"C’était une personne de la Méditerranée par tous les pores de sa peau": pour sa rentrée solennelle, Sciences Po Menton rend hommage à Gisèle Halimi
À l’occasion de sa rentrée solennelle, le campus Sciences Po a souhaité honorer l’avocate et figure du féminisme. Le deuxième amphithéâtre porte désormais son nom. Tandis qu’une fresque a été réalisée par C215.
Alice Rousselot (arousselot@nicematin.fr)Publié le 11/09/2025 à 18:30, mis à jour le 11/09/2025 à 18:30
L’artiste Christian Guémy - alias C215 - devant la fresque de Gisèle Halimi qu’il a peinte dans le campus.
Photo Sébastien Botella
Quand, lors de la rentrée solennelle de Sciences Po Menton, les musiciens du Bureau des arts ont proposé une interprétation de L’Hymne à l’amour, ils n’imaginaient pas que ce chant renvoyait intimement à Gisèle Halimi.
Comment auraient-ils pu savoir, du reste? Seule l’intervention de l’un des fils de l’avocate décédée en 2020, Jean-Yves, permettrait quelques minutes plus tard de l’appréhender.
"Ma mère me le chantait comme berceuse quand elle venait à Paris entre deux longs séjours en Algérie…", lâche ce dernier.
Présent pour les vingt ans du campus mentonnais, après que la décision avait été prise d’honorer la native de Tunisie. En donnant son nom au deuxième amphithéâtre de l’établissement.
En demandant à l’artiste C215 de réaliser son portrait sur un mur attenant, aussi.
Grève de la faim à 10 ans
"Je me disais qu’il était dommage que l’un des deux amphithéâtres n’ait pas de nom. J’ai tout de suite pensé qu’il fallait que ce soit celui d’une femme. Mais il fallait qu’elle incarne la Méditerranée sur un campus dédié à celle-ci", retrace le directeur, Youssef Halaoua. Désireux de miser sur une figure tutélaire pour des étudiants en début de cursus. "Quelqu’un de réconfortant quand on doute. Quelqu’un qui a eu du courage."
Et qui mieux que Jean-Yves pour dresser le portrait de cette intrépide méditerranéenne? Connue pour ses combats en faveur de l’égalité hommes/femmes, et pour sa lutte contre les différentes formes de colonialisme.
"C’était une personne de la Méditerranée par tous les pores de sa peau. Elle en aimait la chaleur, les couleurs, les parfums, l’histoire", introduit son fils. Précisant que ses premiers engagements politiques sont naturellement nés en Tunisie.
"Elle venait d’une famille pauvre, judéo-berbère. Ses premiers ferments de révolte remontent à l’âge de dix ans — lorsqu’elle se heurte, sans en comprendre encore la signification, à l’organisation de la famille. Elle était astreinte à servir ses deux frères. Sa sœur et elle étaient promises à un mariage qu’on espérait heureux. C’est contre cet état des choses qu’elle a entamé une grève de la faim." Victorieuse sur ce point, Gisèle Halimi se jette à corps perdu dans les études. Notamment au lycée français de Tunis.
"Elle y a intégré l’ossature de sa lecture du monde : les principes qui étaient enseignés par l’école républicaine, avec un soupçon de prosélytisme s’agissant de ceux qu’on a appelés les hussards de la République — ces promoteurs de la laïcité", complète-t-il. Citant les grands auteurs de la Révolution française — Voltaire, Rousseau, Condorcet — comme ses références éternelles. Quant aux grands principes de la République, elle ne s’en écartera jamais.
"Arrivée en France pour ses études universitaires, elle défend les indépendantistes tunisiens du Neo-Destour. Qui finissent par y accéder grâce à Pierre Mendès France et Gaston Defferre. Mais ce n’est pas le cas pour ce qui constituera son combat majeur: l’Algérie…", relate Jean-Yves. Indiquant que sa mère échappera à deux tentatives d’assassinat.
"Dans les dernières années de sa vie, elle s’inquiétait beaucoup des reculs. De l’État de droit, des droits des femmes dans certains pays, de cette forme d’organisation politique qu’on appelle les démocraties illibérales… Depuis 2017, je lui faisais remarquer une dégradation des termes du débat politique. Elle me disait : 'ça a toujours existé, relis Camus !'" De fait, l’intéressé parlait déjà du XXe comme d’un "siècle de la polémique et de l’insulte".
