Avec "La Chambre d’à côté", Pedro Almodóvar brosse deux très beaux portraits de femmes

Avec "La Chambre d’à côté", le cinéaste espagnol pose sa caméra aux États-Unis le temps d’un drame sur le droit de mourir, porté par Tilda Swinton et Julianne Moore.

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Cédric COPPOLA Publié le 07/01/2025 à 15:30, mis à jour le 07/01/2025 à 15:30
Tilda Swinton et Julianne Moore. Photo El Deseo, photo by Iglesias Más

La thématique de la mort traverse votre filmographie. Cette fois, l’approche est encore plus frontale. Vous sentiez, à 75 ans, que c’était le bon moment d’aller dans ce sens?

Ce n’est pas calculé. Je me lance parce qu’une idée m’inspire ou qu’un roman me touche profondément. Par exemple, pour ce film, un chapitre d’un livre de Sigrid Nunez m’a profondément marqué. Dans ce passage, Martha, le personnage que joue Tilda Swinton explique à Ingrid (Julianne Moore), qu’elle veut choisir la manière de finir sa vie et souhaite être accompagnée. Cela m’a poussé à explorer des thèmes comme la mortalité et l’amitié. Je suppose que le passage du temps influence aussi mon écriture et, en conséquence, mes thèmes sont aujourd’hui plus graves que ceux que j’abordais auparavant.

Éviter d’être trop sombre sur un tel sujet était une de vos préoccupations?

Absolument. Le sujet est lourd, mais je ne voulais pas un film sordide. Mon but était de rester fidèle à la personnalité du personnage de Tilda Swinton, une femme vive, baroque et débordante d’énergie. J’ai voulu parler de la mort comme d’un acte vital, d’une décision qui fait partie de la vie. C’est pour cela que j’ai opté pour des couleurs lumineuses et vibrantes.

Parmi les thèmes abordés, il y a aussi la littérature. Vous mentionnez, par exemple, le cercle de Bloomsbury. Peut-on établir un parallèle entre la relation entre Dora Carrington et Lytton Strachey avec celle de Martha et Ingrid?

Le lien se fait naturellement. Dans les deux cas, il s’agit de relations marquées par des choix de vie radicaux, notamment le suicide. Virginia Woolf et Dora Carrington ont décidé de leur propre mort, tandis que Lytton Strachey, lui, est mort d’un cancer. Dans mon film, cette discussion autour de Woolf et Carrington sert surtout à ouvrir une réflexion sur la mort de Martha.

‘‘La Chambre d’à côté’’ est votre premier long-métrage en anglais. Cela a-t-il changé votre approche?

Pas vraiment. Tourner en anglais n’a rien changé aux émotions exprimées. J’aurais fait le même film en espagnol. Mes courts-métrages en anglais m’ont essentiellement apporté une liberté, une fraîcheur, qui m’ont rappelé mes débuts. Cela dit, ‘‘La Chambre d’à côté’’ n’est pas spécifiquement américain. Il pourrait se dérouler dans n’importe quel pays où l’euthanasie est illégale.

Avez-vous abordé cette question de l’euthanasie avec vos deux actrices?

Oui, nous en avons longuement parlé. Tilda et Julianne partagent mon point de vue: l’euthanasie devrait être un droit fondamental. Les individus devraient pouvoir décider non seulement de leur vie, mais aussi de leur mort, surtout lorsque la vie n’apporte plus que souffrance. Malheureusement, dans de nombreux pays, ce droit est encore un tabou. Même en Espagne, où l’euthanasie est légale, il reste des obstacles, notamment à cause de l’opposition de la droite catholique. Ces résistances sont souvent dogmatiques et égoïstes.

Au détour de quelques séquences, votre film touche également à d’autres sujets contemporains comme #MeToo ou l’écologie. Est-ce une manière de prendre position?

Ces thèmes reflètent mon regard sur le monde. Par exemple, la scène avec le professeur de sport est une critique des dérives du politiquement correct. Quant à l’écologie, le personnage de John Turturro exprime des inquiétudes qui sont devenues réalité depuis le tournage. Le changement climatique est une urgence. En Espagne, fin octobre, nous avons connu une Dana, une goutte froide catastrophique causée par la montée des températures en Méditerranée. Ce type de phénomène montre que nous sommes déjà dans une crise climatique.

En marge de vos réalisations, vous publiez fréquemment des livres. L’écriture vous apporte-t-elle quelque chose que le cinéma ne vous offre pas?

La littérature et le cinéma sont complémentaires. J’aime les deux, même si je pense être un meilleur cinéaste qu’écrivain! Écrire me permet cependant de me concentrer sur des nuances et des détails que le cinéma ne peut pas toujours explorer.

Vous aviez également mentionné vouloir tourner en France. Est-ce un projet concret?

C’est une envie de longue date. J’ai des amis dans le cinéma français et j’aime profondément ce pays. J’avais même envisagé d’adapter l’un des romans de Pierre Lemaître de la saga Verhoeven il y a des années, mais les droits étaient déjà pris. Le désir remonte encore plus loin, lorsque j’étais jury au Festival de Cannes en 1992 et que Gérard Depardieu le présidait. J’avais envisagé un film avec lui et Juliette Binoche, qui venait de terminer ‘‘Le Hussard sur le toit’’. Ça ne s’est pas fait, mais je n’ai pas abandonné l’idée de tourner dans l’Hexagone.

Vous venez de recevoir le Lion d’Or à Venise. Les prix sont-ils importants pour vous?

C’est toujours une joie d’en recevoir, mais ils ne définissent pas une carrière. Cela aurait été différent dans les années 1980, où une récompense aurait grandement aidé ma maison de production! Aujourd’hui, ils sont avant tout la reconnaissance d’un travail collectif et se destinent à toute l’équipe.

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L’histoire

Ingrid (Julianne Moore) et Martha (Tilda Swinton), amies de longue date, ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Lorsqu’Ingrid devient romancière à succès et Martha, reporter de guerre, leurs chemins se séparent. Mais des années plus tard, leurs routes se recroisent dans des circonstances troublantes…

Notre avis

Le maître espagnol revient avec un nouveau mélodrame… qui est aussi son premier long-métrage tourné en anglais. Un peu moins à son aise que lorsqu’il dirige dans sa langue natale, où il maîtrise mieux les non-dits, sa « Chambre d’à côté » n’en demeure pas moins une réflexion pertinente sur le droit de mourir dignement.
Comme souvent, Pedro Almodóvar livre deux très beaux portraits de femmes, ici incarnées par Tilda Swinton, qui interprète la malade, rongée par un cancer, et son amie campée par Julianne Moore. Une écrivaine effrayée par la mort, mais qui va accepter de loger dans la fameuse chambre d’à côté, en ayant conscience que la porte de la pièce où dort son amie, toujours ouverte, sera fermée le jour où elle aura décidé de mettre fin à ses jours.
La mise en scène, pudique et délicate, sait faire jaillir l’émotion comme il faut sans jamais forcer le trait. À 75 ans, on sent le cinéaste plus que jamais préoccupé par la grande faucheuse, avec une envie de la dompter, de la maîtriser et de garder le contrôle sur sa vie. Bien qu’imparfait : l’ensemble est un peu maniéré et quelques choix comme un flash-back sur un personnage secondaire sont dispensables, le drame atteint son but et possède quelques fulgurances, tel ce plan final, à la fois simple et virtuose.

> De Pedro Almodóvar (Espagne/États-Unis). Avec Tilda Swinton, Julianne Moore, John Turturro… Drame. 1 h 47.

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