Pour Stéphane Freiss, la lecture à voix haute est bien plus qu’une performance: c’est un acte de transmission intime. En habitué du Festival des mots, il était de retour, samedi 26 juillet dernier, pour une lecture du Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry, au cœur de l’église paroissiale de Saint-Etienne-de-Tinée. Le comédien est également à l’affiche du Cercle des poètes disparus, à voir ce samedi soir au Festival de Ramatuelle, une pièce dans laquelle il campe le fameux Professeur Keating, un rôle qui lui a valu une nomination à la cérémonie des Molières 2024 dans la catégorie Meilleur comédien dans un spectacle de théâtre privé.
Nous sommes allés à sa rencontre sur la terrasse d’un restaurant, tout près de son hôtel niçois, entre un plat de rigatoni et un tiramisu qu’il nous invite à partager. L’acteur qui a arrêté la cigarette depuis quelques mois et qui commande un "déca-pipi", comprenez un café décaféiné noyé dans beaucoup d’eau, nous partage sa vision intime des mots, entre émotions brutes et confessions touchantes.
Pourquoi insistez-vous sur l’importance du lieu pour vos lectures ou vos représentations théâtrales?
J’adore les espaces improbables qui donnent à ce moment quelque chose qui ni moi, ni le public ne va oublier. Ça me plaît d’être dans un lieu très informel. J’ai déjà lu dans une église désacralisée à Toulouse et dans un ancien théâtre transformé en supermarché, à Venise [Despar Teatro Italia, ndlr]. Il n’y a pas d’endroit où faire entendre le théâtre ou les mots. Quand on se trouve dans un lieu chargé d’histoire, ça ajoute quelque chose. Ça donne le sentiment d’appartenir au début d’une histoire, c’est beau aussi.
Comment abordez-vous les émotions à la lecture d’un texte comme Le Petit Prince?
Je suis un grand émotif rapidement rattrapé par l’émotion des autres ou par ma propre émotion. J’essaie de m’en protéger un maximum et de rester froid, je sais par expérience qu’on est meilleur quand on reste froid. Ce n’est pas à soi de pleurer, c’est au public. Ça ne veut pas dire qu’il faut rester aux portes de l’émotion. Il faut la pénétrer, mais laisser ceux à qui vous l’offrez le loisir de la vivre pleinement. Je trouve qu’il y a un petit quelque chose de voyeur ou d’exhibitionniste dans l’acteur qui pleure, même si je suis très émotif et que très souvent, je pleure.
Comment vous préparez-vous à une lecture publique?
Je m’entraîne à lire à voix haute, et je suis la risée de tous autour de moi! Au bout d’un moment, quand je suis pris dans l’histoire, j’oublie complètement que je suis en train de lire à voix haute avec des gens autour. Quand j’ai ma compagne à mes côtés, elle se marre, me regarde, et me rend un peu moins con. Je pense que la réponse est à haute voix, et parfois à très haute voix. Quand je parle très fort, il s’échappe une musique dont je ne suis plus exactement maître. La ponctuation n’est plus contrôlée et c’est dans cet "incontrôle" que le texte est tout ce qu’il est.
Quel lecteur êtes-vous?
Je suis un piètre lecteur, parce que je lis lentement. J’ai énormément de livres, mais je n’ai pas lu 15% de ma bibliothèque. Je suis comme une abeille, je passe, je renifle, je lis quelques passages même si je sais que, très souvent, l’auteur a écrit quelque chose qui a du sens dans sa longueur. Je me lasse assez vite. En plus, je vis avec une très grande lectrice qui peut lire cinq bouquins dans la journée. Quand je la vois lire, elle me décourage.
Quel est votre rapport aux mots et à la littérature?
Le langage, c'est tout et dans le langage, j’entends le silence. Ce que je vais fabriquer à distance, ce que quelqu’un ou quelque chose va me donner à fabriquer mentalement, ne va s’alimenter, ne va grandir, ne va devenir merveilleux que par le langage. Je manque de mots, je manque de rêves. Je ne suis pas comme Fabrice Lucchini à les chercher partout, mais je sais qu’ils sont très importants.
Au Festival de Ramatuelle ce samedi, au Théâtre de Verdure. 70,50 euros.
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