"Sans ce médicament, je risque un AVC!": alerte aux ruptures de stocks dans les pharmacies, patients et professionnels témoignent

Les pénuries de médicaments atteignent un niveau critique, y compris pour le traitement de pathologies lourdes. Chez certains patients inquiets, l’enjeu est vital. Témoignages.

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Christophe Cirone Publié le 23/07/2025 à 04:30, mis à jour le 23/07/2025 à 08:28
Sur la plateforme de commande digitale Pharmalia, de nombreuses références apparaissent en orange ("tension ") ou en rouge ("rupture "). Photo Dylan Meiffret

Son ordonnance à la main, Monica échange quelques mots avec la pharmacienne de l’autre côté du comptoir. Elle le sait bien: aujourd’hui encore, elle repartira sans son précieux Repatha, ce médicament prescrit pour lutter contre l’excès de cholestérol.

"Je suis très ennuyée, confie cette Niçoise. Et très en colère. Même si ce n’est pas votre faute..."

Anaël Antoine l’entend, et comprend. Voilà trois mois qu’elle ne peut satisfaire la demande de cette habituée de la pharmacie Barla, à Nice. Ce n’est pas faute d’essayer. "Ca fait partie des médicaments qui manquent, soupire la gérante. On fait la demande tous les jours. J’envoie régulièrement des messages au grossiste..."

Mais rien n’y fait. Le Repatha manque à l’appel. Tout comme des centaines d’autres références. Et cette pénurie frappe la France entière, dans des proportions probablement inédites. Avec des conséquences palpables pour les patients, et pour les officines.

Monica enrage. Elle avait trouvé dans le Repatha un remède à ses tourments. L’excès de cholestérol, elle y est confrontée depuis l’âge de 30 ans. "Je prenais du poids alors qu’on n’est pas gros dans la famille. J’ai fait des analyses. Elles ont révélé un taux de cholestérol au-dessus de la normale."

Anaël Antoine, gérante de la pharmacie Barla à Nice, s’inquiète des difficultés croissantes d’approvisionnement des stocks des officines françaises. Photo Dylan Meiffret.

Depuis, cette Niçoise pudique sur son âge privilégie une alimentation saine. Pas de charcuterie, pas de fromage… Pourtant, son taux de cholestérol continuait de flamber. Jusqu’à ce qu’un médecin lui prescrive le Repatha, fin 2024. Une piqûre toutes les deux semaines, à réaliser elle-même, en complément de l’Ezetimibe/Atorvastatine.

"Après tant d’années, mon cholestérol était enfin devenu normal." Et puis, patatras!

Les dernières analyses ont révélé qu’une plaque d’athérome avait pris du volume. Une plaque formée sur la paroi interne d’une artère, près de la carotide, dont la rupture pourrait provoquer un caillot. Voilà pourquoi Monica est " très en colère que ce médicament soit en rupture. Pour moi, c’est vital. Je risque un AVC!"

"1.250 références concernées"

Repatha, Praluent, Pegasys... Sur la plateforme de commande digitale utilisée par Anaël Antoine, on ne compte plus les références en "tension d’approvisionnement". Voire en "rupture" pure et simple. Au point que les produits en vert semblent minoritaires. Selon Raphaël Gigliotti, président du syndicat des pharmaciens des Alpes-Maritimes (FSPF), les pénuries toucheraient 1250 références. "On atteint des niveaux inédits!"

De quels maux souffre donc le marché du médicament? Cinq ans après le début de la pandémie, la Covid-19 ne peut plus être tenue pour responsable des ruptures d’approvisionnement. Anaël Antoine, trésorière du FSPF, tente d’en cerner les causes.

"En France, on est soumis à des quotas. Or la demande a explosé. On a à faire à une population vieillissante, qui a de plus en plus besoin de se soigner. Les prescriptions ont été élargies pour certains médicaments. Dès lors, on dépasse les quotas. De nouveaux médicaments ont émergé. Et les médicaments matures - ceux qui sont commercialisés depuis longtemps, et sont les plus prescrits - ne permettent plus d’atteindre les seuils de rentabilité."

Conséquences: les grands laboratoires délaisseraient les médicaments moins rentables et privilégieraient les marchés où les prix sont plus élevés. La France serait donc servie après d’autres… quand un produit n’est pas épuisé.

La course au produit manquant

"Aujourd’hui, on a les médicaments les moins chers d’Europe", rappelle Cyril Colombani, président départemental et porte-parole national de l’Union syndicale des pharmaciens d’officine (USPO). Pharmacien à Roquebrune-Cap-Martin, il voit la différence avec le marché voisin. "C’est simple: ce qui est en rupture en France ne l’est pas en Italie!"

Antidépresseurs, antidiabétiques, antibiotiques... Les tensions se ressentent à tous les niveaux, estime Anaël Antoine. "Chaque journée est une lutte! Autant pour les médicaments matures, on peut contacter le médecin et voir s’il y a des alternatives, autant il y a des cas vitaux pour lesquels on est complètement démuni."

Dès lors, les patients n’hésitent plus à courir les officines à travers la Côte d’Azur. Voire bien au-delà.

