"Qui a gagné? Mystère!": Gérard Larrousse revient sur le rocambolesque 39e Grand Prix de Monaco qui avait vu perdre Alain Prost

Gérard Larrousse fait une marche arrière de quarante ans pour évoquer l’issue rocambolesque d’une course où son pilote, Alain Prost, avait laissé échapper un succès qui lui tendait les bras.

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Gil Léon Publié le 30/05/2022 à 08:55, mis à jour le 30/05/2022 à 12:34
Gérard Larrousse: "Alain (Prost) menait la danse. Personne ne pouvait plus l’empêcher de gagner à la régulière". Photo G.L.

C’était hier, ou presque. Il y a quarante ans, déjà. Au cœur d’une saison 1982 dramatique, marquée par les accidents mortels de Gilles Villeneuve et Riccardo Paletti ainsi que par le crash de Didier Pironi synonyme de fin de carrière, le Grand Prix de Monaco s’offre un scénario hallucinant.

Quatre derniers tours complètement dingues où une pluie aussi fine que maligne s’invite sans crier gare. Où les coups de théâtre s’enchaînent plus vite qu’une F1 tutoyant la limite.

Où les leaders tombent comme des mouches les uns après les autres. Où le vainqueur, Riccardo Patrese (Brabham), revenu de nulle part après avoir calé son moteur dans un tête-à-queue, ne sait pas qu’il a gagné une fois coupée la ligne d’arrivée.

Ce jour-là, l’écurie Renault conduite par Gérard Larrousse semblait pourtant tenir le bon bout. Si les espoirs du poleman René Arnoux étaient tombés à l’eau très tôt du côté de la Piscine, Alain Prost caracolait en tête.

Mais le futur champion du monde puissance 4 perdait lui aussi les pédales à quatre boucles du damier. Flash-back en compagnie du patron qui, à 82 printemps, fait le grand écart entre passé et présent.

Gérard Larrousse, ce 23 mai 1982, jour de votre 42e anniversaire, il vous semble loin ou c’était hier?
ça me paraît très loin. Moi, j’ai une mémoire sélective. Je ne me souviens pas de toutes les courses, contrairement à mon copain Vic Elford [le pilote britannique disparu le 13 mars dernier avec lequel il avait remporté les 12 Heures de Sebring et les 1.000 km du Nürburgring sur Porsche en 1971, ndlr]. L’édition du Grand Prix de Monaco qui me vient spontanément à l’esprit, c’est 1979. Parce qu’on avait vécu un week-end épouvantable avec notre RS 10 dotée d’un double turbo et d’une carrosserie à effet de sol. Les qualifications furent calamiteuses (René Arnoux 19e, Jean-Pierre Jabouille 20e). Même désillusion en course où personne n’a vu l’arrivée. Chez Renault, certains voulaient carrément jeter l’éponge. J’avais dû insister pour aller au bout du week-end en arguant que toute expérience est bonne à prendre. Bien m’en a pris: lors de l’échéance suivante, à Dijon (GP de France), Jean-Pierre est allé décrocher cette fameuse première victoire. Du coup, je n’étais plus assis sur un siège éjectable!

Trois ans plus tard, la victoire vous tendait encore les bras à Monaco…
Alain (Prost) menait la danse, oui. À quatre tours de l’arrivée, personne ne peut l’empêcher de gagner à la régulière. Mais cette bruine qui se met alors à tomber rend la piste extrêmement glissante. Hélas, son cavalier seul en tête s’arrête de manière brutale entre la chicane du Port et le virage du Bureau de Tabac. Il avait pris un mauvais coup à la cheville. J’étais allé le voir ensuite à l’hôpital, en craignant une blessure qui le prive d’une course ou deux. Plus de peur que de mal, finalement. ça aurait pu être pire…

Et vous vous souvenez des rebondissements en cascade qui avaient émaillé la fin du Grand Prix après son abandon?
Pas précisément. Je me rappelle que ce fut un joyeux bordel! La course a changé de leader à trois ou quatre reprises en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Une fois le drapeau à damier agité, d’ailleurs, personne ne savait qui était le vainqueur. Y compris lui-même… Qui a gagné? Mystère! Patrese a appris la bonne nouvelle en immobilisant sa voiture. Il n’en revenait pas.

Illustration Photo AFP.

Un an plus tôt, Gilles Villeneuve, sur sa Ferrari, avait signé la première victoire d’un moteur turbo à Monaco. En 82, Renault voulait absolument prendre sa revanche, non?
Oui, ce succès, nous ne l’avions pas trop bien vécu. On était vexé. Tenez, ça me rappelle un drôle de souvenir. Un jour, je ne sais plus ni où ni quand, j’ai vu Mauro Forghieri (l’emblématique directeur technique de la Scuderia à cette époque) empoigner une scie à métaux et couper un tube dans le moteur de Villeneuve devant tout le monde, sur la voie des stands! Il était fou furieux, complètement enragé… Comme quoi, chez Ferrari, ils en ont aussi bavé avec le turbo.

