L’humour semble vous attirer depuis quelques années, alors que ce n’était pas le cas au début de votre carrière. Qu’est-ce qui a motivé ce tournant?
En vieillissant, j’ai moins peur du jugement, je me lâche davantage. Être père m’a également reconnecté à une facette enfantine. Dans le film de Dominique Baumard, mon personnage a justement un côté grand enfant, comme Pierre Richard, Charlot ou Louis de Funès. Ce regard naïf sur le monde donne des personnages savoureux en comédie. J’ai aussi découvert cet aspect comique avec la série OVNI(s), où je jouais un scientifique cartésien dépassé par des événements absurdes impliquant des extraterrestres. Pendant ce tournage, j’ai réalisé que j’avais une aptitude à faire rire, à bouger comme un clown, avec des réactions physiques spontanées. La comédie passe beaucoup par le corps: quand on est à l’aise, on le laisse s’exprimer, sans intellectualiser.
Votre gestuelle, vos expressions faciales, parfois volontairement cartoonesques, sont frappantes. Est-ce quelque chose que vous travaillez consciemment?
Oui, dans Les Règles de l’art, dès les premières scènes, avec mes partenaires, on a senti qu’on pouvait basculer naturellement dans la comédie. Dominique l’a perçu et nous a encouragés dans cette voie. On riait beaucoup sur le tournage, nos personnages avaient des nuances comiques très riches. Quand on est dans de telles dispositions, on peut improviser tout en restant dans le rôle, explorer des directions inattendues.
Trouver le bon dosage, éviter l’exagération… Comment y parvenir?
En premier lieu, il faut un bon texte. Ensuite, c’est une question de tempo, de justesse, comme en musique. Ce n’est pas parce qu’on rit sur le tournage que ça fera rire à l’écran. Le piège, c’est de surjouer, grimacer. Certains acteurs comiques misent tout là-dessus, mais je voulais que ça reste naturel. Dans ce film, le montage a été crucial. Dominique a su équilibrer la crédibilité de l’histoire, qui est assez folle, et l’aspect burlesque. Il a évité de rendre les personnages trop pittoresques ou pathétiques, ce qui aurait pu desservir la comédie. C’est vraiment une question de dosage.
Comparé à un film comme "L’Amour et les Forêts", le travail d’acteur semble presque opposé. Les directions de Valérie Donzelli et Dominique Baumard paraissent même aux antipodes. Avez-vous eu cette impression sur le plateau?
Plus je vais loin dans un rôle, plus je suis satisfait. Je n’aime pas les demi-mesures. Avec le temps, j’apprécie les saveurs fortes, les expressions marquées. J’ai enchaîné des rôles très différents. L’Amour et les Forêts a bien marché, donc on m’associe à des rôles sombres, mais j’ai aussi fait des choses plus légères. J’espère que Les Règles de l’art fonctionnera, j’ai envie de creuser la veine comique. Sentir le public rire en salle, comme lors des avant-premières, est très gratifiant. Voir que mes choix de mimiques ou de postures fonctionnent crée une osmose avec les spectateurs. C’est presque addictif, comme faire rire des amis toute une soirée.
Vous avez travaillé avec de grands cinéastes comme Raoul Ruiz ou François Ozon. Était-ce un défi de vous faire accepter dans un cinéma considéré comme plus populaire?
Dans les années 1980-90, le cinéma d’auteur, cinéphile, était fascinant, avec des figures comme Rohmer ou Ruiz, qui ne faisaient pas beaucoup d’entrées mais étaient des piliers. Ce paysage a changé… et moi aussi! à 52 ans, je me sens moins intimidé par ces figures tutélaires, beaucoup ne sont plus là. Maintenant, sur les tournages, je suis souvent le plus âgé, ce qui change la dynamique. Je suis aussi plus libre dans mon corps, plus à l’aise pour prendre des risques, tenter des choses, sans être forcément plus sûr de moi… Disons que je suis plus audacieux.
Cela a été complexe de ne pas être enfermé dans une image de séducteur ténébreux, de dandy?
Cela aurait été tentant de capitaliser sur l’image gracieuse de mes rôles chez Rohmer à 22-23 ans, mais c’était un piège. Une fois prisonnier d’une image, c’est dur de s’en sortir. Un bon acteur, pour durer, doit rester versatile, discret dans sa vie publique. Ne pas avoir de réseaux sociaux me permet, par exemple, de préserver cette liberté.
Notre critique
Yonathan (Melvil Poupaud), expert en montres de luxe au quotidien monotone, voit sa vie basculer lorsqu’il s’associe à Éric (Sofiane Zermani), escroc. Fasciné par le train de vie d’Éric, Yonathan perd toute mesure. Tout s’accélère quand, pour répondre à une commande d’Éric, Jo (Steve Tientcheu), cambrioleur de génie, vole cinq chefs-d’œuvre au Musée d’Art Moderne de Paris en 2010. Les trois hommes sont entrainés dans une spirale incontrôlable…
Un casse qui frôle le fiasco, porté par trois bras cassés. Tout semblait réuni pour une comédie pétillante, avec des braqueurs amateurs à la répartie mordante. Pourtant, le trio n’est que rarement ensemble à l’écran. Dominique Baumard privilégie le duo formé par l’acteur de L’Amour et les Forêts et son acolyte rappeur, sans jamais en tirer pleinement parti. Ce Yonathan candide manque de crédibilité, et ce malgré la présence de Melvil Poupaud qui s’amuse comme un fou. Un homme qui enchaîne les mauvais choix, jusqu’à en devenir pathétique. On finit par ne plus croire à ses déboires. Difficile d’imaginer qu’une femme aussi moderne que son épouse (Julia Piaton) ait pu s’éprendre de lui. Sofiane Zermani, quant à lui, apporte la gouaille indispensable à son rôle, qui gagnait malgré tout à être étoffé. En n’osant ni embrasser le buddy movie, ni s’aventurer dans un humour à la Woody Allen façon Escrocs mais pas trop, Les Règles de l’art s’enlise jusqu’à devenir une comédie consensuelle au potentiel inexploité.
De Dominique Baumard (France), avec Melvil Poupad, Sofiane Zermani, Julia Piaton. Comédie. 1h34. Notre avis: 2/5.
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