63% des conducteurs reconnaissent insulter d’autres automobilistes: sur les routes, les comportements s’améliorent à peine

L’agressivité au volant en France est un phénomène qui reste préoccupant, selon le Baromètre de la conduite responsable qui vient de livrer ses derniers enseignements.

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Gauthier Guigon et Elodie Madoré Publié le 27/05/2025 à 08:00, mis à jour le 27/05/2025 à 08:00
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À la veille du week-end de l’Ascension, un des plus chargés sur les routes, la fondation Vinci autoroutes publie les résultats de son 15e Baromètre de la conduite responsable, réalisé avec l’institut Ipsos. L’édition 2025 laisse entrevoir une amélioration globale des comportements des usagers sur la route, malgré des écarts encore fréquents, notamment en ce qui concerne les incivilités.

Il apparaît que 87% des conducteurs français déclarent avoir peur du comportement agressif des autres. Ce n’est pas rien et c’est seulement un point de moins que l’an dernier. Aujourd’hui, 63% des conducteurs reconnaissent insulter d’autres automobilistes (-1 point), tandis que 54% klaxonnent de façon intempestive ceux qui les énervent (-1 point), 30% continuent de coller délibérément le véhicule d’un conducteur qui les énerve (-2 points) et 13% avouent être capables de descendre de leur véhicule pour s’expliquer (-5 points)! "Pour la première fois depuis 2011, note Bernadette Mordeau, déléguée de la fondation, une majorité de comportements évolue dans le bon sens. C’est encourageant, mais il reste du chemin à faire."

Des Français agressifs au volant de manière générale

D’après une étude menée par Leocare (1) Assurances en février 2024 et publiée en mars dernier, 82% des Français reconnaissent adopter un comportement agressif au volant. Un chiffre révélateur d’un climat plutôt tendu sur les routes de l’Hexagone.

Ces comportements qui agacent

Cette agressivité s’exprime souvent en réaction à certaines habitudes irritantes d’autres usagers. En tête des causes d’agacement figure le changement de voie sans clignotant, détesté par 44% des automobilistes. Suivent les queues de poisson (30%) et le non-respect des distances de sécurité, perçu comme un danger permanent.

Autrement dit, si vous oubliez le clignotant, coupez la route à quelqu’un et collez la voiture de devant, attendez-vous à une réaction potentiellement virulente.

Usagers les plus critiqués

Dans le viseur des automobilistes, certains usagers de la route concentrent les critiques: sur la première marche du podium, les utilisateurs de trottinettes (59%), ensuite les cyclistes (47%) et enfin, les motards (35%).

Une colère qui s’exprime de différentes manières. Il y a ceux qui râlent dans leur voiture, ceux qui gesticulent et ceux qui insultent.

Parmi les invectives les plus populaires, "connard/connasse" arrive largement en tête (62%), suivi d’"abruti (e)" (28%) et "gros con/grosse conne" (24%). D’autres expressions comme "sale con", "va te faire foutre!", "pauvre type" et "idiot (e)" complètent ce florilège de noms d’oiseaux.

(1) L’étude a été réalisée auprès de 1.000 personnes, représentatives de la population française âgée de 18 à 65 ans, réparties en trois tranches d’âge: 18-34 ans, 35-49 ans et 50-65 ans.

La France compte 40 millions d’automobilistes. Photo d’illustration Jean-François Ottonello.

Quand les altercations virent au drame

Un nom d’oiseau lancé au volant sous le coup de la colère ou une insulte ("Et voilà, encore un Parisien!" ne fait étrangement pas partie des mots doux relevés dans le baromètre) n’ont jamais tué personne. Mais parfois, la situation dégénère.

Sur les collines de Nice-ouest, quartier Fabron, le mardi 5 octobre 2021, un automobiliste raccompagne sa mère chez elle, avec son épouse et ses deux enfants en bas âge à bord du véhicule. La route est étroite, ponctuée de virages et sans visibilité.

Derrière, un chauffard colle la famille. Quelques instants plus tard, le délinquant de la route persiste et klaxonne. La tension monte et les deux conducteurs sortent du véhicule. L’automobiliste pressé sort alors un revolver chargé et met en joue le père de famille. L’agresseur a été interpellé par le Raid et condamné par la justice. Cette fois, plus de peur que de mal.

Tué pour un simple accrochage

Le 2 octobre dernier, à l’angle du boulevard Delfino et de la rue Arson à Nice, une jeune femme enceinte de neuf mois a eu moins de "chance". Après avoir s’être livré à une queue de poisson, un chauffeur de VTC lui avait asséné un violent coup de tête. La banale altercation entre automobilistes venait de dégénérer. La victime a subi de lourds soins dentaires. Le chauffeur a été condamné à quinze mois de prison.

