Tribune libre. Emmanuel Deun: "L’addiction aux jeux d’argent, un problème de santé publique méconnu"
Dans notre tribune libre du dimanche, Emmanuel Deun, psychologue clinicien et spécialiste des addictions, alerte notamment sur les méthodes des sociétés qui gèrent les jeux d'argent en ligne.
La rédactionPublié le 07/09/2025 à 10:00, mis à jour le 07/09/2025 à 10:27
tribune
Emmanuel Deun.Photo DR
On estime à 500.000 le nombre de personnes souffrant d’une addiction aux jeux d’argent en France. C’est approximativement le même nombre que celui des personnes à qui l’on diagnostique un cancer. Pourtant, cette pathologie est à la fois sous-estimée et méconnue.
Psychologue clinicien niçois, spécialiste des addictions en général et de l’addiction aux jeux de hasard et d’argent en particulier, je souhaite apporter mon éclairage sur cette dépendance qui fait des ravages psychologiques, économiques et sociaux.
La Côte d’Azur est évidemment particulièrement concernée, du fait de l’importance de l’offre de jeux de hasard constituée par les casinos français et monégasques. Cependant, le vrai danger vient de moins en moins des casinos, à qui les pouvoirs publics demandent de plus en plus de vigilance au regard du risque addictif.
En réalité, le problème me semble venir avant tout de l’offre des jeux d’argent en ligne: casinos virtuels non autorisés et sites légaux de paris sportifs. Ces derniers ont des pratiques promotionnelles particulièrement agressives qui sont autant de pièges pour les populations les plus défavorisées. Car le problème est bien là: l’addiction au jeu touche majoritairement un public économiquement vulnérable, des jeunes hommes de moins de 30 ans pour la plupart, attirés par une espérance de gain liée aux paris sur des sports populaires comme le football ou le tennis. À cet égard, l’année 2024 et ses Jeux Olympiques ont fait des ravages… Les jeux d’argent sont finalement l’entreprenariat du pauvre, celui de ceux qui n’auront jamais accès aux succès promis par la "start-up nation".
La notion de jeu responsable est un tour de passe-passe de la part des opérateurs
Je souhaite aussi interroger la notion de jeu responsable, que je considère être un tour de passe-passe de la part des opérateurs de jeux, consistant finalement à reporter la faute de l’addiction sur le joueur malade et à dédouaner de toute responsabilité les opérateurs dont les techniques de marketing relèvent d’un cynisme échevelé, proposant par exemple plusieurs centaines d’euros à l’ouverture de comptes.
Du point de vue de la santé publique, les conséquences sont catastrophiques et les patients que je rencontre, dans mon cabinet de Nice ou à La Bastide de Callian, la clinique où j’interviens, sont à la fois démunis psychologiquement et financièrement. Comment prendre en charge un jeune qui, en plus de devoir s’extirper de son addiction, commence sa vie avec plusieurs dizaines de milliers d’euros de dettes? L’addiction au jeu à cela de particulier: elle rend pauvre! Pour le reste, finalement, et en dépit de quelques spécificités que j’explique dans mon livre, l’addiction au jeu est aussi une addiction comme les autres et ses causes sont assez proches de celles qui conduisent à l’excès d’alcool, de cannabis ou de cocaïne.
Pour élargir le propos et s’extirper de ce constat inquiétant, il me semble important de se tourner vers les neurosciences, qui apportent un éclairage précieux mais pourquoi ne pas se pencher aussi, plus légèrement, sur la littérature et le cinéma?
Savez-vous par exemple que Nice et Monaco ont été le lieu de tournage du film le plus emblématique qui ait jamais été réalisé sur l’addiction au jeu? Il s’agit d’un film de Jacques Demy de 1962 qui s’appelle La Baie des Anges, dans lequel on découvre une Jeanne Moreau sous l’emprise du jeu, écumant le casino du Palais de la Méditerranée de Nice et le casino de Monte-Carlo.
L’addiction au jeu est un sujet passionnant, un symptôme de notre époque, de sa brutalité et de son cynisme débridé, au sujet duquel la seule conclusion utile à formuler auprès des personnes qui en souffrent tient en un seul conseil: sortir de son isolement et en parler. À son entourage, à un psy, peu importe à qui, mais rompre la solitude, évacuer la honte et en parler.
Dernier ouvrage paru : "La Chance au prochain tirage" édité chez Imago, Paris. Le cabinet d’Emmanuel Deun est à Nice et il intervient à la clinique La Bastide de Callian dans le Var.
Les propos, remarques et commentaires exprimés, publiés dans les "Tribunes libres" n’engagent que leurs auteurs.
Deligne.
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