ai une short-list de mes circuits préférés.

Un dernier mot pour Monaco ?
J’ai fait le tour à mon âge, mais je reviendrai toujours ici. Tu trouves des gens que tu ne retrouves nulle part ailleurs, des journalistes, des photographes. Une équipe de commissaires formidables. Les quatre jours à Monaco passent à une vitesse incroyable. C’est grâce à ce type de lieu qu’on aime notre métier.

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