"Je prends mes décisions en toute liberté": les confidences du prince Albert II de Monaco à l'occasion de ses vingt ans de règne
Ce samedi 12 juillet 2025 marque les 20 ans de l’avènement du prince Albert II de Monaco, qui se confie à Monaco-Matin sur le lien qui l’unit aux Monégasques et sa vision pour le pays, contre vents et marées.
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Thomas MichelPublié le 12/07/2025 à 04:45, mis à jour le 12/07/2025 à 09:57
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Le Souverain a reçu Monaco-Matin dans son bureau d’apparat.Photo A.Bastello/Palais princier
Vous aviez souhaité partager la joie de votre avènement en toute simplicité et au plus près des Monégasques en 2005, qu’en sera-t-il le 19 juillet prochain place du Palais?
La princesse Charlène et moi-même avons souhaité organiser cette réception sur la place du Palais. Ce sera merveilleux et simple. Des moments de convivialité comme nous aimons les partager avec ma famille et la grande famille monégasque. C’est à l’image des liens qui nous unissent avec l’ensemble des Monégasques et ce sera l’occasion de remercier celles et ceux qui, par leur engagement quotidien, font vivre leur Principauté. Ce sera aussi l’occasion de nous projeter vers l’avenir dans un esprit d’unité, de confiance, mais aussi de responsabilité. La responsabilité que j’ai envers les Monégasques, et celle qu’ils ont en tant que Monégasques et habitants de la Principauté.
En 2005, vous receviez 200 télégrammes par jour de félicitations. Aujourd’hui, vos propos peuvent faire l’objet de milliers de commentaires en quelques heures sur les réseaux sociaux. Est-ce de plus en plus compliqué d’exercer le pouvoir face au "règne de l’impatience"?
Comme tous les dirigeants, je suis exposé aux pressions permanentes et à celle de l’immédiateté, qui est quelquefois difficile à supporter. Nous devons être en permanence à l’écoute de ce qui se dit, des aspirations, des impatiences. Il est de notre devoir en tant que chef d’État de ne pas perdre de vue la pression de l’instant, mais il faut garantir aussi une cohérence dans la durée. Par nature, la mission d’un chef d’État s’inscrit dans une durée limitée. J’ai la chance que la mienne soit un peu plus longue avec une vision qui porte sur plusieurs années. Cela implique de préserver la qualité du dialogue, de résister aux emballements et aux réactions à chaud. C’est peut-être plus difficile qu’à une certaine époque mais toutes les époques ont leurs exigences.
La naissance de Jacques et Gabriella n’a fait que renforcer ma sensibilité aux enjeux à long terme: l’éducation, l’environnement, la cohésion sociale.
La paternité a-t-elle changé votre manière de gouverner depuis 2014?
Bien sûr, tous les dirigeants pères de famille vous le diront. Cela m’a d’abord changé en tant qu’homme, en me procurant un immense bonheur. Puis, la naissance de Jacques et Gabriella n’a fait que renforcer ma sensibilité aux enjeux à long terme: l’éducation, l’environnement, la cohésion sociale. Il y a une autre forme de bienveillance qui s’installe, mais aussi une plus grande exigence envers soi-même. Les enfants sont une inspiration quotidienne et c’est très important d’écouter leur ressenti. Ils sont là pour rappeler l’essentiel à leurs parents, qui est d’agir pour ceux que l’on aime. La famille évidemment mais aussi l’ensemble des Monégasques et habitants de la Principauté.
Vous nous aviez, dans un épisode de tempête médiatico-judiciaire, confié votre "solitude" au sommet de l’État. Quelle importance a eu l’engagement constant de vos sœurs et de votre épouse, et désormais de vos neveux et nièces?
