Comment l’état de santé et l’environnement du futur père peuvent modifier les spermatozoïdes et transmettre des messages aux générations suivantes?
C’est un champ encore peu exploré, les hommes étant jusqu’ici considérés comme peu impliqués dans les transmissions dites épigénétiques (lire par ailleurs) à la descendance.
"Ces modifications chimiques, induites par l’environnement au sens large, influencent l’expression des gènes et peuvent se maintenir sur plusieurs générations", introduisent Georges Raad et Chadi Fakih, respectivement chercheur et gynécologue au sein d’une clinique de la fertilité, à Beyrouth au Liban.
Des travaux antérieurs de l’équipe, menés en collaboration avec Valérie Grandjean du C3M à Nice, avaient déjà montré que l’obésité paternelle pouvait prédisposer les nouveau-nés garçons à des malformations urogénitales: cryptorchidie (défaut de la migration d’un testicule) hernie inguinale, problèmes rénaux, etc. (Nos éditions du 15 septembre 2024). Ils avaient aussi observé un lien entre la sédentarité du père et certaines malformations cardiaques chez les bébés.
Cette fois, c’est le rôle déterminant du fer que cette équipe vient de mettre en évidence (1). "Nous avons suivi 60 couples ayant recours à une ICSI (injection intra-cytoplasmique de spermatozoïdes), une technique de procréation médicalement assistée pour cause d’infertilité masculine (2). Des marqueurs du fer ont été mesurés dans le sang et le liquide séminal des hommes. L’ADN des spermatozoïdes a aussi été analysé pour détecter des modifications chimiques, notamment l’hydroxyméthylation."
Les résultats de ces études sont sans appel: "Plus le taux de fer est élevé, plus l’hydroxyméthylation de l’ADN spermatique augmente et inversement. Et ces empreintes dites épigénétiques pourraient avoir des implications potentielles pour le développement embryonnaire et donc la santé de la descendance."
L’équipe prévoit, dans le futur, d’identifier quels gènes sont spécifiquement affectés et d’étudier l’impact réel sur les enfants.
Vers un dosage du fer chez les futurs pères?
Mais dès à présent, une question se pose suite à ces observations: ne serait-il pas pertinent de mesurer le taux de fer dans le sang des futurs pères?
"Si les femmes enceintes chez lesquelles une anémie martiale (anémie par carence en fer, Ndlr) est mise en évidence reçoivent une supplémentation quotidienne en fer, il n’existe à ce jour, aucune recommandation internationale concernant le statut martial des hommes, et notamment de ceux accédant à une PMA. Nos travaux ouvrent la voie à une possible prise en charge préventive: corriger une carence en fer, via l’alimentation ou une supplémentation, avant la conception pourrait améliorer la qualité génétique des spermatozoïdes."
1. Les recherches ont été publiées le mois dernier dans l’excellente revue internationale Journal of Translational Medicine.
L’épigénétique ou la mémoire de l’environnement
L’épigénétique désigne l’ensemble des mécanismes qui modifient l’activité des gènes sans changer la séquence d’ADN.
Ces "marques" peuvent être posées par l’alimentation, le stress ou les traumatismes, les expositions toxiques ou pathologiques.
Ces modifications pourraient se transmettre sur plusieurs générations, comme l’ont montré des études préliminaires sur le tabagisme maternel, les traumatismes, ou encore l’obésité paternelle.
En agissant sur des facteurs contrôlables (poids, tabac, activité physique, nutrition, fer…), il pourrait donc être possible d’influencer positivement la santé des générations futures.
Carence en fer: de grandes disparités
La carence martiale est courante dans le monde: jusqu’à 50% des femmes enceintes en souffrent, et 5 à 10% des hommes seraient concernés dans certaines régions comme le Liban (cette carence est beaucoup plus rare en France et de façon générale dans les pays à revenu élevé).
"Elle dépend surtout fortement du régime alimentaire et du contexte sanitaire: faible consommation de produits carnés, parasitoses, paludisme…", détaillent les auteurs.
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