Au panthéon des libertés
Deuxième invité de prestige pour témoigner au sujet de Gisèle Halimi: l’historien Benjamin Stora. "Nous n’étions pas de la même génération mais nous avons eu des occasions de nous croiser. Notamment dans les années 80, quand elle combattait pour le droit des étrangers en France et pour la reconnaissance de l’État de Palestine. Nous avions beaucoup discuté quand je préparais un livre sur l’Algérie sous François Mitterrand. Je pensais qu’elle tiendrait un langage consensuel vu qu’il l’avait élue ambassadrice à l’Unesco. Mais pas du tout. Elle s’est montrée libre et d’une extrême franchise", raconte-t-il.
Relevant chez Gisèle Halimi un courage physique. Pas uniquement intellectuel. Ainsi qu’un attachement sans faille aux principes de justice et d’égalité.
L’historien rappelle que parmi les 22 recommandations qu’il faisait dans son rapport sur la mémoire de la colonisation et la guerre d’indépendance algérienne — commandé par le président Macron — figurait l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon. "Hélas, cette bataille n’a pas été gagnée. Mais elle est entrée dans le panthéon des libertés pour l’éternité."
Un bureau éphémère de La Poste s’est installé sur le campus, le jour de la rentrée, pour vendre le timbre fait par C215.Photo Sébastien Botella.
Œuvre originale
Aux yeux de Youssef Halaoua, l’hommage à Gisèle Halimi ne pouvait être beau que s’il passait par une touche artistique. Aussi a-t-il sollicité l’artiste de rue C215. De son vrai nom Christian Guémy. Le contact entre eux avait été établi quelques années auparavant, grâce à… un tweet! Youssef Halaoua ayant alors flashé sur des portraits de sportifs exécutés par le pochoiriste à Ivry-sur-Seine.
"Quand je lui ai proposé ce projet, il m’a dit que des timbres à l’effigie de Gisèle Halimi allaient justement sortir. On s’est dit que ce serait intéressant de créer une synergie", pose le directeur. Le résultat, c’est une fresque originale de C215 à Sciences Po reprenant le motif dudit timbre. Pour rappeler ses combats aux étudiants.
Et expliquer à ceux qui ne la connaîtraient pas (encore) qui elle est. C’est aussi la mise en place d’un bureau de Poste éphémère sur le campus, le 5 septembre, pour vendre l’œuvre épistolaire en présence de l’artiste.
Christian Guémy indique de son côté avoir déjà réalisé un portrait de Gisèle Halimi devant le Palais de Justice de Paris. "Il est régulièrement dégradé, j’ai dû le refaire à plusieurs reprises", souffle-t-il. Constatant à regret que les peintures de femmes sont les plus fréquemment vandalisées.
"Je suis heureux de peindre dans ce contexte et de marquer la présence de Gisèle Halimi dans cette région de France. Moi, elle m’a marqué par son attachement pour la laïcité. Entre autres quand elle s’était mobilisée contre le port du voile à l’école", souligne-t-il.
Précisant lui avoir réservé une place dans son prochain livre consacré aux figures de la laïcité. D’après lui, elle incarne par ailleurs la conquête de la liberté, le courage, l’abnégation, la constance, l’honnêteté intellectuelle.
Et deux enseignements: "apprendre à garder un cap intérieur ; accepter l’adversité."
commentaires
ads check
“Rhôooooooooo!”
Vous utilisez un AdBlock?! :)
Vous pouvez le désactiver pour soutenir la rédaction du groupe
Nice-Matin qui travaille tous les jours pour vous délivrer une
information de qualité et vous raconter l'actualité de la Côte d'Azur
Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires
ressentis comme intrusifs.
Si vous souhaitez conserver votre Adblock vous pouvez regarder une seule publicité vidéo
afin de débloquer l'accès au site lors de votre session
Nous avons besoin de vos cookies pour vous offrir une expérience de lecture optimale et vous proposer des publicités personnalisées.
Accepter les cookies, c’est permettre grâce aux revenus complémentaires de soutenir le travail de nos 180 journalistes qui veillent au quotidien à vous offrir une information de qualité et diversifiée. Ainsi, vous pourrez accéder librement au site.
Vous pouvez choisir de refuser les cookies en vous connectant ou en vous abonnant.
commentaires