La présence de ma famille et de mes proches est essentielle. Celle de la princesse Charlène et de mes enfants en premier lieu, par leur présence rayonnante. Mes sœurs sont toujours là également, leur présence est quelques fois discrète mais bien réelle. Elles font beaucoup pour les différentes causes pour lesquelles elles sont engagées. Mes neveux et nièces sont aussi une source d’équilibre et de bonheur pour moi. Ils me rassurent dans l’exercice de mes fonctions et je ne peux que les remercier pour tout ce qu’ils font au service de la Principauté. Nous avons tous été élevés au service public et à l’intérêt général, c’est ce qui guide toutes nos actions au quotidien. Nous ne sommes pas là pour tirer profit de quoi que ce soit et certains propos tenus sur des blogs sont d’ailleurs extrêmement blessants. Je veux absolument que ce soit clair: je ne suis guidé que par l’intérêt général!
Albert II: "La présence de ma famille et de mes proches est essentielle"Photo C. Dodergny.
Quelle Principauté souhaitez-vous transmettre un jour à votre fils, le prince héréditaire Jacques?
Le moment venu, Jacques aura à tracer aussi son propre chemin. Il faut garder cette formule à l’esprit, que je souhaite lui transmettre la Principauté "ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre". C’est-à-dire une Principauté fière de ses valeurs et de son passé, sereine, prospère, responsable et solidaire. Et bien sûr, ancrée dans son temps, avec toujours cette même ambition de progrès, d’innovation, de développement dans le sens le plus durable possible.
Et, comme vous, c’est à l’exercice du pouvoir qu’il se révélera…
Jacques sera préparé mais c’est comme en sport, tout le monde oublie les péripéties liées à la compétition elle-même. On peut faire des entraînements très poussés, très techniques, en essayant de faire face à toutes les situations, au final il y a toujours des impondérables et il faut pouvoir y répondre le mieux possible.
"Jacques aura à tracer aussi son propre chemin", estime le prince Albert II, qui exhorte la jeunesse à voyager et étudier avant de revenir au pays.Photo Jean-François Ottonello.
En 2005, vous souhaitiez que les Monégasques "travaillent ensemble dans l’intérêt général" et en finissent avec "les querelles partisanes qui portent un discrédit sur nos institutions, et les antagonismes familiaux, parfois ancestraux". Malheureusement, de vieilles guerres de clans ont fini par exploser publiquement, entachant la réputation de Monaco et grippant la machine étatique et de grands projets. Est-ce votre plus grosse blessure depuis 20 ans?
Je regrette profondément ce vent mauvais. Ces rumeurs et ce poison de rivalités personnelles qui ont pu se manifester. Dans un petit pays, il y a toujours ces rivalités ou guerres entre différents groupes et familles, mais c’est regrettable que cela sorte publiquement. Tout cela ne doit pas cacher la réalité profonde de notre pays, qui est que la confiance et l’unité entre les institutions, les Monégasques et moi-même restent solides. Même si des antagonismes peuvent exister et des intérêts particuliers être tentés de prendre le pas sur l’intérêt général, je prends les décisions que je juge bonnes pour la Principauté en toute liberté et en toute responsabilité. Différentes personnes se targuent de pouvoir m’influencer ou me faire changer d’avis, la réalité est que je recueille toujours plusieurs avis de différents bords, c’est pour cela que mes décisions ne sont pas toujours immédiates.
La Principauté est invitée à toujours plus de transparence par des rapports internationaux, pensez-vous que votre souhait "de ne plus cultiver une protection exacerbée du secret" est partagé par la communauté monégasque?
Ces instances internationales ont été très attentives à ce qui se passe en Principauté. Tant mieux, cela nous a permis d’avancer, de progresser. Tout le monde en est conscient et il y a une dynamique. Des textes de lois sont sortis pour étoffer notre arsenal juridique et économique et tous les services de l’État et de la Justice sont impliqués. Maintenant, on attend des résultats. J’espère que cela va venir. Mais pour revenir à la transparence, ce n’est pas une menace. La transparence est un outil de légitimité. Elle doit cependant être maîtrisée et encadrée car elle est aujourd’hui incontournable dans les échanges internationaux. Ce mouvement, nous ne devons donc ni le subir, ni le rejeter, mais l’accompagner avec intelligence. Je pense que les Monégasques et les résidents de la Principauté ont compris cette exigence de modernité qui est absolument essentielle pour la conduite et l’existence d’un État.