En 82, cravacher un moteur turbo dans les rues de Monaco relevait encore de la gageure?
Oui, même si on avait déjà accompli pas mal de progrès. En 79, croyez-moi, la bagnole était vraiment inconduisible. à la ramasse. Là, ça allait mieux.

Alain Prost voit donc les 9 points de la victoire s’envoler in extremis en Principauté. Et en fin de saison, il termine à 10 longueurs du champion, Keke Rosberg…
Oui, mais vous ne pouvez pas dire qu’il perd le titre à Monaco. Cette année-là, on s’arrachait les cheveux en essayant de fiabiliser le système électronique qui régulait l’injection et le turbo. Dans ce domaine, c’était le début, les balbutiements. Un vrai casse-tête pour Jean-Pierre Boudy et ses hommes. Moi, je voulais d’ailleurs créer un service dédié au développement de l’électronique. Demande rejetée. La direction de Renault m’avait envoyé dans le mur. Pas les moyens! Voilà, la mise au point a pris beaucoup de temps et les pannes se sont enchaînées (5 abandons lors des 9 dernières courses pour Prost…)

Si René Arnoux, poleman et leader en début de course, n’avait pas abandonné au 14e tour dans les "S" de la Piscine (tête-à-queue, moteur calé), auriez-vous panneauté la consigne d’inverser les positions au profit de Prost comme au Castellet deux mois plus tard?
Pff, je ne sais pas. Alain figurait en tête du championnat en arrivant à Monaco?

Oui, grâce aux deux succès décrochés d’entrée en Afrique du Sud et au Brésil…
Monaco, c’était trop tôt pour agir de la sorte. L’affaire du Castellet avait provoqué un sacré tintamarre. Alain était très en colère. Il m’en a beaucoup voulu parce que je lui avais balancé qu’à la place de René, j’aurais moi aussi ignoré les consignes et foncé vers la victoire. Une remarque pas très gentille, j’en conviens. à l’époque, vous savez, c’était difficile d’établir une politique de course, une hiérarchie interne. Parce que ça se voyait. Aujourd’hui, ils peuvent modifier la performance des voitures à distance, en cachette. Ni vu ni connu, c’est plus simple!

En tant qu’écurie complète, Renault ne gagnera à Monaco que 22 ans plus tard (Trulli, 2004). Et décrochera son premier titre 23 ans plus tard (Alonso, 2005). En 82 et 83, il vous a manqué quoi?
Renault a pris le train de la F1 en marche au milieu des années 70. Renault a osé relever le challenge du moteur turbo. Ce fut vraiment difficile de rivaliser avec ces teams anglais redoutables. La culture, l’expérience, elles se trouvaient outre-Manche. Les ‘‘Britishs’’ avaient un temps d’avance dans tous les domaines. Je vous parle en connaissance de cause. L’écurie Larrousse a employé des techniciens anglais un peu plus tard (entre 1987 et 1995).
Et c’était encore vrai. Je l’ai constaté en travaillant avec eux.

Illustration Photo AFP.

Quel regard portez-vous sur la F1 actuelle?
Je suis tous les Grands Prix, sans exception. Ma passion pour la Formule 1 demeure intacte. Cette discipline a beaucoup évolué, évidemment. Dans le bon sens, je trouve. Avec les monoplaces introduites en début de saison, les pilotes se suivent de plus près. De quoi améliorer le spectacle. Bravo aux législateurs qui ont initié ce nouveau réglement ! J’ai l’impression que les voitures de maintenant sont plus pointues, plus sensibles aux réglages. Surtout à la hauteur de caisse. Si vous ratez votre fond plat, vous êtes largué. Attention, il s’agit juste de mon ressenti.
Vu de loin…

Imaginons que vous tenez les rênes d’une écurie aujourd’hui: à qui confiez-vous les deux volants ?
Je miserais sur l’alliance de la jeunesse et du talent. Donc je prendrais Charles Leclerc et Pierre Gasly. Ou Lando Norris. Un surdoué, lui aussi.

Si votre longue trajectoire dans le sport automobile était à refaire…
J’ai beaucoup apprécié tous les défis qui ont jalonné ma route. Si c’était à refaire, on pourrait changer certaines choses. Des déceptions comme ce titre suprême qui échappe de justesse à Renault en 1983, même si je ne me sens pas responsable. À la tête de mon équipe de Formule 1, en revanche, j’ai commis des erreurs de gestion que je ne reproduirais pas maintenant. En France, c’est très difficile… Mais je pense que j’ai manqué de vision à ce moment-là. Il y avait moyen de faire mieux.

Et Gérard le pilote ajouterait-il une victoire au Rallye Monte-Carlo?
Ah, c’est vrai… Tout le monde sait que je suis le Poulidor du Monte-Carl’, hein? (2e en 1969, 1970 et 1972, chaque fois au volant d’une Porsche). J’aurais dû le gagner en 72. Mais je ne me suis pas arrêté à Antraigues pour changer les pneus avant la spéciale du Burzet. Une impasse qui me coûte la victoire. C’était entièrement de ma faute.

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