"Je n’ai pas voulu tromper les gens!": cet ancien caviste de Nice crée un rhum pour ses amis... et se retrouve devant la justice

Alexandre Gallet, ancien caviste à Nice, a créé une boisson spiritueuse qui a séduit ses adeptes. Mais elle n’a pas été du goût de la répression des fraudes. Le voilà renvoyé devant le tribunal.

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Christophe Cirone Publié le 19/02/2024 à 14:10, mis à jour le 19/02/2024 à 14:31
Alex Gallet dans son ancienne cave à la déco vintage. Photo DR et archives Franz Chavaroche

"Tue Diable". Il claque, ce nom tout droit surgi du XVIIe siècle. Il s’étire sur un parchemin rongé par le temps. Sur l’étiquette de la bouteille, un vieux loup de mer nous toise d’un air narquois. Il invite à percer le bouchon de cire pour goûter cet alcool ambré et gourmand. Rien de répréhensible en soi. Pourtant, le créateur du "Tue Diable" garde en bouche un goût amer.

Le Niçois Alexandre Gallet a lancé cette boisson en 2018, avec sa société Rhum antique. Depuis, il a séduit bien des adeptes, et même des adresses de renom. Mais pas l’administration. En cause? La mention d’origine sur l’étiquette: "Rhum niçois". Cette appellation a fait tiquer la répression des fraudes. Au point d’envoyer ce quadra niçois devant le tribunal correctionnel.

"Je ne le souhaite à personne"

"Tromperie sur la nature d’une marchandise", "inexécution dans les délais d’une injonction de mise en conformité de produits": telles sont les infractions reprochées à Alexandre Gallet. Cet ancien caviste s’est présenté à la barre le 22 janvier à Nice. Le procès a été renvoyé à l’automne. En attendant, il reste abasourdi.

"Se retrouver au tribunal avec des gens qui ont violé ou tué, je ne le souhaite à personne", soupire Alex Gallet, épaulé par sa femme Annabelle. Il se dit "passionné de spiritueux", "fils de marin", mordu de mer et de Méditerranée. "J’ai été élevé sur les bateaux. J’avais ce truc-là dans le sang. Nous avions envie de cette aventure."

Le "Tue Diable", initialement qualifié de "rhum niçois", se revendique désormais comme une "boisson spiritueuse niçoise". Photo DR et archives Franz Chavaroche.

"Une bouteille de copains"

L’aventure, elle démarre au détour de soirées entre amis. "Alex" sert à ses proches un rhum artisanal de sa confection, teinté d’arômes de vanille, caramel et amande. "Il était bon. On a décidé de faire la bouteille des copains. Ma bouteille de pirate à moi!"

Il l’expose dans sa cave à la déco vintage, rue Lascaris. Un client la remarque. Goûte. Veut la même. Un autre suit. Puis un autre. L’odyssée du "Tue Diable" est lancée.

Le "truc de potes" devient un produit. Alex Gallet revisite la boisson distillée outre-mer avec des saveurs locales telles que l’olive de Nice, dans des fûts de chêne importés du Kentucky.

Le "Tue Diable" part à la conquête des cavistes. Puis des épiceries, quand vient le temps des confinements.

Mais ce "rhum niçois" attire l’œil de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS). Novembre 2020: contrôle. Patatras.

Ce "rhum" n’est pas du goût de l’administration. Car l’appellation est strictement encadrée par l’Union Européenne. Son TAV (taux d’alcool par volume) doit être d’au moins 37,5°. Or, le célèbre alcool qui sert de base au "Tue Diable" ne remplit plus ces critères. Ce changement a échappé à son créateur. "Votre produit n’est pas conforme, il faut changer le nom", l’enjoint en substance la brigade d’enquête "vins et spiritueux".

Interloqué, Alex Gallet s’exécute. Son "Tue Diable" devient un "spiritueux niçois". Nouvelles étiquettes. Nouveau contrôle. Le couperet tombe: ça ne va toujours pas. Et le Niçois n’a pas obtempéré à temps. La répression des fraudes le convoque. Lui propose de solder l’affaire en reconnaissance préalable de culpabilité. "Hors de question: je n’ai pas voulu tromper les gens!"

Depuis, Alex Gallet continue de commercialiser son "Tue Diable" sous l’appellation "boisson spiritueuse niçoise". Mais avec une épée de Damoclès judiciaire au-dessus de la tête. Il risque une amende à six chiffres qui lui serait fatale. Et ressent la désagréable impression, comme les paysans, de voir sa passion se heurter à un mur normatif. "Nous n’avons jamais reçu de plainte. Pas une note négative. Moi, dans l’histoire, j’ai gagné zéro balle! Je n’ai rien fait de mal. Oui, il faut protéger les consommateurs. Mais là, on veut faire fermer un commerçant..."

"Excès de zèle"

Son conseil, Me David Rebibou, dénonce "un excès de zèle par rapport à d’autres sociétés. Certes, il a pu être relevé des manquements à la réglementation. Mais il considère qu’un sort particulier lui est réservé, par rapport à de grandes marques qui n’ont pas fait l’objet de poursuites similaires." L’avocat niçois cite le scandale de l’eau "de source", traitée à l’insu du consommateur. De quoi relativiser l’infraction reprochée à son client: "Un avertissement aurait suffi..."

Sollicités pour livrer leur éclairage, les services concernés n’ont pas réagi à nos sollicitations.

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