Le jour où une montgolfière de Monaco a sombré en mer alors qu’elle devait participer à l’inauguration du canal de Suez
histoire Un ballon aurait dû porter les couleurs de la Principauté lors de l’événement mondial de l’inauguration du Canal de Suez. Mais le vol d’essai a tourné au fiasco quelques semaines avant, le « Neptune » chutant en mer.
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André PeyrègnePublié le 21/09/2025 à 05:00, mis à jour le 21/09/2025 à 05:00
Un jour, François Blanc, créateur du casino de Monte-Carlo, de l’Hôtel de Paris et de la Société des Bains de Mer, reçut une lettre de Ferdinand de Lesseps, le constructeur du Canal de Suez: "Mon cher ami, la Compagnie du Canal de Suez à laquelle vous m’avez fait l’amitié et la confiance de souscrire quand personne n’y croyait va maintenant marquer la fin de ses travaux par une cérémonie à laquelle je souhaite associer la Principauté de Monaco. Quarante-deux bateaux battant pavillon de tous les pays franchiront le nouveau canal. Il me serait précieux que le navire Charles III, battant pavillon d’un pays éminemment méditerranéen comme la Principauté de Monaco participe à cet événement historique. Je n’oublie pas ce que vous avez fait, en des temps difficiles, pour la création de mon canal."
Cette lettre en mains, François Blanc alla fièrement trouver le prince Charles III, qui lui faisait confiance en toutes choses.
La foule massée pour assister au vol d’essai à Monaco
Les deux hommes furent enthousiasmés par le projet. Figurer parmi les nations qui ouvriraient le Canal de Suez était quelque chose d’exaltant. C’était une façon de faire rayonner Monaco parmi les grands États du monde. Mais très vite, il s’avéra impossible de faire traverser la Méditerranée au bateau qui portait le nom de Charles III.
C’est alors que le hasard, ce complice malicieux du destin, présenta à François Blanc une autre solution: participer à l’inauguration du Canal de Suez… en ballon. La proposition émanait de l’aéronaute Claude-Jules Duruof, âgé de 28 ans, qui avait déjà une certaine expérience en matière de vol aérien. (Il y avait près d’un siècle qu’on avait appris à voler, la première montgolfière remontait à 1783!)
Le ballon que Duruof que comptait utiliser s’appelait le Neptune. Il pouvait transporter six personnes. François Blanc et Charles III se prirent aussitôt à rêver de le voir parader aux couleurs de Monaco au-dessus des vaisseaux des grandes nations!
L’inauguration du Canal de Suez était prévue pour le 17 novembre 1869. On organisa donc un vol d’essai du Neptune à Monaco le 26 septembre.
Ce jour est jour de fête pour la Principauté. Tout le monde veut assister à l’événement. On se presse autour du port, sur les rochers, aux balcons, sur les hauteurs. La Principauté est en liesse également pour une autre raison: le prince héréditaire Albert Ier s’est marié cinq jours plus tôt. Il a épousé la jeune lady Victoria Hamilton au château de Marchais, dans l’Aisne (mariage, qui, on le sait ne durera que cinq mois et sera cassé avant la naissance du futur prince Louis II).
À 5 heures du matin, le Neptune est amené près de l’usine à gaz, à l’extrémité du port, pour être gonflé. Cela prend du temps, le débit de gaz de l’usine qui fournit l’éclairage de Monaco étant relativement faible. Il faut près de neuf heures pour mener à bien l’opération. À deux heures de l’après-midi, le colosse de toile à la forme ovoïde est prêt à s’élancer.
Une lutte implacable
Hélas, le ciel a changé d’humeur. Le temps qui était beau le matin s’est dangereusement assombri.
Plusieurs ballons d’essai confirment que les vents sont contraires. Il n’empêche, Duruof et son copilote Bertaux s’entêtent et décident de partir. Sous les yeux de centaines de Monégasques et au son de l’orchestre symphonique le Neptune entreprend son ascension. La foule, la nuque renversée, suit la progression de l’aéronef dans les airs, applaudit. La montée semble parfaite.
Bientôt, le ballon est avalé par les nuages et disparaît de la vue des spectateurs. C’est alors que les choses se compliquent. Le vent du sud qui se met à souffler repousse le ballon vers la côte. Les pilotes décident de prendre de la hauteur afin de ne pas percuter les reliefs montagneux. Le vent redouble d’intensité. Commence alors une lutte implacable entre les éléments et le vaisseau volant. Les rafales assaillent, le ballon chancelle. Il tombe, remonte, retombe encore. Une bourrasque l’emporte brusquement vers l’Est. Les aéronautes n’arrivent pas à garder le contrôle de leur engin. Il y a presqu’une heure qu’ils sont ballottés sans pouvoir maîtriser leur trajectoire.
Ils luttent de toutes leurs forces. Mais la chute est inévitable. Ils se laissent finalement tomber, parvenant toutefois à maîtriser la chute avec un sang froid qui fera plus tard l’admiration des commentateurs. Ils tombent au large de San Remo.
Un échec avant d’être le pionnier de la poste aérienne
Le Journal de Monaco rendra compte en quelques lignes de l’événement: "Partis de Monte-Carlo dimanche 26 septembre 1869 à 2 heures 45 dans leur ballon le Neptune, les aéronautes Jules Duruof et Albert Bertaux sont tombés en mer à 4 heures précises, à 1 kilomètre des côtes de San Remo. Ils ont ensuite gagné le rivage à 4 heures 15."
Les mots secs de cette dépêche dissimulaient l’amertume: Monaco ne serait pas à l’inauguration du Canal de Suez.
Mais le Neptune, repêché, n’aura pas dit son dernier mot. Il fera à nouveau parler de lui l’année suivante. C’est en effet ce ballon qui décollera pour la première fois de Paris assiégé par les Prussiens lors de la guerre de 1870, en transportant du courrier au-delà du cercle des ennemis. Il marquera ainsi le début de l’histoire de la poste aérienne.
On glorifiera le Neptune pour son exploit parisien. Il restera dans l’histoire. Mais on oubliera de dire que c’est ici, à Monaco, que sa grande aventure a débuté, entre le port et les nuages, lorsqu’on rêvait d’une gloire lointaine au-dessus du canal de Suez.Qui était Durouof?
Claude-Jules Duruof était un ingénieur et aéronaute français, né en 1841. Construisant ses ballons, il se déplaçait lui-même dans les airs lors de ses déplacements en province. C’est son exploit, lors du siège de Paris en 1870, qui lui apporta la notoriété. Il franchit les lignes prussiennes au-dessus de Versailles et descendit dans la banlieue d’Évreux. Les ennemis furent éblouis par cette réussite, Bismark le premier, qui exprima son admiration.
Théophile Gautier écrivit à ce propos: "L’ennemi qui crut enfermer les Parisiens dans un tombeau, les murer dans un sépulcre, n’a pu mettre de couvercle au caveau. Leur prison eut pour plafond le ciel et l’on n’investit pas le ciel. La noire fourmilière des envahisseurs n’a pu cerner l’azur. L’homme, délivré de l’antique pesanteur, a, grâce au ballon, les ailes de l’oiseau…" On peut imaginer ce qu’aurait écrit Théophile Gautier si le Neptune avait pu survoler le Canal de Suez sous les couleurs monégasques!
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