Il est tombé dans le chaudron de potion magique en bord de piste. À Monaco. "J’ai grandi à Saint-Aygulf, un quartier de Fréjus. J’avais une dizaine d’années lorsque j’ai découvert le spectacle son et lumière de la Formule 1 au pied du Rocher dans les pas de mon père." Coup de foudre! Julien Simon-Chautemps tracera ensuite son sillon. Il gravira les échelons, côté garage, jusqu’à cocher la case F1. Ingénieur chez Toyota, Lotus, Renault, Sauber et Alfa Roméo, de 2007 à 2021, le Varois a décidé de tourner la page en même temps que son dernier pilote, un certain Kimi Räikkönen. Aujourd’hui, à 44 ans, il conduit sa propre entreprise de consulting, JSC7 Engineering. Et l’un de ses premiers clients n’est autre que le diffuseur des Grands Prix dans l’Hexagone. Membre du nouveau "Club des Experts" de Canal +, il fait profiter les abonnés de ses lumières, notamment au sujet de la récente métamorphose des monoplaces. Une bonne raison de le rencontrer juste avant les premiers tours de chauffe en Principauté.
Julien, six mois après avoir négocié ce virage, est-ce que le petit monde de la F1 vous manque un peu, beaucoup ou pas du tout?
Très honnêtement, je ne ressens aucun manque. D’abord parce que cette tranche de vie a duré quinze ans, pas deux ou trois saisons. Mon objectif, mon rêve, c’était de devenir ingénieur piste. J’y suis arrivé. J’ai travaillé avec des pilotes comme Kimi Räikkönen, Romain Grosjean, Jolyon Palmer, Marcus Ericsson. Autant de collaborations qui m’ont comblé. Aujourd’hui, je regarde les Grands Prix avec mes deux fils. On partage des moments ensemble comme jamais nous ne l’avions fait auparavant, quand je voyageais d’un circuit à l’autre. Et puis la société de consulting que je viens de créer meuble bien mes semaines. Elle ne me laisse pas le temps d’avoir des regrets.
Comment avez-vous intégré le "Club des experts" de Canal +?
En les croisant régulièrement dans les paddocks, j’ai tissé des liens avec les journalistes de Canal. Je les connais tous très bien depuis longtemps, surtout depuis mon passage chez Lotus au côté de Romain (Grosjean). Moi, j’avais envie de tenter le challenge de consultant. Partager toute cette expérience accumulée en F1, c’est mon job, désormais. Voilà, je leur en ai fait part. Et Thomas (Sénécal, le journaliste grand spécialiste des sports mécaniques promu directeur des sports du groupe Canal + à compter du 1er juillet prochain, ndlr) m’a rappelé en janvier. Ça s’est fait naturellement.
Vous avez démarré pied au plancher en commentant les essais d’avant-saison à Bahreïn avec Julien Fébreau. Vous étiez prêt, bien entraîné?
Oui, j’avais eu l’occasion d’éplucher les textes de la nouvelle réglementation technique l’an dernier. Donc j’étais à la page, au courant de tous les changements: châssis, aéro, pneus, carburant... Pour le reste, ma tâche consistait à expliquer comment les équipes développent leurs voitures lors de cette répétition générale, en donnant une multitude de détails, mais aussi des anecdotes, des souvenirs.
La principale difficulté, c’est d’expliquer avec des termes simples, compréhensibles pour tous?
Oui, en effet. On s’adresse à Monsieur Tout-le-monde. Donc mieux vaut adopter un langage clair, oublier les mots trop techniques. Sinon l’audience chute. En ce qui me concerne, il y a aussi un effort de traduction. Dans les teams, on parle anglais. Donc le vocabulaire technique est anglais. À moi de trouver systématiquement le mot français correspondant le mieux. Sacrée gymnastique...
La révolution aérodynamique 2022 a été décidée pour redynamiser le spectacle, pour faciliter les dépassements. Objectif atteint?
