Jean Jouzel, climatologue: "On ne peut pas dire qu’on n’a rien fait, mais il faut changer de braquet"

Le climatologue Jean Jouzel n’a pas été surpris par les vagues de chaleur de l’été 2022, pas plus qu’il n’est étonné de l’automne estival que nous vivons – "C’est ce que nous avions prévu!" Ancien vice-président du Giec, le climatologue il est devenu un homme de combat, sans l’avoir prémédité. Même si, "avec les COP, on est loin du compte", il explique pourquoi l’événement reste nécessaire. Dans un moment charnière.

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Sonia Bonnin, Sophie Casals, Aurélie Selvi et Flora Zanichelli Publié le 06/11/2022 à 12:00, mis à jour le 07/11/2022 à 11:46
Jean Jouzel, climatologue: "Agissons tout de suite". Photo G. T.

L’année a cumulé les épisodes de chaleur. Cela fait changer la perception du changement climatique?

Par rapport à il y a quelques années, chaque citoyen peut avoir la perception d’un climat qui change, à travers les pluies torrentielles, ou les vagues de chaleur. Les chiffres sont là. Une vague de chaleur, qui survenait tous les dix ans, surviendra désormais trois fois tous les dix ans. Et avec + 4 degrés de réchauffement, ce serait pratiquement chaque année. Pour nous, ce n’est pas une surprise, c’était anticipé.

De quoi faire changer nos comportements?

Il y a 20 ans, les gens n’étaient pas convaincus. Quand le changement était peu perceptible, c’est là qu’il aurait fallu commencer à agir. La perception par les citoyens est un préalable à l’action. Mais vont-ils passer à l’action? Ce n’est pas sûr. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante.

À quoi sert l’ambition, ou la négociation d’accords, s’il n’y a pas l’action?

Pour moi, c’est une question au cœur de l’actualité. Atteindre la neutralité carbone, à l’horizon 2050, est inscrit comme objectif, en France, et c’est aussi le cas pour 120 pays. Le problème, justement, c’est qu’il y a un fossé entre les textes, ce qui est affiché, et la réalité. Il n’y a pas encore, en France, de véritable dynamique de diminution des gaz à effet de serre.

Quelle mesure tangible vous semble significative?

La fin du véhicule thermique, annoncée pour 2035. Est-ce qu’on y arrivera? La mobilité joue pour 31% dans nos émissions en France. C’est un point indispensable. Mais on peut aussi repartir de la convention citoyenne. Je suis attaché à la proposition de limitation à 110km/h sur l’autoroute. On peut le faire tout de suite. Ce serait une mesure exemplaire, immédiate, qui n’affecterait pas beaucoup la qualité de vie. Mais cette mesure n’est pas prise.

Quel regard portez-vous sur la radicalité, parmi les défenseurs du climat?

Je ne participe pas du tout. J’ai été contacté par Extinction Rébellion, je n’ai pas accepté d’actions plus radicales. Mais chacun exprime sa volonté de changement à sa façon. C’est une expression tout à fait légitime pour cette génération, il faut bien le comprendre et dire les choses. Moi, je le fais à ma façon de scientifique, mais cela ne veut pas dire que je les désapprouve, c’est très clair. C’est l’intérêt des jeunes que de s’engager. Nos actions d’aujourd’hui conditionnent le climat dans lequel ils vivront dans la deuxième moitié du siècle.

Est-ce que le manque d’action climatique a fait de vous un militant?

Oui, bien sûr, c’est à travers la recherche que j’ai pris conscience de l’ampleur des problèmes, je ne suis pas né écologiste. Il faut faire le maximum, en ce moment, pour combler le fossé. C’est un encouragement à l’action, je sais la difficulté.

Quel est l’intérêt d’une COP, si on ne respecte pas ses engagements?

Avec les COP, on est loin du compte, mais cela a permis une prise de conscience. Imaginons un monde dans lequel il n’y aurait pas de convention sur le climat et pas de Giec. Nous serions encore dans un climato-septicisme dominant, l’action en moins. Cela a permis le constat des scientifiques que le réchauffement est dû aux activités humaines. On ne peut pas dire qu’on n’a rien fait, mais il faut changer de braquet, c’est ça qui est important, et maintenant.

Comment le rendre concret?

On peut toujours parler de la neutralité carbone en 2050, mais parlons des objectifs à l’horizon 2030, ici en France. On a deux fois trop d’émissions en 2030. C’est le message, agissons tout de suite. Ce sont les pays, ou les secteurs d’activité qui s’impliqueront les premiers, qui gagneront. Y compris sur le plan économique. L’intérêt, c’est de s’engager dans la transition.

Par les énergies renouvelables?

Il aurait fallu développer les énergies renouvelables au rythme auquel nous nous y étions engagés. On doit se poser des questions dans la stratégie qu’on a suivie. Pour les éoliennes en mer, il existe plus de 5.000 éoliennes en Europe. Et pas encore une en France qui soit rattachée au réseau. On est à moins de 20% de renouvelable. Or, on devrait être au-dessus (1). Si nous avions tenu nos engagements, nous n’en serions pas là en termes d’utilisation des combustibles fossiles.

Et pour la Région Paca?

J’ai fait de nombreuses conférences dans votre région. C’est une question qu’on peut se poser, pourquoi le solaire y est si peu développé. Les gens trouveront toujours de bonnes raisons, mais je crois quand même que c’est un peu regrettable. C’est une région bénie des dieux en termes d’ensoleillement et il pourrait y avoir un développement important des énergies solaires. Ces possibilités ne sont pas mises en œuvre.


1. Les énergies renouvelables représentent 19,3%, dans la consommation d’énergie en France, en 2021. L’objectif était de 23% en 2020.

Climat, parlons vrai, aux Éditions Les Pérégrines, par Jean Jouzel et Baptiste Denis.

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