En mai 2017, après un léger accrochage sur la pénétrante du Paillon, Jean-Pierre Lapi, entrepreneur monégasque, était tué d’un coup de poing au visage…

Coups de batte de baseball

Dans le Var aussi, les altercations sur la route dégénèrent. Le 27 juillet 2018 à La Garde, un conflit sur la route s'était terminé en coups de batte de baseball, laissant la victime sourde de l’oreille gauche. L’auteur des violences a été condamné, le 5 avril, à cinq ans d’emprisonnement par la cour d’assises du Var.

Certains automobilistes voient la route comme une compétition. Et, par ego mal placé, ne supportent pas de se faire doubler. Un policier se souvient de cette course folle dans la capitale du Var: "Il y a quelques années, dans le tube nord du tunnel de Toulon, un automobiliste n’avait pas accepté de se faire doubler par un scooter. Il avait rattrapé le motard à la sortie du tunnel. Il l’a poursuivi et renversé."

Infographie Rina Uzan.

L’œil de l’expert

Psychologue du développement, chercheur à l’Université Gustave Eiffel et expert au Conseil national de sécurité routière, Jean-Pascal Assailly revient sur les causes et les formes de l’agressivité au volant. Entretien.

Notre comportement change-t-il lorsque nous prenons le volant?

Les chercheurs ont testé deux hypothèses. La première: les gens violents dans la vie le sont aussi au volant. La seconde hypothèse, c’est que la voiture change l’homme. Autrement dit, la métaphore du mouton qui devient un loup enragé dès qu’on lui met un volant entre les mains. Et c’est ce deuxième scénario qui s’applique au plus grand nombre. Les gens peuvent être très prudents en ce qui concerne leurs finances ou leur santé, et faire n’importe quoi au volant.

Comment expliquer cette transformation?

Il y a plusieurs dimensions. La voiture elle-même et une espèce de bulle où il n’y a plus de communication avec le monde extérieur. Le conducteur est isolé et protégé. Cela favorise un comportement semblable à celui observé sur les réseaux sociaux. Dès lors que l’on favorise l’anonymat entre les êtres, on favorise la violence.

La deuxième raison, c’est le rapport au temps totalement pathologique du Français d’aujourd’hui. Bien qu’on ait objectivement plus de temps que nos grands-parents, subjectivement, on a l’impression d’en manquer. La pression temporelle et l’éloignement des centres-villes en raison du prix de l’immobilier exacerbent ce stress.

Peut-on dire que la voiture devient un exutoire?

Tout à fait. Elle permet cela, parce que la violence va être beaucoup moins punie que dans d’autres domaines de la vie. Au volant, la violence s’exprime plus librement, sans les sanctions habituelles. Sur un terrain de foot, ça serait le carton rouge. Pour la violence par arme à feu, ce serait la prison.

Les femmes sont-elles concernées de la même manière que les hommes?

Non, car nous savons bien que tout ce qui a trait à la violence, c’est beaucoup plus les hommes que les femmes. Toutefois, pour ce qui est de la violence verbale, les femmes se permettent presque autant que les hommes, notamment grâce à l’anonymat protecteur de l’habitacle.

La diversité des usagers complique-t-elle les choses?

Oui. Avant, on était soit automobiliste, soit piéton. Maintenant, dans les rues, on est automobiliste, piéton, cycliste, motard, "trottinettiste"… Cela rend la communication difficile, car ces différents modèles de la route ont des vitesses, et des trajectoires complètement différentes.

Cette agressivité est-elle uniforme sur tout le territoire?

Il y a de fortes disparités régionales. Il est vrai qu’il y a un rapport à la règle et un rapport au risque qui est beaucoup plus dégradé au sud de la Loire. Les régions comme Paca, la Corse, Midi-Pyrénées ou encore Toulouse affichent les pires statistiques. Si on compare aux gens du Nord-Pas-de-Calais, ou à la Bretagne, ou à l’Est de la France, l’Alsace, là c’est très frappant effectivement. Les mauvais comportements, le non-respect des règles, entraînent plus de conflits sur les routes.

Roulez comme un professionnel

Si les particuliers sont confrontés à ces agressions quotidiennes sur les routes de la région, les chauffeurs de bus ou les taxis ne sont pas épargnés. Face aux queues de poisson, klaxons et coups de pression, les professionnels du volant savent garder leur sang-froid. En toutes circonstances.

"Avec le temps, on a appris à rester calme car notre carte professionnelle en dépend. On anticipe tout, témoigne Thierry Briquet, taxi toulonnais. Par exemple dans un rond-point, je pars de l’idée qu’on va me couper la route. Donc si ça arrive, je ne suis pas surpris et donc je ne m’énerve pas."

"En évitant de s’énerver, on se préserve. Et puis on a des clients dans la voiture donc on ne peut pas se laisser aller", poursuit le taxi toulonnais. Les professionnels de la route témoignent ainsi d’une "intolérance aux incivilités": "Les gens ne supportent plus qu’on leur coupe la route ou qu’on les colle, donc ils klaxonnent et derrière ça monte en pression, avec des gestes obscènes et des insultes."

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