"Pour elle, j'étais comme une fenêtre vers le monde extérieur": la réalisatrice Sepideh Farsi se bat pour rendre hommage à la photographe palestinienne disparue Fatima Hassouna

Nice-Matin a rencontré Sepideh Farsi, réalisatrice du film "Put Your Soul On Your Hand and Walk", pour sa première projection, jeudi 15 mai 2025. Un documentaire tragiquement attendu sur la Croisette après l’assassinat de son personnage principal, Fatima Hassouna, par l’armée israélienne en avril dernier.

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Roxanne D'Arco Publié le 18/05/2025 à 11:00, mis à jour le 18/05/2025 à 11:00
interview

Bouleversant. Le mot n’est pas un euphémisme pour décrire Put Your Soul On Your Hand and Walk, le film documentaire de Sepideh Farsi, présenté au Festival de Cannes dans le cadre de la section parallèle Acid.

La réalisatrice iranienne en exil et basée à Paris, a suivi pendant un an Fatima Hassouna, jeune photographe palestinienne, via des messages et des appels vidéos.

Une démarche pour raconter la vie quotidienne des Gazaouis, leur redonner une voix, une humanité au milieu du flot d’informations déshumanisantes dont on nous abreuve depuis octobre 2023. 

Mais le film a finalement acquis une dimension tragique supplémentaire avant même sa projection, ce jeudi 15 mai: à 24 ans, Fatima Hassouna est tuée en avril dernier dans une attaque ciblée de l’armée israélienne, selon Forensic Architecture. Dans ce bombardement, seule sa mère a survécu.

Un film pour continuer à témoigner

Sur des images filmées la veille, on la voit pourtant avec un large sourire. Elle apprend que le film est sélectionné à Cannes.

En les voyant, on ne peut s’empêcher d’avoir la gorge nouée. Quasi un mois plus tard, Fatima n’est plus là pour témoigner auprès du public cannois. 

Sepideh Farsi, elle, ne lâche pas. Elle est présente, pour le public et la multitude de journalistes qui viennent à sa rencontre pour une interview. Cette femme répond avec une douceur dans sa voix et ses yeux. Même si à travers eux, on sent sa tristesse, pour ne pas dire plus.

La réalisatrice est bien décidée à continuer. Continuer de transmettre la voix de Fatima. Poursuivre la dénonciation des crimes de l’armée israélienne. Continuer à réclamer la justice et enfin la reconnaissance des terres pour les Gazaouis et le peuple palestinien.

Nice-Matin l'a rencontrée. Entretien.

Comment l’idée de faire ce film a-t-elle émergé ? 

Au moment des attaques du 7 octobre 2023, j'étais membre du jury dans un festival qui s'appelle "La guerre à l'écran", en Champagne-Ardenne. Je présentais aussi mon film La Sirène, un film d'animation qui parlait de la guerre entre l'Irak et l'Iran. Passé le choc initial,  l'indignation et l'horreur qu’ont suscité ces attaques, il y a eu les représailles israéliennes et assez vite, on est rentré dans une phase qui allait vraiment au-delà de l'ampleur de l'horreur initiale que le Hamas avait déjà commis. Et pour moi, il me manquait un bout de puzzle important dans le paysage médiatique, à savoir la voix des gens de Gaza. Comment les Gazaouis vivent cette guerre ? Comment survivent-ils aux pénuries, aux bombes ? On ne s'adressait jamais aux gens qui avaient perdu un membre de leur famille ou qui avaient été blessés ou mutilés pour leur demander “comment vis-tu aujourd'hui ?” Et ça, ça m'a beaucoup gêné au point que ça devienne une obsession.

Fatima Hassouna, 24 ans, a été tuée dans une attaque ciblée de l’armée israélienne en avril dernier. DR.

C'est elle qui va être mes yeux à Gaza

Au départ, vous êtes allée au Caire dans le but de passer la frontière à Rafah (frontière entre l’enclave palestinienne et l’Egypte, ndlr). Mais les frontières étant bloquées, c’était impossible. Comment êtes-vous donc entrée en contact avec Fatima Hassouna?

J’ai commencé à filmer des réfugiés palestiniens au Caire, mais ça ne me suffisait pas. L'un d'eux me parle d'une fille de son voisinage, une amie à lui qui était toujours là bas. Fatima était photographe, pleine d'énergie. Il me dit "c'est la personne qu’il te faut". Et donc il nous met en contact, et je sens que c’est une évidence, c'est elle qui va être mes yeux à Gaza. 

Comment le tournage s'est-il mis en place?

Fatima accepte immédiatement. Pour le tournage, j’ai voulu du matériel  non-professionnel. Je voulais quelque chose de très simple pour être très mobile et filmer tout le temps. Je voulais avoir le téléphone qu'une personne à Gaza pourrait avoir à sa disposition. Être sur un pied d'égalité avec elle. 

Comment votre relation a évolué au fil du temps ? On sent une complicité se mettre en place dans "Put Your Soul On Your Hand And Walk"… 

Il y avait une distance matérielle importante entre nous, mais bizarrement, on est devenues très proches. Je crois que c'était une curiosité et une fascination mutuelle qui nous a rapprochés. J'étais fascinée par sa force de vie, son énergie, son sourire, sa lumière. J'imagine que pour elle, j'étais comme une fenêtre vers le monde extérieur. Sans doute mon expérience, mon âge, notre métier d’image… Et nos divergences aussi, de foi, de point de vue sur la vie. Je crois que tout ça a contribué à nous rapprocher. 

Comment souhaitez-vous que le monde se souvienne de Fatima Hassouna ? 

Lorsque j'ai appris sa mort, sa disparition, son assassinat... j'ai été choquée, et dans le déni. Ma première réaction, c'était de ne plus modifier le film. Il restera tel que tel qu'il était quand elle était encore en vie. Mais le premier choc passé, j'ai été confrontée à un choix: garder cette dernière conversation pour moi ou la partager. Et je me suis dit que c'était important que les spectateurs puissent voir la joie que Fatima a ressenti lorsqu’elle a appris qu’elle allait peut-être venir à Cannes. Elle a immédiatement ajouté: "il faut que je rentre à Gaza après". Ça a été très compliqué émotionnellement de changer ce moment, enfin de monter ce moment dans le film. Ce que les gens doivent emporter avec eux, c'est ce sourire, cette force, cette résilience, cette fierté.  Moi, ce que j'espère, c'est qu'au-delà du festival et des hommages qui lui sont rendus tous les jours, c’est qu’on transmette la parole des Palestiniens pour que cette guerre s'arrête et qu'après, ils puissent avoir leur terre, et une vraie existence. 

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