"C’est tout à fait exceptionnel": la Méditerranée enregistre des records de chaleur de plus en plus précoces
Avec des anomalies jusqu’à +5 °C, la vague de chaleur en Méditerranée occidentale de ce début d’été frappe par son ampleur et sa précocité.
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Sonia Bonin / Philippe Zamari / Laura GattiPublié le 01/07/2025 à 07:05, mis à jour le 01/07/2025 à 11:06
Pour un mois de juin, ce sont des valeurs considérables. Alors que nous entrons à peine dans l’été, la Méditerranée connaît une surchauffe non pas inédite dans l’absolu, mais jamais vue si tôt dans la saison.
Ce dimanche 29 juin, la température de surface a été la plus chaude jamais enregistrée pour un mois de juin: 26,01°C en moyenne, selon des données du programme européen Copernicus analysées par Météo France.
Au large des côtes des Alpes-Maritimes et du Var, c’est encore un cran au-dessus. "Nous observons des anomalies de température qui dépassent les +4 à +4,5°C, sur la zone Ligure, décrit Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au CNRS (Sorbonne Université) rattaché au laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer. Ce dimanche, la température moyenne [de la zone] était à 27,25 °C, soit 4,9 degrés au-dessus des moyennes de 1982 à 2015. C’est tout à fait exceptionnel."
Au cours des deux derniers étés, "on a déjà atteint des valeurs de températures plus élevées". La Méditerranée ne cesse d’enregistrer des records alarmants.
Le 15 août 2024 a marqué la température la plus chaude jamais enregistrée sur une journée: 28,90°C, dépassant le record précédent, 28,71°C le 24 juillet 2023.
+0,4°C par décennie
Désormais le mois de juin 2025 emboîte le pas de ces relevés hors norme, sans espoir d’inversion à court terme. "Pour le 7 juillet, c’est-à-dire lundi prochain, 28,6°C sont anticipés, ce qui serait donc 5,4° au-dessus des moyennes." Cette vague de chaleur est donc "exceptionnelle du point de vue de l’intensité et de la précocité".
Mais les pics spectaculaires ne doivent pas effacer la tendance de fond. "Il faut remettre ces valeurs dans un contexte. L’augmentation progressive de la température moyenne, au rythme de 0,4°C par décennie", poursuit Jean-Pierre Gattuso. Autre signe de cette évolution globale, "l’année dernière, l’ensemble de la Méditerranée a connu un événement de canicule marine, à un moment ou à un autre. Partout".
Les côtes françaises ne sont pas les plus exposées, toute la botte italienne est marquée par la surchauffe.
Les mécanismes qui conduisent à ce réchauffement font l’objet d’études approfondies. "La première cause possible, évidemment, c’est la température de l’air, qui est excessivement élevée, et donc forcément ça réchauffe la surface de la mer", poursuit le scientifique. La seconde relève de l’absence de vent.
D’année en année
"Dans ce cas, l’eau de surface ne se mélange pas, il n’y a pas de brassage", prolonge Frédéric Gazeau, directeur de recherche au CNRS, à la tête du laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer. Plus la couche supérieure se réchauffe, plus elle "s’épaissit", et moins elle se mélange avec les eaux plus profondes et plus froides. C’est l’image d’un édredon qui chauffe, grossit et descend progressivement.
Chercheur en écologie marine à l’Ifremer, institut français dédié à la mer, Stéphane Sartoretto en a fait l’expérience lors d’une récente sortie en mer. "J’étais en plongée de nuit dimanche soir, l’eau faisait 25°C de la surface jusqu’à 15m de fond." Ce qui était plus banal en été, voire au début de l’automne, se produit cette année en juin, "avec un pic qui perdure… c’est bien le sens de la dynamique qu’on observe d’année en année."
Le risque est "pour les organismes marins qui ne peuvent pas se déplacer et qui ne supporteront pas les fortes chaleurs au-delà de 30°C"(lire par ailleurs les effets sur la vie marine).
Seul un coup de vent…
Seul un coup de vent pourrait mettre un coup de froid devant nos côtes. "Si un régime de mistral se met en place suffisamment longtemps, c’est-à-dire sur plusieurs jours et suffisamment fort, on pourrait avoir des chutes de températures." Les vacanciers en font parfois l’expérience, quand l’eau se refroidit d’une dizaine de degrés en quelques jours.
Mais justement, un phénomène atmosphérique à grande échelle provoque actuellement "un système de hautes pressions sur l’Europe, qui limite l’impact de dépressions venues du nord", décrypte Nicolas Reule, physicien à l’Ifremer connaisseur des interactions air océan.
Une sorte "d’amplificateur de chaleur" est en place, directement au contact de la surface de la Méditerranée.
De surprise aucune, mais une urgence
Une telle canicule marine n’est en rien une surprise. Le dernier rapport du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a documenté le doublement des événements extrêmes depuis les années 1980.
D’ici à la fin de notre siècle, "ces extrêmes pourraient encore être multipliés par un facteur 20 à 50, donc ce n’est absolument pas une surprise, réagit le scientifique Jean-Pierre Gattuso, contributeur à plusieurs rapports, notamment sur l’océan et la cryosphère. Tout ça, malheureusement, était écrit."
