Ancien coach de Marion Bartoli, Thomas Drouet met en lumière le statut précaire des entraîneurs de tennis
Ancien joueur professionnel puis entraîneur de Marion Bartoli avec qui il a remporté Wimbledon, celui qui a la Principauté et le Monte-Carlo Country Club dans le cœur raconte son parcours et le statut précaire d’un coach. Rencontre.
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Yannis DAKIKPublié le 28/03/2024 à 14:04, mis à jour le 28/03/2024 à 14:04
"Il faudrait que notre statut soit plus reconnu, car l’entraîneur n’est pas très respecté dans le tennis", explique le coach monégasque Thomas Drouet Photo Yannis Dakik
Il travaille dans l’ombre. À l’abri des regards qui sont, eux, portés sur les résultats des joueurs. Thomas Drouet est entraîneur de tennis professionnel. Arrivé à 20 ans à Monaco grâce à l’actuel capitaine de Coupe Davis, Guillaume Couillard - "onétait de la même ligue en Champagne-Ardenne, il avait entendu parler de moi à 18 ans et il m’a fait venir ici au Country Club où j’ai fait un test" - Drouet a rapidement avorté une carrière de joueur qui lui tendait les bras. À 26 ans seulement. "Quand on n’a pas de sponsors ou qu’on n’est pas issu d’une famille qui a les moyens, on ne peut plus. J’ai été obligé de corder des raquettes et de livrer des pizzas pour me nourrir tout en m’entraînant six heures par jour."
La sensation Bartoli
Pour rebondir, le natif de Compiègne a passé ses diplômes d’entraîneur à Antibes. Et c’est sa présence au sein du Monte-Carlo Country Club - où il a été professeur - puis un coup de fil inattendu qui ont propulsé sa nouvelle carrière. "J’ai eu la chance pendant le Rolex Monte-Carlo Masters - auquel j’ai participé trois fois - de réserver les courts et de servir de sparring-partner. J’ai joué avec Federer, Nadal, Murray et tous les meilleurs. Cela m’a permis de mettre un pied dans ce milieu. Cela m’a fait connaître et m’a permis d’avoir ma première opportunité avec Bernard Tomic."
Qui s’est terminée prématurément après une agression portée par le père du joueur. "Après cette histoire, je devais aller à Roland-Garros. Avant de monter dans l’avion, j’ai vu en première page de L’Équipe "Marion Bartoli cherche un deuxième coach dans son équipe." J’ai appelé un ami en commun et quand j’ai atterri à Paris, elle m’a dit "Rendez-vous demain matin à Roland-Garros". Trois mois après, on gagnait Wimbledon."
Quelques mois plus tard à Cincinnati, c’est déjà la douche froide. La Française lui annonce sa volonté d’arrêter sa carrière. "C’était un gros choc. Le matin même, elle me disait qu’on allait gagner l’US Open, qu’elle avait une superbe équipe autour d’elle. C’est le soir après sa défaite face à Simona Halep qu’elle m’a dit qu’elle arrêtait sa carrière."
"Un vrai mal-être des entraîneurs"
Grâce à ses résultats avec la Française, Thomas Drouet s’est fait un nom. "Le fait de gagner un Grand Chelem avec une joueuse a fait décoller ma carrière d’entraîneur sur le circuit féminin." Ainsi, plusieurs joueuses de l’élite du tennis mondial féminin l’ont approché pour s’attacher ses services. Dont Timea Babos, la Hongroise deux fois vainqueur de Grand Chelem en double, avec qui il a collaboré pendant près de six ans. "Je suis très fier de ce que j’ai fait avec elle. Quand on a commencé, elle était 125e mondiale. Elle est montée jusqu’à la 25e place en simple et est devenue numéro une mondiale en double."
D’autres ont suivi: Anastasia Pavlyuchenkova, Anna Blinkova, Qiang Wang... Aujourd’hui, c’est la jeune Petra Marcinko que le résident de Roquebrune-Cap-Martin a pris sous son aile. "Elle a 18 ans, a été numéro une mondiale chez les juniors et a un super potentiel."
