Capitaine du XV de France en 1995, lors de la demi-finale la plus polémique de l’histoire (trois essais refusés), Philippe Saint-André sait que son histoire en tant que joueur est intimement liée aux Springboks. D’ailleurs, en 69 capes, PSA a croisé sept fois les Sud-Afs, pour seulement... deux succès (et un nul). Mais selon le directeur du rugby montpelliérain, le vent pourrait enfin tourner...
Si on dit Afrique du Sud, qu’est-ce que ça évoque chez vous?
Je faisais partie de la première équipe française à avoir battu les Boks en France. C’était en 1992. J’ai également remporté la série de tests en 1993 en Afrique du Sud. Il y a évidemment cette demie plus que litigieuse en 1995. Ou encore la branlée [52-10] qu’on avait reçue en 1997, alors qu’on fermait le Parc des Princes [ensuite, les Bleus sont allés jouer au Stade de France]. Mon histoire est forcément liée à l’Afrique du Sud.
Comment définiriez-vous leur rugby?
Ils ont la culture du combat, de l’affrontement, de gagner quoi que ça en coûte dix centimètres à l’impact. C’est dans leur ADN. Et souvent, ils prennent confiance dans leur jeu, en te dominant physiquement, et en te passant par-dessus. Désormais, ils ont quelques joueurs d’évitement derrière, mais leur marque de fabrique, c’est: le chemin le plus court, c’est tout droit (rires). Ils préfèrent le destronchage au cadrage-débordement.
Qu’est-ce qu’un Sud-Africain selon vous?
C’est un deuxième ligne immense, et avec une puissance hors norme. Bon, il préfère le jeu à une passe que les croisés, et il aime la mêlée, la touche et les ballons portés (rires). Ils ont ça en eux depuis l’école de rugby. Et les trois titres de champions du monde qu’ils ont eu, ils sont allés les arracher à grands coups d’épaules. Ils asphyxient leurs adversaires, les dominent sur la dimension physique, sont très agressifs défensivement, et pratiquent une rush defence qui leur permet de monter très vite pour gagner le temps, de l’espace et venir te pesquer dans ton camp.
Faut-il avoir peur au moment de rentrer sur le terrain?
C’est interdit d’avoir peur, sinon ils le sentent (rires). C’est le meilleur moyen de gonfler leur confiance. Non, il faut être déterminés, solidaires. L’avantage, c’est que lors de ce quart de finale, il y aura 60.000 Français sur un stade de 80.000 places, 15 ou 18 millions de supporters devant leur télé, et ça n’a peut-être jamais été le cas. Je sens les joueurs en mission, et pour l’instant, ils sont très bien partis. Je ne les vois pas s’arrêter en quart de finale.
Vous avez été joueur, capitaine et sélectionneur face aux Springboks. Êtes-vous content, cette fois, de ne pas devoir en découdre avec 23 Sud-Africains?
Je suis surtout content d’être présent au stade. Je vais être comme tous les amoureux du rugby, derrière cette extraordinaire équipe. La France est une grande nation du rugby mondial, et ce serait bien d’enfin remporter ce titre.
Les Bleus sont-ils favoris selon vous?
On n’a jamais été aussi proches sur l’aspect de l’organisation, sur la qualité des joueurs, sur les moyens mis à disposition au niveau du staff, de la préparation, du temps de récupération... La Fédé, la Ligue, le public, Fabien Galthié: le rugby français a tout mis en œuvre pour être présent au rendez-vous. Et pour l’instant ils sont plus que présents. Les Bleus ont le meilleur marqueur de la phase de poules, Penaud, le meilleur buteur, Ramos, le meilleur joueur du monde, Dupont. Puis il y a une vraie cote d’amour entre l’équipe de France et les Français. Il faut que ça continue. Il reste trois matchs pour continuer de rêver.
Si la France l’emporte, cela aura-t-il un goût de revanche, après la demi-finale de 1995, qui reste pour l’instant la seule confrontation des deux équipes en Coupe du monde?
Quasiment aucun joueur de cette équipe n’était né à l’époque (rires). Quel que soit le résultat, on ne peut pas revenir, hélas, sur le scénario de 1995. Il y a eu pas mal d’injustices, et heureusement pour eux qu’il n’y avait pas d’arbitrage vidéo, car on aurait mérité mieux. C’est la vie, et je ne veux penser qu’au présent. Je veux que cette équipe de France l’emporte, mais que ce ne soit qu’une étape dans une quête bien plus géniale.
Repensez-vous parfois à 1995? Et à l’arbitre, Derek Bevan?
Souvent. De ce match, avant l’injustice, je me souviens surtout de ce qu’il s’est passé avant. Deux fois, on est prêt à rentrer sur le terrain, mais l’arbitre dit que ce n’est pas praticable, qu’il faut reculer le coup d’envoi. Il pense même à l’annuler. Il ne demande pas aux capitaines, mais il nous explique que dans le règlement, si le match est annulé, l’Afrique du Sud qui a pris un carton rouge en poules sera éliminée. On ne voulait pas gagner sur tapis vert. On les avait battus en 1992, en 1993, on était en mission pour être champions du monde, et je sais que nous avions toutes les qualités. Mais ça ne s’est pas fait. C’est ainsi. Tant mieux pour eux, pour l’histoire de ce pays. Même si, pour notre génération, cette demi-finale ne restera pas comme le meilleur souvenir.
En tant que capitaine, pouviez-vous lui parler?
À la réception, il a reçu une belle montre de la part du président sud-africain, donc je pense que ça veut dire beaucoup (sourire).
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