Anaël Antoine a ainsi reçu un visiteur de... Nantes. Il avait réservé la dernière boîte du médicament tant convoité à la pharmacie Barla. Problème: un client cannois, déjà enregistré, a effectué la même démarche. Stocké au réfrigérateur, le médicament n’a pu être mis de côté.

Le client nantais est arrivé quelques instants après celui de Cannes. Trop tard.

"Entre 1h30 et 2h30 par jour à chercher des médicaments"

Pour Anaël Antoine et ses équipes, de telles situations sont dures à encaisser. "On est là pour assurer la continuité du traitement, pas pour dire non! Sans quoi, il y a un réel risque vital."

À Roquebrune-Cap-Martin, comme dans bien des officines, les équipes de Cyril Colombani consacrent "entre 1h30 et 2h30 par jour à chercher des médicaments, notamment pour des pathologies psy. Ce sont des situations de plus en plus compliquées à gérer au comptoir." Si près de la frontière, il n’hésite plus à aiguiller des patients en galère vers les officines italiennes.

À Nice, Monica a bien tenté sa chance dans une autre officine. Mais elle reste fidèle à la pharmacie Barla. En espérant fébrilement voir le Repatha pointer, enfin, le bout de son carton. "Vous pensez qu’il va revenir?"

Monica, traitée contre l’excès de cholestérol, nous présente son ordonnance pour le Repatha, qu’elle attend toujours de voir revenir. Photo Dylan Meiffret.

L’incompréhension d’une patiente

Le diagnostic est tombé il y a un mois: "Diabète". De quoi bouleverser la vie d’Inès. À 33 ans, cette aide-soignante niçoise, mère de trois enfants, a dû s’astreindre à un traitement adapté.

Problème supplémentaire: elle se retrouve "vraiment embêtée, car pas mal de médicaments sont introuvables, même dans les très grandes pharmacies."

Inès en a parcouru une bonne demi-douzaine, sans succès, avant de trouver ce qu’elle cherchait: le Glucagen. Un spray nasal aux airs d’assurance-vie pour elle. "Quand on est en hypoglycémie, ça permet de se resucrer si on n’en est pas capable. Sans quoi, on peut tomber dans les pommes, être ensuqué et incohérent. a permet à notre entourage de nous accompagner et d’éviter de devoir faire appel aux pompiers."

"Beaucoup de stress"

Avant de dénicher son kit de Glucagen, Inès a ressenti "beaucoup de stress". Mais aussi "de l’incompréhension. Je suis même un peu dégoutée. Je ne comprends pas pourquoi des médicaments aussi importants sont en rupture. On m’a juste dit que le fabriquant ne le fabrique pas actuellement."

La voici à moitié rassérénée. "J’en recherche une autre. Ce serait rassurant d’avoir une seconde dose pour les vacances..."

En recherchant son Glucagen, Monica a repensé au jour où elle cherchait, en vain, du Doliprane pour ses enfants. "L’un d’eux était malade, et on a dû me donner du Dafalgan."

Ces ruptures récurrentes l’interrogent. Elle relève qu’"on paie des mutuelles de plus en plus cher. Mais la prise en charge des médicaments, elle, diminue."

Le diagnostic étatique

Les services de l’État ont répondu à nos sollicitations par le biais de l’ANSM (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).

Les labos tenus au résultat

"Les laboratoires pharmaceutiques commercialisant un médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) sont tenus d’assurer un approvisionnement approprié et continu du marché national, de manière à couvrir les besoins des patients, signale l’ANSM. Ils doivent constituer un stock de sécurité de tous leurs médicaments destinés au marché national."

En cas de risque ou de rupture de stock, les laboratoires doivent le signaler à l’ANSM, sous peine de sanctions financières. Ils doivent en outre prendre des mesures pour éviter ou limiter la pénurie. D’autres mesures peuvent intervenir », telles que "l’importation de spécialités initialement destinées à l’étranger ou l’adaptation des conditions de fabrication".

Moins de ruptures en 2024

Si la situation actuelle inquiète les pharmaciens, l’ANSM a recensé en 2024 "une baisse des signalements de ruptures de stock et de risque" : 3.825 déclarations, contre 4.925 en 2023, 3.761 en 2022 et 2.160 en 2021 (un médicament peut être signalé à plusieurs reprises). En 2023, "40% de ces signalements ont nécessité des mesures pour garantir la couverture des besoins des patients."

Aucune catégorie à l’abri

"Toutes les classes de médicaments sont concernées par ces ruptures ou risques de rupture de stock, confirme l’ANSM. Parmi les médicaments d’intérêt thérapeutique majeurs, les médicaments cardiovasculaires, les médicaments du système nerveux, les anti-infectieux et les anticancéreux sont plus particulièrement représentés."

L’ANSM identifie "des origines multifactorielles: difficultés lors de la fabrication des matières premières ou des produits finis, défauts de qualité sur les médicaments, capacité de production insuffisante, morcellement des étapes de fabrication, etc."

Elle précise que "la loi de financement de la sécurité sociale de 2024, promulguée fin 2023, permet de renforcer le champ d’action des autorités sanitaires, dont l’ANSM, pour lutter contre les tensions d’approvisionnement."

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