Mission impossible, tout vient à point... La Semaine vagabonde de Denis Carreaux

Lundi
MISSION IMPOSSIBLE
Le titre de gloire de François Bayrou ? Avoir tenu trois fois plus longtemps à Matignon que Michel Barnier. Au-delà de cet exploit, le bilan de celui qui quitte cet après-midi l’hémicycle de l’Assemblée, tête basse et démarche traînante, est indigent. En 8 mois et 26 jours, le Premier ministre aura fait adopter la loi de finances permettant de mettre en œuvre le budget 2025. Rien d’autre. Il restera de son passage le souvenir fugace du Premier ministre qui aura réussi à organiser lui-même sa chute, avec un certain panache. Aurait-il pu en être autrement ? Pas sûr. Premier ministre en CDD d’un Président à bout de souffle et sans majorité : la mission est décidément impossible.

Mardi
TOUT VIENT A POINT...
On le dit discret et fin négociateur. Sébastien Lecornu est surtout patient. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, celui qui était en 2017 le benjamin du gouvernement a tissé sa toile de ministère en ministère, gagnant au fil du temps la confiance du Président, mais aussi, et c’est encore plus malin, de son épouse. Transition écologique, Outre-mer, Armées : ce jeune vieux de 39 ans qu’on disait trop tendre, trop lisse et trop techno a su se rendre indispensable tout en restant loyal, qualité rarissime en Macronie. Comme une ritournelle, le nom de Lecornu revenait ces derniers temps à chaque fois que Matignon se retrouvait sans locataire. Il s’est imposé comme une évidence. Après avoir attendu tant de temps, le nouveau Premier ministre sera-t-il assez habile pour durer ? Dans le chaos politique du moment, on ne peut que le souhaiter. Pas pour lui, mais pour le pays.

Mercredi
L’ÉTINCELLE
Avec 80 000 policiers et gendarmes mobilisés pour limiter la casse, les forces de l’ordre sortent gagnantes de cette journée qui devait paralyser la France. La grande révolte populaire annoncée ? Un flop. Cortèges clairsemés, actions sporadiques, revendications fourre-tout : la mayonnaise n’a pas pris. Le mouvement, insaisissable et rapidement noyauté par l’extrême gauche, a montré ses limites. Mais derrière cet échec, la colère, elle, ne faiblit pas. Sentiment de déclassement, ras-le-bol fiscal, défiance envers les politiques : les motifs de mécontentement s’accumulent. Symptôme léger d’un mal profond, le mouvement « Bloquons tout » n’a pas bloqué grand-chose. Mais il dit beaucoup de l’état d’esprit d’une France désabusée qui cherche encore l’étincelle susceptible d’unir ses colères.

Jeudi
MORT EN DIRECT
Le streamer Jean Pormanove sur son lit de mort. Les derniers instants d’Iryna, cette jeune Ukrainienne poignardée dans le métro aux États-Unis. Le mouvement de foule après le tir qui vient de viser l’influenceur Charlie Kirk en plein meeting. Les images de mort en direct inondent les réseaux sociaux. Gouttes d’eau dans « l’océan de trash » dénoncé par la commission parlementaire TikTok, elles témoignent d’une banalisation inquiétante. La mort, tragédie intime, est devenue un contenu comme un autre. Un enfant massacré à Gaza, un accident de moto, un piéton renversé : le passage de vie à trépas se consomme comme une recette de cookies ou un tuto de maquillage. Spectateurs, voyeurs, complices ? Nous sommes tout cela à la fois, incapables de détourner le regard face à ce flot ininterrompu d’images.

Vendredi
CHANGEMENT DE STYLE
Retour à Matignon, où nous n’avions pas été conviés depuis la période Gabriel Attal. Michel Barnier, resté trois petits mois, n’en avait pas eu le temps, et François Bayrou avait bien mieux à faire que de perdre du temps avec des journalistes de province. Suivi comme son ombre par sa chienne Tiga, braque hongrois au port altier, Sébastien Lecornu nous reçoit dans un salon sans chichis. « Je ne suis jamais dans mon bureau », nous confie-t-il, expliquant préférer le jardin, idéal pour Tiga, ou les salles de réunion. « Surtout, pas de dorures ! ». La consigne, adressée au photographe, à la recherche d’un cadre un peu solennel pour ses images, donne le ton. Le mot d’ordre est clair : ici, on la joue modeste, et on ne s’attache pas aux privilèges de la fonction. À 39 ans, Sébastien Lecornu ne se voit pas disposer à vie d’une voiture de fonction, d’un chauffeur et d’un agent de sécurité. Supprimer ces avantages qui crispent les Français : ce sera d’ailleurs une de ses premières décisions. Un signe fort et un vrai changement de style à Matignon.

Samedi
VOYAGE AU BOUT DE L’ENNUI
Si vous aimez vous assoupir en regardant un épisode de Derrick ou un discours de Bayrou, la Slow TV est pour vous. Un ferry qui glisse mollement sur un fjord, une grand-mère qui tricote son pull en temps réel : cette mode venue de Norvège arrive en France. France.tv nous propose ainsi de suivre le quotidien des cerfs en rut. La silhouette d’un sanglier, les ailes d’un héron : pendant 504 heures non-stop, il ne se passe à peu près rien en forêt de Rambouillet, et c’est bien là le but recherché. Jusqu’au brame final, un interminable voyage au bout de l’ennui.