Je pense, oui. Maintenant, les pilotes arrivent à se suivre de plus près. Une statistique lue quelque part l’autre jour mettait en évidence la hausse du nombre de dépassements d’environ 30%. Cela dit, la F1 est une discipline high-tech où l’on tutoie la limite. Par exemple, les distances de freinage sont ultra-courtes. Donc difficile de doubler. Vous savez, que ce soit avant ou après l’introduction du DRS (l’aileron arrière amovible), la Formule 1 n’est pas un sport de dépassements comme le sont le MotoGP ou la NASCAR (le fameux championnat américain de stock-car). Elle ne l’a jamais été.
Vous législateur, quelle serait la mesure numéro 1 à instaurer pour booster le show?
Bonne question. Moi, je donnerais une boîte avec des dimensions extérieures et une limite de budget à chaque équipe. Libre à elles ensuite de concevoir leur F1 dans cette boîte! Donner plus de liberté technique, ça va à l’encontre du courant actuel. C’est l’ingénieur qui parle. À mes yeux, le problème des nouvelles voitures, c’est leur taille. Comparées à celles des années 2008, 2009, ces F1 sont juste énormes. Différence impressionnante. Je suis d’ailleurs curieux de voir comment elles vont s’exprimer sur le circuit de Monaco. Pareil pour le poids. Depuis mes débuts, elles ont pris 200 kilos! Tellement plus lourdes... Il faudrait réduire les mensurations, me semble-t-il.
Pilotes et patrons d’écurie disent souvent que le week-end du Grand Prix de Monaco est plus chargé. Plus de travail, plus de sollicitations... Et pour les ingénieurs, c’est une étape comme les autres ou non?
Le principal changement, c’est qu’on planche sur un tracé très atypique. Monaco ne ressemble à aucun autre circuit urbain. En Principauté, ils refont la chaussée tous les ans. C’est lisse, peu abrasif. Autre différence: le staff technique travaille dans un box situé au milieu de la piste. Donc vous bossez souvent avec des F1, des F2, de Formule Renault ou des Porsche qui vrombissent devant, derrière. Bref, c’est moins calme. Mais j’aimais beaucoup cette étape qui me donnait l’occasion de voir la famille, les proches. Tout le monde adore Monaco. Un décor, une atmosphère que l’on ne rencontre nulle part ailleurs.
Au fait, vous avez des nouvelles de Kimi? Que devient-il?
Il vit tranquille. Il s’occupe de son team de motocross qui vient de passer sous la bannière officielle Kawasaki. Il fait du kart avec son fils et sa fille. Il part en vacances. Il profite, quoi!
Pensez-vous qu’on le reverra bientôt chasser le chrono quelque part?
Je ne lis pas dans ses pensées mais je l’imagine quand même refaire surface sur quatre roues un jour ou l’autre (*).
Kimi est la seule tête couronnée avec qui vous avez travaillé. En quoi un champion du monde se distingue-t-il? Que fait-il mieux que les autres?
La grande force de Kimi, c’est sa science de la course hors du commun. Le fruit de l’expérience et du talent. Comprendre les stratégies, gérer l’usure des pneus, voir qui fait quoi en piste autour de lui... Certains de ses départs canons, quand il s’est faufilé d’une manière incroyable pour gagner plusieurs positions en l’espace de quelques centaines de mètres, ont marqué les esprits. En outre, il sent la voiture, il sait comment l’améliorer. C’est un metteur au point hors pair. Kimi aurait dû décrocher plus d’un titre mondial...
Si votre trajectoire chez Alfa Romeo s’était prolongée en 2022, vous auriez préféré épauler Valtteri Bottas le "vieux briscard" ou Guanyu Zhou le "rookie"?
Disons plutôt Bottas. Tout simplement parce que j’ai plus l’habitude de bosser avec des pilotes expérimentés.
Revenir dans le paddock, au sein d’une écurie de F1 en tant que consultant, c’est une piste que vous envisagez?
Absolument. Si j’exclus un retour à temps plein, cette hypothèse est plausible. En ce moment, j’interviens justement auprès d’une écurie française qui découvre la monoplace via un programme en Formule 4. Remettre un pied en F1 pour une mission intéressante, ça peut me séduire. Pourquoi pas?
(*) Le Finlandais a annoncé hier après-midi qu’il allait disputer une course de NASCAR Cup Series à Watkins Glen (États-Unis) le 21 août prochain.
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