Il ne faut surtout pas perdre confiance dans notre modèle économique et social. C’est le mieux adapté.
Qui regarde plus loin que le bout de son nez mesure la chance qu’il a de résider en Principauté en 2025, pays prospère et sécurisé à la plus longue espérance de vie, qui fait rêver dans le monde entier. Quel message souhaitez-vous adresser à la jeunesse pour que ce modèle perdure?
D’abord, c’est important de voyager, d’aller faire des études, de se former ailleurs qu’en Principauté et puis de revenir pour pouvoir contribuer à la marche de notre pays et à son développement. Il ne faut surtout pas perdre confiance dans notre modèle économique et social. C’est le mieux adapté pour la Principauté et il faut qu’il puisse perdurer. Que notre jeunesse soit à l’écoute du monde qui nous entoure – et évolue à une vitesse vertigineuse – pour en prendre le meilleur et nous aider à aller de l’avant. Tout en restant fidèles à nos valeurs.
La mondialisation s’essouffle, laissant place au nationalisme et à un repli sur soi des nations et des peuples. Quel message souhaitez-vous adresser aux Monégasques et aux Français et Enfants du Pays, qui regrettent pour certains d’avoir dû quitter leur pays?
Pour celles et ceux qui ont dû quitter la Principauté, pour différentes raisons, parfois contraintes, je veux leur dire que Monaco ne les oublie pas. Qu’ils soient certains que nous travaillons chaque jour pour construire cette société plus accessible, plus dynamique et plus humaine, dans l’espoir que nombre d’entre eux vont revenir.
Photo Jean-François Ottonello.
La tribu des Lakotas (Sioux) vous avait baptisé "Ami de tous les pays" en 1997. N’est-ce pas difficile de s’asseoir à certaines tables de négociation aujourd’hui, notamment en matière d’environnement?
C’est difficile, mais c’est précisément dans ces moments qu’il faut rester fidèle à ses engagements et à ses idées. Mon rôle, et celui de la Principauté, c’est d’être ce trait d’union, d’apporter autre chose que ceux qui s’affrontent, une voix modérée mais ferme. La voix de Monaco sur ces sujets liés aux développements durables, à l’environnement, aux océans, est une voix qui est écoutée, suivie et respectée. La notion d’urgence vitale a du mal à être partagée par tous, mais il y en a de plus en plus qui l’ont comprise. J’espère, avec les autres pays qui nous accompagnent dans ces combats, pouvoir porter ce message encore plus loin et encore plus fort. Pour cela, il faut que les grands pays s’engagent tous de façon beaucoup plus décidée et volontaire. Je sais que ça va être très difficile pour un certain pays, leader mondial, mais je ne perds pas espoir.
Vous n’avez pas abandonné l’idée de convaincre Donald Trump avec l’aide de la communauté scientifique?
Non, j’essaie de trouver le bon moment et les bonnes opportunités, mais c’est un combat qui va être difficile.
Si nous restons unis, nous aurons un avenir des plus heureux.
L’usure du pouvoir est souvent un tabou chez les grands décideurs. Vous qui avez un mandat "à vie", quelle force vous habite aujourd’hui et pour l’avenir?
Ce qui me porte, c’est l’amour de mon pays, le sens du devoir et la confiance que les Monégasques me témoignent. Gouverner, c’est prévoir, mais c’est aussi faire face avec la plus grande loyauté et la plus ferme résolution aux défis d’un monde en perpétuelle mutation. La force, c’est celle qui consiste en premier lieu à assurer un futur pour notre pays dans le respect de ses valeurs fondatrices tout en les adaptant au monde moderne. Dans l’histoire de la Principauté, nous avons toujours su trouver les moyens d’assurer notre existence, même dans des contextes parfois très difficiles et incertains. Si nous restons unis, enthousiastes, innovants et solidaires, nous aurons un avenir des plus heureux.
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