"Noé" en 2017. "La Pastorale" en 2019. "L’Oiseau de feu" en 2021. Le rapport de l’homme avec la nature nourrit l’imagination de Thierry Malandain et constelle son œuvre.
Prolifique ces dernières années, le chorégraphe, membre de l’Académie des beaux-arts et auteur de plus de 80 ballets, se penche, avec vingt-deux danseurs du Centre chorégraphique national de Biarritz qu’il dirige, sur une partition emblématique: "Les Quatre Saisons" de Vivaldi. En y ajoutant les airs d’un autre compositeur de la même époque, Giovanni Guido, qui s’est aussi attelé à ce thème.
Leurs huit saisons fileront donc, ce samedi soir, sur la scène du Palais des Festivals de Cannes. Pour la première des nombreuses "premières" présentées dans le cadre du Festival de danse de Cannes Côte d’Azur (lire par ailleurs). Thierry Malandain y célèbre la nature à l’heure de l’effondrement climatique. Rencontre.
Pourquoi avoir eu l’idée d’associer Antonio Vivaldi à Giovanni Guido qui était son contemporain?
Ça a été suggéré par le directeur de l’opéra royal de Versailles et le chef d’orchestre Stefan Plewniak. En juin 2022, on reprenait ‘‘Marie Antoinette’’ à Versailles avec l’orchestre et Stefan me dit qu’il aimerait bien qu’on retravaille ensemble. Cinq minutes après, il arrivait avec un double CD avec ‘‘Les Saisons’’ de Vivaldi et Guido dedans.
Deux compositeurs aux renommées très différentes...
Guido est confidentiel. Quand Vivaldi est une pop star! Je ne savais pas quoi faire: deux ballets ou un seul. Vivaldi ce sont des concertos qui durent une quarantaine de minutes et Guido ce sont des suites françaises, des suites de danse, d’une heure avec des numéros de 30, 40, 50 secondes. C’est très morcelé. De ça, j’ai décidé de faire un millefeuille, de les intercaler. Ça commence par ‘‘Le Printemps’’ de Vivaldi et finit avec ‘‘L’Hiver’’ de Guido. Et ça dure juste une heure.
"Le Printemps" de Vivaldi, c’est surtout devenu la musique d’attente au téléphone des institutions… Comment la danse peut lui rendre toute sa superbe?
C’est le problème. On va danser avec l’enregistrement de ce chef, à Versailles. C’est très beau. Dans le ballet, il y a trois tranches, notre époque, les costumes sont simples et noirs. Pour les moments Guido, les costumes sont d’inspiration baroque avec des couleurs liées aux saisons. Il y a des personnages en chair qui sont ailés de pétales à la main. Le décor est constitué de pétales.
Vos créations sont souvent des hymnes à l’humain et au vivant. Là encore, vous vous intéressez à la nature…
Oui mais je n’ai pas voulu faire un ballet écologique. Béjart avait fait un ballet il y a cinquante ans sur le thème de la nature, les danseurs arrivaient avec des sacs-poubelles puis à la fin un arbre. C’est un peu trop démonstratif. Je ne sais pas si la danse peut vraiment traiter de politique. Mais les gens ne sont pas bêtes, les pétales au fond sont noirs, sont calcinés. Si tout allait bien, ils seraient roses. C’est un ballet très esthétique mais dans lequel il y a de la tragédie.
Pourquoi avoir choisi de présenter ce spectacle en première à Cannes?
Parce que Didier Deschamps [ancien directeur de Chaillot - Théâtre national de la Danse et nouveau directeur du festival cannois, ndlr]! Il a toujours soutenu la compagnie. Il est là depuis 37 ans, depuis que j’ai quitté le ballet de Nancy avec 7 danseurs, en 1986 pour fonder notre compagnie. Le premier spectacle que l’on a fait était un spectacle de promotion. J’avais écrit à trente maires pour qu’ils nous accueillent, aucun n’a répondu. On était à la rue, sans ressources.
Mon père était premier adjoint à Élancourt, il nous avait prêté une salle et avait convié des élus. Nous, des professionnels de la danse. Didier était là. Et on n’a pas arrêté de se recroiser ensuite, tout au long de nos carrières. On est à la fois très liés et pas très proches. C’est un danseur contemporain. Mais il est extrêmement ouvert, c’est rare! Je lui dois beaucoup, je lui dois d’être là.
Peut-être parce que votre vision du ballet classique ne l’est pas tellement…
Il y a une fausse idée autour de la danse classique… Ce n’est pas un langage figé. Chaque chorégraphe de notre époque qui décide de travailler en classique le fait à sa façon. On en est resté à ‘‘Gisèle’’, le ‘‘Lac des cygnes’’, mais ce n’est plus ça. La danse est toujours le témoin de son époque, c’est juste un vocabulaire pour moi. Je l’associe à l’Académie française. Il y a un langage et, chaque année, les Académiciens introduisent de nouveaux mots. Moi aussi, j’ai un vieux vocabulaire mais j’essaie de dire des choses d’aujourd’hui avec.
> "Les Saisons". Par le CCN Malandain ballet Biarritz. Ce samedi 25 novembre à 20h30. Tarifs: entre 16 et 50 euros.
La quinzaine des chorégraphes
Après la Quinzaine des cinéastes, qui fait vibrer la Croisette en mai, le Festival de danse de Cannes Côte d’Azur promet une belle quinzaine des chorégraphes qui débute ce vendredi 24 novembre avec "L-E-V" de Sharon Eyal et Gai Behar au Palais(notre photo). Jusqu’au 10 décembre, la cité des festivals mais aussi Grasse, Mougins, Draguignan, Carros, Nice, Antibes et Fréjus vibreront danse, autour du thème choisi: l’ouverture. Les œuvres des 27 compagnies invitées seront présentées. Parfois pour la première fois, comme "Birget; Ways To Deal, Ways To Heal" (26 novembre à Cannes), autour d’artistes samis ou "Mont Ventoux" de Kor’sia (1er décembre à Cannes). La Trisha Brown Company sera aussi de la partie (5 décembre à Anthéa). Le Festival réserve des expériences un peu dingues comme l’intervention d’Antoine Le Menestrel, qui se produira sur la façade du Cineum (30 novembre à Cannes). Ou du ballet du Grand Théâtre de Genève (7 décembre à Cannes), dirigé par Sidi Larbi Cherkaoui, qui présentera une pièce sur un plateau incliné. On verra aussi du cirque poétique avec "Recirquel" (2 décembre à Cannes), du flamenco avec David Coria (3 décembre à Fréjus), un duo hilarant avec "Through The Grapevine" (28 et 29 novembre au TNN) du Belge Alexander Vantournhout qui cherche à ajuster son corps avec celui de son compère plus petit. Autre spectacle gonflé (à l’hélium): "Salle des fêtes" de la compagnie Philippe Saire (9 décembre à Scène 55).
> Rens. www.festivaldedanse-cannes.com
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