Commercialisée depuis 20 ans sous le nom de Lyrica en France, la prégabaline, un antiépileptique, est depuis quelques années détournée en drogue de rue ou récréative.
Surnommée "la drogue du pauvre", elle est généralement vendue à la sauvette dans les rues des quartiers populaires de Paris et Marseille.
Détournées de leur usage, ces gélules rouges et blanches remplies de poudre blanche produisent des effets euphorisants. Elles offrent une alternative aux drogues plus chères, comme la cocaïne.
Ordonnances falsifiées
Un trafic de prégabaline à grande échelle dont les protagonistes ont été jugés à Grasse lors de deux journées d’audience a été démantelé dans les Alpes-Maritimes l’année dernière.
C’est grâce à la vigilance de l’employée d’une pharmacie de Mouans-Sartoux que les enquêteurs ont mis un coup d’arrêt aux agissements d’une bande qui avait élaboré un système d’ordonnances falsifiées.
Entre janvier et juillet 2024, plusieurs officines des Alpes-Maritimes ont reçu la visite de patients venus se faire délivrer des boîtes de prégabaline.
Le 15 février 2024, Ahmed Ben T., un Algérien âgé de 31 ans se présente ainsi à la pharmacie de Mouans-Sartoux muni d’une ordonnance et d’une carte d’aide médicale d’état (AME).
Soupçonnant des irrégularités dans le document, l’employée demande à l’inconnu de repasser dans l’après-midi, prétextant des boîtes manquantes. Les vérifications faites sur l’ordonnance, des appels aux cabinets médicaux d’où proviendraient les prescriptions laissent apparaître "des fautes grossières".
Alertés, les gendarmes se rendent à la pharmacie pour appréhender en flagrant délit Mohamed B., 28 ans, un compatriote du premier patient, envoyé pour récupérer le solde des précieuses capsules.
C’est le début d’une enquête qui mène les enquêteurs sur la piste d’un véritable réseau. Filatures, surveillances et écoutes téléphoniques aboutissent à l’arrestation de cinq autres trafiquants.
La plupart des hommes interpellés sont en situation irrégulière et font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Tous ont des liens entre eux, fréquentent le quartier République à Cannes, se réunissent souvent dans la même pizzeria et se retrouvent dans un salon de coiffure tenu par un des protagonistes, Ahmed Ben T.
Bande organisée
Interrogé par la présidente du tribunal, Laurie Duca, Chems Eddine T., un Algérien de 47 ans reconnaît les faits. Il assure "n’être qu’une petite fourmi" et décrit une structure pyramidale sous l’emprise de ses oncles.
Lorsque Zoubair S., un Tunisien âgé de 28 ans, est appelé à la barre, on assiste à un début de polémique sur les implications des uns et des autres, certains assurant n’être que de simples consommateurs.
Zoubair S. reconnaît être le fournisseur des ordonnances falsifiées obtenues par mail "par l’entremise d’un Palestinien et imprimées au Taxiphone".
Une confession peu appréciée par les autres protagonistes, dont Medhi I.J., un Tunisien de 53 ans en récidive pour trafic de stupéfiants et par son compatriote Bilel A. qui "ne savait pas que les ordonnances étaient fausses".
Des affirmations démenties par les échanges captés par les écoutes téléphoniques. Partie civile aux procès, la CPAM des Alpes-Maritimes a reconnu un préjudice modique (1.900 euros) mais a dénoncé par la voix de son avocat la falsification d’ordonnances sécurisées, l’usage de cartes AME sous de fausses identités et les graves conséquences de ce type de trafic en termes de santé publique.
"Ce faible préjudice ne doit pas masquer la gravité des faits", assène le Procureur de la République.
"L’utilisation frauduleuse des cartes AME, le détournement d’un dispositif au service des plus fragiles, le fait que tous ont un lien de famille ou de nationalité, des conversations sans ambiguïté utilisant des mots codés conduisent à cette question: sommes-nous en présence bande organisée? Tout semble le démontrer".
Le représentant du Parquet requiert des peines comprises entre 18 et 42 mois de prison. Lors des plaidoiries, les avocats de la défense évoquent "un projet peu lucratif au préjudice minime".
Les conseils de certains prévenus mettent en cause la vigilance des pharmaciens et même une "volonté d’acharnement" au sujet des situations irrégulières des personnes impliquées.
Le tribunal a condamné les prévenus, tous maintenus en détention, à des peines de seize mois à deux ans de prison ferme.
Des sanctions assorties de mesures d’interdiction du territoire français, définitives pour certains.
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