Ils font renaître une boisson ancestrale de Monaco grâce à de la canne à sucre d’Haïti et un expert mondialement reconnu

Née au XVIIe siècle à Monaco puis oubliée durant des décennies, cette boisson ancestrale à base de rhum des Caraïbes a été remise au goût du jour et modernisée sous l’impulsion du prince Albert II. Récit.

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Thibaut Parat Publié le 13/09/2025 à 18:41, mis à jour le 13/09/2025 à 19:12
Le prince Albert II a impulsé la renaissance de la mesccia, dès 2021. Une équipe s’est ensuite formée. Photo Michaël Alesi / Palais Princier

C’est un breuvage ancestral qui, autrefois, a fait la réputation des comptoirs monégasques: la mesccia. Traduction littérale: mélange. Au XVIIe siècle, les habitants de la Principauté mélangeaient le rhum des Caraïbes, acquis auprès des marins génois en échange d’agrumes locaux, à des boissons européennes.

Un trésor du patrimoine gastronomique local était né avant de tomber progressivement (et presque définitivement) aux oubliettes, non sans quelques tentatives pour le faire renaître . Mais l’année 2025 pourrait bien être celle de sa vraie renaissance, dans une version revisitée et modernisée sous l’appellation "Mother Mesccia".

Une démarche patrimoniale impulsée dès 2021 par le prince Albert II et mis en musique, depuis, par Guy Thomas Levy-Soussan. "Cela part d’un sentiment de vouloir faire revivre des morceaux oubliés de notre patrimoine, en les remettant au goût du jour. Cela participe aussi à raconter l’histoire d’échanges maritimes de la Principauté", a confié le Prince, ce jeudi matin au Fort Antoine, lors de la présentation du produit fini. Un rhum blanc embouteillé à 47°C, bon pour la dégustation ou en cocktail, déjà commercialisé en Principauté et qui le sera sous peu en France et en Italie. Ce distillat deviendra "A Mesccia" une fois vieilli dans des fûts de la Distillerie de Monaco, entreposés dans ses locaux de Fontvieille, ayant autrefois contenu du rhum, du brandy ou encore du vermouth.

L’expertise de Luca Gargano, ponte dans le milieu du rhum

Pour obtenir la Mother Mesccia, une deuxième distillation a lieu à Monaco au cœur de la Distillerie de Monaco de Philip Culazzo. Photo Philippe Fitte.

Mais pour finaliser ce projet, il a fallu plus de quatre années de tâtonnements, d’expérimentations artisanales mais surtout de… rencontres. "Avec mon ami Paolo Artusio, qui a un petit bar à Ceva en Italie, on a fait des essais avec une dizaine d’alcools, sans laboratoire. On a bien rigolé mais cela restait des mélanges, des cocktails. Puis, on s’est rapproché de Philip Culazzo de la Distillerie de Monaco, raconte Guy Thomas Levy-Soussan. On était tous d’accord pour faire un produit de grande qualité. Il fallait une distillation."

Une tentative avec de la canne à sucre achetée en Espagne ne s’est guère montrée concluante et n’a pas donné satisfaction sur le plan de la qualité. "Le problème était la fermentation", juge-t-il, après coup. C’est alors que le nom de Luca Gargano, un expert mondial dans le milieu du rhum, lui est soufflé par le vigneron Nicolas Joly, quant à lui référence mondiale de la biodynamie.

Propriétaire de la maison Velier, Luca Gargano a ainsi été embarqué dans cette drôle d’aventure qui a mené tout ce beau monde jusqu’en… Haïti, point de départ de la production de Mother Mesccia.

"La meilleure canne à sucre au monde"

C’est dans ce pays des Caraïbes, au cœur du terroir difficile d’accès de Saint-Michel-de-l’Attalaye, que Luca Gargano s’est mis en quête de la variété Crystalline. "Il s’agit de la meilleure canne à sucre au monde, disponible dans des volumes conséquents. Elle est naturelle, c’est-à-dire non-hybridée, cultivée sans produits chimiques et récoltée à la main. Sa fermentation, aussi, est naturelle", explique l’expert.

Mais l’innovation de Luca Gargano réside surtout dans le choix d’une double distillation: en Haïti, d’abord, dans un alambic de 380 litres chauffé au feu de bois, puis en Principauté dans la distillerie de Philip Culazzo, rue de La Turbie. Et ce, pour préserver intégralement la qualité du jus de canne durant le transport au-dessus de l’Atlantique.

"Le distillat, quand il arrive à Monaco dans notre alambic, se situe entre 20 et 30% d’alcool, selon la saison de récolte. On coupe les têtes et les queues. Le distillat de la mesccia se chiffre ensuite à 76% d’alcool. On le met dans les barriques à 63% et on voit comment ça évolue, explique Philip Culazzo. On expérimente. On sait que c’est un très bon produit et on a un bon espoir en l’affinage. La seule interrogation est de savoir combien de temps ça va prendre. Ce qui est certain, c’est que ce sera plus lent que dans les Caraïbes."

Commercialisé à Monaco et bientôt en France et en Italie

Produit en plusieurs milliers d’exemplaires, le spiritueux est déjà commercialisé à Monaco par La Maison du Whisky (65 euros TTC), qui sera, dès fin septembre, en charge de la distribution sur le territoire français. C’est, en revanche, la maison Velier de Luca Gargano qui se chargera de la vente sur le marché italien. "Les deux marques seront en binôme pour l’export dans les autres pays européens", fait savoir Luca Gargano.

Le début d’une belle aventure à l’internationale?

Rhum contre agrumes, comment la mesccia est née au XVIIe siècle

"La mesccia est le symbole de l’intégration de la Principauté dans le commerce méditerranéen", résume Thomas Fouilleron, directeur des Archives du Palais princier. Au XVIIe siècle dans le port de Monte-Carlo, les navires génois, notamment, troquaient du rhum en provenance des Caraïbes contre les agrumes locaux qui faisaient la richesse d’une Principauté qui englobait alors Menton et Roquebrune-Cap-Martin. "Les peuples de marins avaient besoin de citrons durant leur navigation hauturière pour lutter contre le scorbut [une maladie qui se déclenche après une forte carence en vitamine C, N.D.L.R.], poursuit-il. Ainsi naquit sur le Rocher l’usage de mélanger ce rhum avec des spiritueux d’origine européenne – comme le vermouth, le marsala ou l’ouzo – donnant naissance à la mesccia. « Il pouvait y avoir autant de recettes que de familles", note Thomas Fouilleron.

Après la perte de Menton et Roquebrune en 1861, la mesccia est progressivement tombée dans l’oubli. En 2000, en se basant sur la vieille recette de Robert Boisson, ancien maire de Monaco de 1955 à 1971), le président de Monaco, Goût et Saveur Jean-Mary Rizza, avec le concours du chef cuisinier Marcel Athimon, avait remis au goût du jour la boisson spiritueuse avant de la commercialiser. Mais l’apéritif monégasque n’était pas parvenu à s’imposer dans le temps.

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