"On n’entend que ça"... mais les chiffres disent-ils vraiment que les jeunes d'aujourd'hui sont plus violents que ceux d'hier?
Drogue, réseaux sociaux, familles éclatées... ont-ils fragilisé nos adolescents au point de les pousser plus qu’avant à commettre des actes violents ? Les chiffres ne corroborent pas forcément un sentiment très répandu.
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Margot Dasque (mdasque@nicematin.fr)Publié le 02/09/2025 à 08:30, mis à jour le 02/09/2025 à 11:27
Par définition, la question est clivante. Les réponses obtenues varient selon le profil des interrogés: leur âge, leur expérience, leur environnement. Les jeunes sont-ils plus violents qu’avant?
Pour Nadine, quinquagénaire Niçoise, la réponse tombe sous le sens: "Oui. On n’entend que ça." Sans surprise, le discours politico-médiatique influe sur le ressenti quant aux questions de sécurité.
En témoigne la réaction de Marie-Christine, presque octogénaire: "Il faut faire attention avec tout ce qu’il se passe en ce moment." Un mantra de prévention faisant référence aux faits divers qui cannibalisent antennes et réseaux: rixes, rodéos ou encore coups de couteau – parfois mortels – avec des auteurs mineurs.
"Plus violents? Je ne suis pas sûr", lâche Théo, bientôt 17 ans; "Quand mon grand-père parle de sa jeunesse dans les années 70, on dirait que c’était beaucoup plus dangereux de sortir, de s’embrouiller avec des gens."
Pour Lola, 16 ans, la comparaison n’a pas lieu d’être: "On ne grandit pas avec les mêmes codes.""Mais il y a des gens qui vrillent quand même", nuance Rayan, 17 ans, qui raconte des anecdotes sur des coups de sang et des bagarres: "Mais est-ce qu’il y en a plus? J’en sais rien!"
"La plus grosse violence c’est le système qui leur fait subir…"
"Je n’ai pas l’impression d’assister à une augmentation", relève Fanny Dechaume, co-secrétaire départementale SNPES-PJJ FSU. Après des années d’expérience en Seine-Saint-Denis et dans les quartiers marseillais, l’éducatrice PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse) œuvre aujourd’hui à Nice.
"Je ne constate pas non plus de rajeunissement; des petits de 13-14 ans, j’en ai toujours eu. Ils ne représentent pas la majorité, loin de là: sur vingt-cinq mesures on en compte un."
"40 % sont des petites mains du trafic de stupéfiants"
Quant à la typologie des actes, elle évolue. "À une période, il y avait des arrachages de collier et des vols de téléphones, ce qui ne revient plus."
L’essentiel des mineurs suivis? "40% sont les petites mains du trafic de stupéfiants. Ils rentrent par le côté financier, en se disant qu’en quelques jours ils pourront s’acheter une paire de baskets. Mais ils ne restent pas dedans pour ça. Souvent ce sont des gamins rejetés, ils ont quitté le système scolaire et trouvent en quelque sorte une place dans cet autre système, un lien social, une forme de valorisation."
Le piège se referme: parce qu’ils deviennent à leur tour victimes. "Ils se retrouvent endettés, leurs familles menacées, ils doivent aller bosser gratuitement."
Si la rencontre avec le magistrat provoque encore "une prise de conscience" selon la professionnelle, la question du manque de moyens pèse dans la balance. "Aujourd’hui, quand un placement est prononcé, c’est un challenge qui débute. On doit appeler dans toute la France pour trouver une place. Ils quittent la région et peuvent se retrouver à Paris, dans le Nord… Le travail administratif a doublé et les éducateurs sont moins nombreux."
"Dans l’opprimé d’hier, l’oppresseur de demain"
La solution des centres éducatifs fermés? "Ça ne fait pas ses preuves dans la prise en charge. Le choc carcéral ne permet pas d’obtenir des résultats." Citant Victor Hugo – "Dans l’opprimé d’hier, l’oppresseur de demain" – l’éducatrice regrette ne pas voir davantage de budget consacré à ces jeunes. "Quand vous me parlez de violence, j’ai envie de vous dire que la plus grosse violence, c’est celle que le système fait subir à ces gamins."
Le besoin d’effectifs se fait aussi ressentir dans l’Éducation nationale, selon Arthur Leduc, professeur d’histoire-géographie: "Les conditions d’encadrement se sont détériorées, il n’y a plus assez d’infirmières scolaires, de psychologues, d’assistantes sociales. Je suis convaincu que 90% des situations problématiques seraient réglées en sérénité si on avait des personnels éducatifs formés en quantité suffisante."
"Ils deviennent parfois oppresseurs parce qu’ils ont été opprimés."Photo PQR/L'Est Républicain.
"La société est moins tolérante aux déviances"
Après bientôt vingt ans d’enseignement, le secrétaire général CGT-Educ’Action 06 ne constate pas une flambée de la violence: "La société est moins tolérante aux déviances de la jeunesse. La transformer en classe dangereuse en maintenant l’idée qu’il faut seulement lui apprendre à respecter l’ordre évite de parler d’autres sujets."
Les amalgames vont vite, trop vite. Et ça Noré Mezouar, directeur de la MJC Giaume à La Bocca à Cannes, le sait: "On ne peut pas juger comme ça les adultes de demain. Dans dix ans, ce sont eux aux manettes. Il faut croire en eux plutôt que de les descendre!"
"On a interdit le téléphone et il y a moins d’embrouilles"
D’ailleurs, confronter les époques ne lui semble pas opportun : "La société et le monde ne sont plus les mêmes. Très jeunes, ils bénéficient d’une facilité d’accès à tout, aux bonnes comme aux mauvaises choses."
Selon lui, il faut tenir compte des réseaux sociaux: "Avant, les faits étaient les mêmes, mais ils n’étaient pas filmés. Je suis plutôt favorable à une interdiction avant 15 ans pour éviter les dérives."
Depuis 6 ans, la structure a proscrit tout smartphone. Résultat ? "Moins d’embrouilles, plus de partage."
Sur le terrain, la sensation d’avoir affaire à des jeunes plus "durs" ne ressort pas non plus pour Raphaël et Mohammed, éducateurs. Mais une certitude accompagne l’équipe : briser les stéréotypes, c’est dans les deux sens.
Le projet "citoyen de demain" permet à 12 ados d’apprendre à connaître les institutions de l’État. "Ils peuvent poser leurs questions, cela permet de désamorcer les préjugés." Instaurer un dialogue de respect: la première des bases pour changer de regard sur l’autre.
"Il y a un cadre qui n’est pas fixé pour certains"
Et ça, en 27 ans d’enseignement, Jacky Ruidavet en est convaincu. À l’USC Menton, club de référence dans le MMA, il transmet discipline et valeurs du sport. "Les jeunes ne sont pas nécessairement plus violents, mais ils peuvent le devenir au fur et à mesure, s’ils n’ont plus de limites."
Ce qu’il constate? Une forme de désinhibition. "Il y a un cadre qui n’est pas fixé pour certains. Ils se retrouvent à être autorisés à tout faire ou devoir se débrouiller par eux-mêmes."
Pour lui, l’éducation joue un rôle crucial: "Quand on fait face à des adolescents agressifs, quand on gratte un peu, on remarque un gros vide, un manque de repères, d’écoute, voire d’affection."
Des belles histoires de gamins revenus dans le droit chemin? Il en a écrit. Et c’est bien pour ça qu’il reste optimiste: "On est un des derniers piliers pour leur apporter des réponses, on doit leur apporter ça."
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