Vu que la concentration de CO2 dans l’atmosphère continue à augmenter, "on se situe sur une trajectoire parmi les pires qui avaient été imaginées en termes de fréquence des canicules marines, de leur intensité et de leur étendue."
D’où son message on ne peut plus direct: "On n’entend pas beaucoup parler de l’impérieuse nécessité de se séparer de l’utilisation des combustibles fossiles. Si on veut sauver l’océan, ce n’est pas par des mesurettes qu’on va le faire, il faut arrêter d’utiliser des combustible fossiles, il n’y a pas d’espoir sinon."
Les gorgones souffrent, les méduses pullulent
Lors des dernières canicules marines en Méditerranée, "on a pu observer de fortes mortalités parmi les organismes fixes, comme les gorgones, notamment la gorgone pourpre de Méditerranée, espèce emblématique qui constitue des fonds marins très appréciés des plongeurs", constate Sylvain Couvray, biologiste marin à l’Institut océanographique Paul-Ricard, aux Embiez. "De fait, elle est très visible, et donc sa mortalité est également très visible. D’autres organismes comme les éponges ou même les oursins y sont très sensibles aussi."
Le scientifique note que "lorsque les températures de surface augmentent, ces espèces ne peuvent pas aller chercher la fraîcheur en profondeur"…
Un comportement naturel de survie qui trouve d’ailleurs de nouvelles limites: "Avec les fortes intensités des dernières canicules marines, on a observé un phénomène nouveau: les eaux sont trop chaudes, jusqu’à des profondeurs importantes… Elles dépassent 20 degrés à 30mètres de profondeur, c’est une vraie anomalie, elles devraient être à moins de 14 degrés passé 20mètres…"
Le risque des espèces invasives tropicales
Le biologiste marin est également très préoccupé par "la fréquence, l’intensité et la durée de ces canicules, qui ne font qu’augmenter. Tout cela entraîne des conditions de rupture pour l’écosystème marin. L’année 2025 pourrait d’ailleurs battre un record de précocité de l’épisode, laissant d’ores et déjà craindre une nouvelle intensification…"
Le phénomène entraîne une modification de la biodiversité. Par exemple, "depuis l’ouverture du canal de Suez, les espèces originaires de la mer Rouge, plus chaude, restaient cantonnées à l’embouchure du canal. Désormais elles remontent jusque sur nos côtes françaises".
Autre effet bien visible de ce réchauffement: "Les tortues marines, génétiquement programmées pour pondre sur les mêmes plages au fil des générations, ont modifié leurs instincts, en remontant plus vers le nord, vers nos côtes là aussi", observe Sylvain Couvray. "Avec un important phénomène de mortalité, liée à la surfréquentation humaine."
Les méduses quant à elles "pullulent déjà toute l’année. Elles sont opportunistes et donc invasives. Et par ailleurs elles se nourrissent de larves, dans le plancton, et donc nuisibles à la régénération des espèces."
Autre risque pointé par le biologiste marin, et non des moindres: "De nouvelles espèces invasives exotiques, qui ne s’installaient pas jusqu’alors car les eaux étaient trop froides pour elles, pourraient trouver des conditions favorables pour s’installer et se propager… Avec le transport maritime, le risque est important".
Infographie Rina Uzan.
"C’est la première fois que l’eau est aussi chaude"
SUR LA plage de la Garonne au Pradet, les 33 degrés incitent à passer plus de temps dans l’eau que sur sa serviette. Mais dans un bain à 29 degrés, les amateurs de fraîcheur peuvent aller se rhabiller. Au-delà du potentiel inconfort, certains baigneurs font part de leur inquiétude environnementale.
C’est le cas de Nathalie, habitante de La Valette, qui assure être "préoccupée": "Je ressens vraiment la différence, en comparaison avec l’année dernière à la même période. On se croirait mi-juillet, début août. Là, l’eau est trop chaude! C’est inquiétant, tout comme la chaleur qu’il fait actuellement."
Quelques mètres plus loin, le club de natation de l’amicale laïque du Pradet organise son traditionnel pique-nique de fin d’année. L’occasion – entre autres – de débattre.
Pierre, lui, pense à la faune. "Qu’il fasse si chaud aussi tôt, ce n’est pas normal. C’est la première fois que la température de l’eau est si élevée à ce stade de l’année. C’est une situation critique pour les poissons, c’est très inquiétant. Ça ne présage rien de bon. "
Jean-Luc, le coach de l’association, estime au contraire que "la situation n’est nouvelle": "Lorsque François Mitterrand a été élu Président en mai 1981, c’était la canicule, je m’en souviens très bien. Il faisait très chaud, la température de l’eau était si élevée qu’on pouvait déjà prendre des bains de minuit ", raconte l’homme à la mémoire d’éléphant.
Et puis, il y a ceux qui assument tirer profit de la situation, comme Élodie et Stéphanie.
"Tant que l’eau n’est pas à 28 degrés, on ne se baigne pas, on est de pures sudistes!, certifient les deux cousines. Nous ne sommes pas inquiètes, c’est comme chaque année non? On a justement de la chance de vivre ici, c’est comme si on était en vacances toute l’année."
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