Seulement voilà, le métier d’entraîneur peut parfois s’avérer difficile et imprévisible. Passant rapidement de moments de gloire à la désillusion. Le quarantenaire en a fait les frais avec la joueuse Qiang Wang. "On a travaillé un peu plus d’un an ensemble. Elle a explosé en faisant un quart de finale à l’US Open, puis elle a battu Serena Williams à l’Open d’Australie. On est arrivés à Indian Wells et c’était le début du Covid. On est rentrés à Monaco, et le lendemain matin elle m’a dit qu’elle voulait rentrer en Chine. Je ne l’ai plus jamais revue."
Cette précarité est l’une des raisons qui pousserait Thomas Drouet à arrêter ce métier. "J’adore tout ce qui est de l’ordre de l’entraînement: le travail, faire progresser mes joueuses... Mais j’ai plus de mal avec le côté humain. Dans le tennis, l’entraîneur n’est pas très respecté. On a du mal à se faire payer. C’est toujours beaucoup de stress même si on a des contrats. Il n’y a pas le respect de l’entraîneur au tennis. On est payé par notre joueur mais en même temps on doit le coacher. Ce n’est pas facile à gérer, surtout en relation directe. Si la joueuse a un sponsor et que c’est lui qui nous paye, c’est beaucoup plus facile. Personnellement, je n’ai pas peur de dire ce que je pense mais il y a des coachs qui peuvent se faire éjecter du jour au lendemain. Je pense qu’il y a un vrai mal-être des entraîneurs."
"Éduquer" les joueurs
Ainsi, il milite pour une meilleure protection du métier. "Il faudrait que notre statut soit plus reconnu, notamment par les instances. Jusqu’à il y a quelque temps, on n’avait pas de vestiaires dans les tournois du Grand Chelem. On était obligés de se changer dans les toilettes. Il faudrait aussi, d’un point de vue médiatique, donner plus de places aux coachs. Au football ou au basket, on fait plus d’interviews des coachs."
Selon lui, l’une des solutions serait également "d’éduquer" les joueurs de la même manière qu’on les a sensibilisés aux réseaux sociaux."On peut rompre un contrat de travail mais il faut respecter le deal qu’on a pris. On ne prend pas les personnes quand on en a besoin pour les jeter ensuite. Cela m’est déjà arrivé avec une joueuse avec laquelle je me suis frité après un match de double. Le soir même j’étais dans l’avion et c’était terminé."
Une menace permanente qui pèse au quotidien sur le moral. "C’est stressant. Surtout quand on a une vie de famille, qu’on voyage 40 semaines par an... Je ne le vois pas comme un sacrifice parce que c’est ma passion. Mais du point de vue de ma famille ça l’est. J’ai un fils de 9 ans que je ne vois pas beaucoup."
C'est au cours d'un entraînement que Thomas Drouet a trouvé l'idée de son jeu de cartes à utiliser pendant une partie de tennis.Photo Yannis Dakik.
Un jeu de cartes ludique et inédit
Par passion mais aussi pour faire face à la précarité et diversifier ses activités, Thomas Drouet s’est lancé dans un projet transversal. "En tant qu’entraîneur, j’essaie toujours d’améliorer mes techniques d’entraînement. Un jour, j’étais en Hongrie pour entraîner Timea Babos. Je sentais qu’elle en avait un peu marre à force de s’entraîner six heures par jour. Je suis arrivé sur le terrain et j’ai déchiré des bouts de papier. Sur ces papiers j’ai écrit "coup droit gagnant", "des pompes"..."
Sans le savoir, Thomas Drouet a trouvé l’idée de son futur projet: un jeu de cartes à utiliser pendant une partie de tennis. "C’est un outil très pédagogique. L’idée était de faire un format de jeu ludique et très dynamique en utilisant des cartes contre son adversaire. Soit pour lui imposer des challenges, soit pour mettre en valeur des coups qu’on veut faire. Il y a les cartes hotshot qui vont mettre en valeur un aspect technique. Les cartes fitness qui ont pour but de fatiguer l‘adversaire avant que le point commence. Et les cartes astuces qui sont plutôt basées sur la partie mentale et tactique du jeu."
Aujourd’hui, le jeu s’adresse aussi bien aux amateurs qu’aux professionnels. "Je l’utilise au moins une fois par semaine avec ma joueuse", témoigne Thomas Drouet. Inspiré du célèbre jeu Pokémon, le concept a déjà été tiré à plusieurs milliers d’exemplaires. Une version pour le padel et spécialisée sur l’aspect mental a aussi été créée.
Le jeu est disponible sur le site www.thecardschallenge.com et devrait bientôt l’être dans certains magasins.
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