Ce lundi 10 février s’ouvre à Paris le procès de l’attentat de la basilique Notre-Dame à Nice. Trois semaines durant, seul dans le box, Brahim Aouissaoui, un Tunisien de 25 ans, répondra de l’assassinat de Nadine Devillers, Simone Barreto Silva et Vincent Loques.
Le 29 octobre 2020 à Nice, les deux paroissiennes et le sacristain de la basilique avaient été sauvagement attaqués au sein même de cette église emblématique de l’avenue Jean-Médecin. Poignardés à de nombreuses reprises, lardée de 24 coups de couteau pour l’une des victimes, égorgées à la limite de la décapitation pour les deux autres.
Un acte d’une rare violence, commis par un jeune migrant arrivé en France à peine quarante-huit heures plus tôt, au terme d’un périple d’un mois à travers la Méditerranée puis l’Italie.
Trois victimes en l’espace de 9 minutes
La responsabilité de Brahim Aouissaoui ne semble laisser que peu de doute. Elle est étayée par les images de vidéosurveillance de la Ville, qui ont permis de retracer l’intégralité de son parcours. Jusqu’à ce matin d’octobre 2020.
À 8h24 précisément, l’accusé vient se positionner à l’angle de la rue d’Italie, le regard fixé sur Notre-Dame-de-l’Assomption. Quatre minutes plus tard, il franchit les grilles de la basilique que le sacristain a ouvertes quelques minutes plus tôt. Un petit quart d’heure s’écoule et Nadine Devillers entre à son tour.
Les caméras révèlent quelques allées et venues supplémentaires. Mais aucune d’elles ne voit ressortir Brahim Aouissaoui et la paroissienne qui se retrouvent seuls dans un face-à-face mortel.
Dès l’entrée de l’église, la première victime est découverte gisant dans une mare de sang, tenant encore son masque sanitaire noir à la main.
Simone Barreto Silva et Vincent Loques seront à leur tour attaqués en tentant de lui porter secours. Entre 8h44 et 8h53, l’agresseur a ainsi réussi à s’emparer de trois vies. Malgré l’arrivée rapide sur les lieux de nombreux équipages de police.
Un effrayant sourire aux lèvres
Lorsque les agents municipaux primo-intervenants se retrouvent à leur tour face à Brahim Aouissaoui, le Tunisien se jette sur eux en criant "Allah akbar", un couteau de cuisine à la main et un effrayant sourire aux lèvres. Un premier fonctionnaire fait usage de son Taser pour tenter de le neutraliser. Sans succès.
Là encore, la scène a été filmée. Ses collègues tireront à leur tour à quinze reprises, mais cette fois à balles réelles. Quatorze "plaies balistiques" seront relevées sur son corps. C’est dans un état grave que le présumé terroriste est conduit à l’hôpital Pasteur 2, puis convoyé en avion sanitaire jusqu’à Paris.
Physiquement, il se rétablit. Mais il assure ne plus avoir aucun souvenir des faits, ni même de sa vie passée. Il ne se reconnaît pas sur les photos qu’on lui présente. Va jusqu’à prétendre devant les juges qu’à sa connaissance ses parents sont décédés... Ce qui ne l’empêche pas de les appeler depuis sa cellule.
À son insu, ses conversations téléphoniques seront interceptées. Des écoutes qui tendent à démontrer que son amnésie pourrait être "opportuniste". C’est d’ailleurs le terme employé par les deux experts neuropsychiatres qui l’ont examiné.
Manque de coopération de l’auteur... Et de la Tunisie
Le fait est que Brahim Aouissaoui s’est montré bien peu coopératif depuis quatre ans. Quatre années d’instruction au terme desquelles il nie ce qui parait l’évidence. Quatre ans d’une minutieuse enquête, qui n’a pourtant pas permis de lever toutes les zones d’ombre de ce dossier terroriste, qui pourrait bien prendre ses racines en Tunisie.
Avant même d’être sollicité par les autorités françaises, le pays d’origine de l’accusé a immédiatement mené des perquisitions et procédé à des auditions. Mais les autorités tunisiennes ne les ont communiquées au parquet antiterroriste de Paris qu’avec une grande parcimonie.
Les enquêteurs n’ont même pas réussi à avoir accès à la liste des appels et contacts du téléphone qu’utilisait ce jeune vendeur d’essence de contrebande avant de s’embarquer vers l’Europe - sur un coup de tête, semble-t-il.
Il se serait imposé, à la dernière minute, à bord de cette barque bleue pour laquelle on lui avait acheté quatorze bidons de carburant. Au moment même où les organes de propagande d’Al-Qaïda appelaient à frapper la France, en représailles de la republication des caricatures du prophète Mahomet, à l’occasion de l’ouverture du procès de l’attentat de Charlie Hebdo.
Treize jours avant l’attentat de Notre-Dame, Samuel Paty, un professeur de collège de Conflans-Sainte-Honorine, l’avait déjà payé de sa vie. Brahim Aouissaoui a-t-il lui aussi décidé de venger le prophète dès le début de sa traversée pour l’Europe?
Une radicalisation bien antérieure à son passage à l’acte
Des témoignages semblent démontrer que son choix de quitter la Tunisie était plus réfléchi qu’il n’y paraît. Il s’en serait ouvert auprès de certains de ses amis plus d’une semaine avant le départ, allant jusqu’à leur confier sa moto ou leur vendre son échoppe. D’intrigantes fréquentations, d’ailleurs.
Deux ans avant de passer à l’acte, ce jeune Tunisien aurait radicalement changé de mode de vie, abandonnant l’alcool, la drogue (même si des analyses de cheveux montrent qu’il aurait encore consommé de la cocaïne, du cannabis et du GHB dans les trois mois précédant l’attentat), et ses anciens copains d’enfance.
Pour se tourner vers des "salafistes" dont certains ont eu maille à partir avec les services antiterroristes de leur pays, et une petite mosquée de la région de Gabès tenue par un imam dont le nom revient souvent dans le cadre de l’enquête.
En tout cas, Brahim Aouissaoui respecte désormais scrupuleusement les horaires de prière. Y compris durant son court séjour à Nice, où il se rendra à trois reprises et dès 5 heures du matin à la mosquée de la rue de Suisse.
Des messages et des posts échangés durant son passage d’un mois en Italie semblent également prouver que la France était bien sa destination finale. Même s’il considère qu’elle est "un pays de mécréants et de chiens".
Voulait-il dès lors la châtier, le jour même du "Mawlid" qui, ce 29 octobre 2020, célèbre la naissance de Mahomet? Depuis quand avait-il prémédité son acte? A-t-il été incité par ses relations salafistes en Tunisie à commettre un attentat? Son acte a-t-il été commandité? Et dans ce cas, par qui?
Toutes ces questions, Brahim Aouissaoui sera seul à pouvoir y répondre au cours des trois semaines de procès à venir. Si tant est qu’il retrouve la mémoire à l’audience.
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