L’œil de l’expert
Psychologue du développement, chercheur à l’Université Gustave Eiffel et expert au Conseil national de sécurité routière, Jean-Pascal Assailly revient sur les causes et les formes de l’agressivité au volant. Entretien.
Notre comportement change-t-il lorsque nous prenons le volant?
Les chercheurs ont testé deux hypothèses. La première: les gens violents dans la vie le sont aussi au volant. La seconde hypothèse, c’est que la voiture change l’homme. Autrement dit, la métaphore du mouton qui devient un loup enragé dès qu’on lui met un volant entre les mains. Et c’est ce deuxième scénario qui s’applique au plus grand nombre. Les gens peuvent être très prudents en ce qui concerne leurs finances ou leur santé, et faire n’importe quoi au volant.
Comment expliquer cette transformation?
Il y a plusieurs dimensions. La voiture elle-même et une espèce de bulle où il n’y a plus de communication avec le monde extérieur. Le conducteur est isolé et protégé. Cela favorise un comportement semblable à celui observé sur les réseaux sociaux. Dès lors que l’on favorise l’anonymat entre les êtres, on favorise la violence.
La deuxième raison, c’est le rapport au temps totalement pathologique du Français d’aujourd’hui. Bien qu’on ait objectivement plus de temps que nos grands-parents, subjectivement, on a l’impression d’en manquer. La pression temporelle et l’éloignement des centres-villes en raison du prix de l’immobilier exacerbent ce stress.
Peut-on dire que la voiture devient un exutoire?
Tout à fait. Elle permet cela, parce que la violence va être beaucoup moins punie que dans d’autres domaines de la vie. Au volant, la violence s’exprime plus librement, sans les sanctions habituelles. Sur un terrain de foot, ça serait le carton rouge. Pour la violence par arme à feu, ce serait la prison.
Les femmes sont-elles concernées de la même manière que les hommes?
Non, car nous savons bien que tout ce qui a trait à la violence, c’est beaucoup plus les hommes que les femmes. Toutefois, pour ce qui est de la violence verbale, les femmes se permettent presque autant que les hommes, notamment grâce à l’anonymat protecteur de l’habitacle.
La diversité des usagers complique-t-elle les choses?
Oui. Avant, on était soit automobiliste, soit piéton. Maintenant, dans les rues, on est automobiliste, piéton, cycliste, motard, "trottinettiste"… Cela rend la communication difficile, car ces différents modèles de la route ont des vitesses, et des trajectoires complètement différentes.
Cette agressivité est-elle uniforme sur tout le territoire?
Il y a de fortes disparités régionales. Il est vrai qu’il y a un rapport à la règle et un rapport au risque qui est beaucoup plus dégradé au sud de la Loire. Les régions comme Paca, la Corse, Midi-Pyrénées ou encore Toulouse affichent les pires statistiques. Si on compare aux gens du Nord-Pas-de-Calais, ou à la Bretagne, ou à l’Est de la France, l’Alsace, là c’est très frappant effectivement. Les mauvais comportements, le non-respect des règles, entraînent plus de conflits sur les routes.
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