Véritable encyclopédie de la culture hip-hop, Fred Musa est surtout la voix de Planète Rap sur Skyrock, qu’il anime depuis 1996. Pourtant, d’aussi loin qu’il se souvienne, l’animateur n’a "jamais vu un artiste comme Jul".
Vous l’avez reçu plusieurs fois dans Planète Rap. Comment décririez-vous Jul?
Jul, c’est une rock-star qui n’a jamais voulu en être une. C’est un artiste qui a gardé sa discrétion, sa timidité, qui ne porte pas des Rolex mais des Casio, qui ne s’habille pas avec des marques de luxe mais avec ses claquettes, ses chaussettes et son survêt d’Or et de Platine [sa propre marque]. Tout ce qu’il veut, c’est être comme vous et moi. En fait, tous les rappeurs se revendiquent proches du peuple, mais le vrai rappeur du peuple, c’est Jul.
Paradoxalement, s’il est aujourd’hui incontournable, il y a toujours une forme de mépris à son sujet. Il fascine autant qu’il est marginalisé.
Ce qui est encore plus dingue, c’est que même au sein du milieu hip-hop il lui a fallu des années pour s’acheter une "bonne image". Il y a beaucoup de journalistes rap issus d’un milieu très parisien qui paradent aujourd’hui en parlant de Jul mais qui, il y a quelques années encore, argumentaient pour te dire à quel point c’était de la merde. Avec ces mots hein. Il y avait un réel mépris.
Pour quelle raison?
Parce que dans le regard de ces gens, un mec aussi simple et sincère ne pouvait pas appartenir à un milieu du rap très codifié. Il utilisait, parfois à outrance d’ailleurs, l’autotune, du coup on ne le regardait pas comme un artiste dans un processus de création, mais comme une espèce de guignol qui jouait avec la musique. Ils n’avaient pas perçu sa qualité d’écriture. Pourtant, dès ses premiers freestyles sur Planète Rap, on pouvait observer une vraie filiation avec l’école marseillaise, et des artistes comme Akhenaton ou le Rat Luciano. Sa façon de poser à l’antenne, de parler de la rue avec une part de nostalgie.
C’est-à-dire?
Il a toujours eu, dans ses freestyles et certains morceaux poignants, un côté désabusé. La vie d’un gamin de quartier, un peu mélancolique, qui ne croit plus en grand-chose et craint de se faire trahir. Quand il pose, il y a une vibration rare. Puis la vraie force de Jul, c’est qu’il est capable de faire un carton viral avec des samples de la culture populaire comme Barbie Girl, mais aussi de pouvoir toucher avec ses mots. C’est un mélange parfait entre des titres accessibles et des morceaux plus écrits pour les gens qui aiment le rap.
On a le sentiment que chaque émotion peut être accompagnée d’un son de Jul. Vous êtes triste il existe Parfum quartier ou Comme les gens d’ici, vous êtes euphorique il y a JCVD, vous voulez faire la fête il y a Asalto, etc.
Jul est un instinctif. Quand il écrit une chanson, il la compose avec ses émotions du moment, ce qui offre un champ d’émotions presque illimité. J’ai un exemple. Une fois en début de carrière, il était trop sollicité au quartier et n’arrivait pas à écrire. Alors il a fait un sac, il est parti chez Leroy Merlin acheter une petite cabane et un groupe électrogène pour aller s’installer dans la forêt et bosser. Ce n’est pas calculé. Il avait besoin de s’aérer, il n’a pas réfléchi au pourquoi et au comment, mais il l’a fait.
On entend souvent qu’il a créé un courant musical. Mais c’est quoi "faire du Jul"?
"Faire du Jul", c’est une synthèse de tout ce qui fait la culture populaire. Du Jul, c’est un mélange d’électro, de danse, de variété française, de rap… Et son courant est désormais repris à l’international, avec des artistes comme Morad en Espagne ou 6ix9ine [rappeur new-yorkais] qui a repris Bande Organisée. Aujourd’hui, le monde entier fait du Jul.
Malgré son succès, Jul se fait rare sur scène. Pourquoi?
Car sa timidité dépasse ce que vous pouvez imaginer. D’ailleurs, il se fait également rare en interview. En fait, il n’a pas besoin de parler, ça ne lui plaît pas, et il préfère se servir de la musique comme moyen d’expression. C’est comme ça qu’il parle à sa "team Jul". De toute façon, il est dans son monde, et s’est construit une carapace, probablement parce qu’il a été dépassé par sa popularité. François Hollande voulait être le "président normal", eh bien Jul c’est le "rappeur normal". En 2018, pendant la Coupe du monde, nous avions tourné un Planète Rap en Russie et Jul, ce qui le rendait heureux, c’était de pouvoir se balader en ville. Il allait au resto, tirait des sous au distributeur, pouvait boire un café en terrasse… Probablement qu’être Jul peut être envahissant, donc il s’est créé sa carapace et préfère se faire discret.
Le fait qu’il s’autoproduise, qu’est-ce que ça change dans le processus créatif?
Jul, c’est un mec terriblement libre. Il s’autoproduit, a son propre label, fait des concerts quand il le souhaite. C’est un artiste qui pourrait faire trois showcases par soir toute l’année, mais il préfère en faire un ou deux pour le plaisir. Et puis les concerts… Quand il a envie d’en faire un, il lance un Stade de France et 1.000.000 de personnes font la queue en ligne 10 secondes après l’ouverture de la billetterie. 1.000.000. C’est hallucinant. C’est comme ses albums, il est toujours disque d’or en première semaine. Vous réalisez? En fait, les gens sont attachés à Jul. Et seuls les plus grands artistes ont un attachement qui dure autant dans le temps.
Ce qui explique qu’aujourd’hui il est apprécié par la ménagère de 50 ans comme par les collégiens…
Car on aime chez lui son authenticité, sa sincérité. Et même ceux qui avaient la dent plus dure au début ont fini par se dire qu’ils étaient évidemment passés à côté de quelque chose.
Enfin, quelle trace laissera-t-il, selon vous, dans le paysage culturel français?
J’ai toujours du mal à comparer les artistes, car ça correspond à une époque différente, mais je vois des similitudes frappantes avec Johnny Hallyday. À l’époque, les gens s’arrachaient et se battaient dans les concerts pour avoir une place en fosse, aujourd’hui 1.000.000 de personnes font la queue pour voir l’ovni en vrai. On ne compare pas la scène, l’époque, le public, mais il y a une sorte de démesure assez similaire. Jul est entré dans l’âme et le cœur des gens.
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